A propos du 1er volume du "Dizionario mondiale dei direttori della fotografia" de Stefano Masi (Le Mani, 2007)

par Marc Salomon

La Lettre AFC n°169

Sur son site Web, l’AFC annonçait au début de l’été la sortie du premier volume du Dizionario mondiale dei direttori della fotografia rédigé par Stefano Masi, soit une sélection de 300 opérateurs de "A" (Cesare Accetta) à "K" (Luigi Kuveiller), des plus anciens (Billy Bitzer) aux plus jeunes (Stéphane Fontaine).

Travaillant sur le même sujet depuis plusieurs années et compte tenu de l’absence d’un tel ouvrage dans l’édition de cinéma, je me suis donc procuré rapidement ce livre que j’ai pris le temps de lire avec curiosité et attention (la météorologie estivale m’en ayant donné tout le loisir !). Lecture qui m’inspire aujourd’hui ce billet d’humeur quant à la forme plutôt que sur le fond, forcément riche d’informations.
Autant dire d’emblée que la première bonne impression face à cette somme de travail s’estompe quelque peu au fil des pages, bien que l’auteur, Stefano Masi (diplômé du Centro Sperimentale, journaliste et lui-même réalisateur) qui écrit depuis de longues années sur le sujet, avait déjà publié en 1983 un ouvrage bien documenté sur 200 opérateurs italiens (Storie della luce) et plus récemment La memoria del set (2003), sans parler de nombreux articles dans la presse spécialisée.
Il ressort de cette lecture attentive que ce Dizionario mondiale… est en grande partie une compilation ou mise en forme d’informations publiées depuis de nombreuses années dans différents livres, revues et sites Web comme l’atteste d’ailleurs chacune des bibliographies. Ce qui, en soi, n’est pas à priori condamnable et constitue même le parcours obligé de ce genre d’ouvrage. Mais…

- Première désillusion, l’auteur a choisi de ne pas faire figurer les filmographies (vrai choix ou facilité ?) optant plutôt pour des notices bio-filmographiques dans lesquelles il retrace la carrière de chacun puis énumère les principaux films, les récompenses, nominations et prix dans les festivals. D’où des notices relativement longues en général, parfois confuses (la litanie des récompenses et nominations alourdit inutilement le propos) et des informations essentiellement factuelles qui font davantage pencher l’ouvrage du côté d’un Who’s Who plutôt que d’un vrai dictionnaire historique, critique et filmographique. En effet, on trouvera bien peu d’analyses approfondies, ou de mises en perspective, sur le travail des plus importants directeurs de la photographie.

- Mais là où ce travail devient franchement contestable, pour ne pas dire irritant, c’est dans l’absence totale de guillemets ou de renvois plus précis sous forme de notes de bas de page afin de signaler aux lecteurs les nombreux emprunts. En effet, mises à part les informations purement biographiques qui appartiennent pour ainsi dire à tout le monde, les commentaires, critiques et autres jugements appartiennent à leurs auteurs respectifs et méritent d’être scrupuleusement référencés sous peine de laisser à penser que l’on s’approprie les propos d’un autre.

- La méthode, c’est-à-dire celle qui consiste à subordonner en grande partie la présence de tel ou tel nom à des documents pré-existants, montre aussi ses limites et ses lacunes dans le choix des opérateurs(trices) retenu(e)s. On relevera des absences plus que regrettables (ce premier volume ne comprenant donc que les patronymes entre A et K) : Michel Brault par exemple (opérateur et cinéaste, figure tutélaire du " cinéma-verité " et, plus largement, du cinéma québécois), Nurith Aviv, Caroline Champetier, ainsi que la plupart des opérateurs appartenant à des cinématographies moins " distribuées " (Amérique latine, Asie, Russie et autres pays de l’Est), autant de carrières passées par pertes et profits qui laissent leur place à quelques autres dont la présence ne m’apparaît pas franchement prioritaire, même dans une sélection de 300 noms. D’où cette impression d’un déséquilibre dommageable qui perpétue une vision très datée et conventionnelle de l’histoire du cinéma : un tiers pour les anglo-américains, un tiers pour la France et l’Italie, un tiers pour tout le reste du monde !

- Regrettons aussi que l’auteur ne prenne que trop rarement le risque de critiques " négatives " (ce genre d’ouvrage se doit pourtant d’assumer une certaine dose de subjectivité, quitte à bousculer quelques idées reçues ou à écorner certaines notoriétés) et que sa méthode de rédaction lui fait accorder, en nombre de signes, quasiment la même importance à tout le monde. Difficile donc pour un lecteur qui ne serait pas furieusement cinéphile (il paraît que ça existe !) de faire la part des choses en l’absence de toute forme de hiérarchisation.

- Enfin, aucune iconographie, sinon le portrait en noir et blanc de quelques opérateurs. Mais nous ne jetterons pas la pierre à l’auteur connaissant trop, hélas, les réticences des éditeurs à investir dans une iconographie conséquente et de qualité qui occasionne un surcoût important. Mais comment parler d’hommes et de femmes d’images sans images ?
Un point positif malgré tout, compte tenu du sérieux des sources, on ne relèvera que très peu d’erreurs sinon quelques confusions " classiques " dans les légendes des photos, l’homme près de la caméra n’étant pas systématiquement le chef opérateur ! John Alcott, Henri Decae et Denys Clerval en font les frais.
Même si ce premier volume (et le second à paraître l’année prochaine) viennent combler en partie une grande lacune (la place qui est due aux opérateurs dans l’histoire du cinéma), on ne peut que regretter la méthode malgré l’ampleur du travail que cela représente.