AIXPES : Films expérimentaux

par Jimmy Glasberg

par Jimmy Glasberg La Lettre AFC n°106

Le festival " Tous courts " d’Aix-en-Provence m’a invité à présenter mon film D76 (court métrage réalisé en 1992) dans le cadre d’un état des lieux du cinéma expérimental.
Le festival " Tous courts " d’Aix-en-Provence m’a invité à présenter mon film D76 (court métrage réalisé en 1992) dans le cadre d’un état des lieux du cinéma expérimental.
Les projections - parfaitement orchestrées par Jean-Paul Noguès et Emmanuelle Sarouy sous l’égide de Nicole Brenez (1) - suivies d’une table ronde et d’une " Performance " ont donné à ces rencontres une vraie dimension de réflexions sur le cinéma expérimental d’aujourd’hui.
Les projections ont eu lieu au Cinémazarin sous la forme de 5 programmes de films de style très variés de diverses époques : des films de jeunes réalisateurs et des films de référence.
Le cinéma expérimental m’a toujours interpellé, par la liberté de son expression et par ses recherches visuelles. Il est riche en tentatives techniques et surtout il reconnaît l’image animée, la cinématographie comme moyen d’expression pure.
Pour nous " Cinégraphistes ", il me semble essentiel de se nourrir de cette forme de cinéma loin des enjeux de pouvoir et de l’argent roi. Dans une période où nous nous posons des questions sur l’éthique de notre profession, il me paraît important de retrouver les origines de notre art et de notre technique. Le cinéma expérimental est encore plus ancien que celui des frères Lumière. Il fait appel à l’origine même de l’image avec la camera obscura de Leonardo da Vinci ou peut-être même avec le mythe de la caverne de Platon…
Beaucoup de jeunes cinéastes retravaillent l’image argentique artisanalement, à l’ancienne comme l’on dit dans le jargon professionnel (surimpressions, truquages divers etc…). J’ai été très surpris par la sophistication technique des œuvres présentées. On dirait qu’ils veulent retrouver les sensations de la découverte de la matière chimique de la pellicule. Peut-être est-ce pour réagir à la froideur informatique qui nous éloigne de l’émotion pure de la cinématographie, ou pour retrouver la magie de l’image à son essence, pour ressentir la matière même du support, de la gélatine, pour retrouver l’odeur du révélateur, l’angoisse du passage au noir, la découverte des images en projection…
J’ai longuement parlé avec Othello Vilgard, jeune réalisateur et membre fondateur de l’association Etna, qui a pour but de promouvoir les recherches et les expériences cinématographiques. Il m’a exposé la philosophie de leur mouvement et le plaisir qu’ils ont à faire un cinéma artisanal en dominant toute la chaîne de fabrication de leur film sur support argentique.
Les nouvelles technologies envahissent notre industrie. Comme en réaction, pour sauvegarder un artisanat, entretenir un savoir-faire, des jeunes font un cinéma hors normes en utilisant un matériel obsolète. Pourquoi ce renouveau des anciennes technologies pour faire des films d’avant-garde ? Othello m’a expliqué son plaisir physique à triturer l’image chimique, à utiliser la tireuse par contact… J’ai essayé de comprendre le sens de cette recherche dans un contexte où tout pousse à utiliser le numérique pour retrouver une expression libre.
Est-ce une réaction de jeunesse, une réaction de sens, une réaction politique ?
Il semble qu’il n’y ait pas vraiment un dogme, ni une doctrine, ni une école mais des actions individuelles. Le groupement associatif me semble plus économique qu’idéo ! Quels sont les objectifs défendus par cette génération de cinéastes ? Il faudrait aller plus avant dans les rencontres pour répondre à ces questions.
En tout cas, faire du cinéma expérimental est sûrement un acte de liberté, un acte politique. En cette période où la question de la mémoire de l’affaire algérienne revient au-devant de la scène, bravo d’avoir ouvert ces programmes de films expérimentaux par le film de René Vautier Destruction des archives. On ne peut plus symbolique !
La table ronde. Très brillante présentation du jeune cinéma expérimental par Nicole Brenez. Hélas ! Comme de coutume, l’éternel débat entre cinéma et vidéo s’est enlisé. Les discours sur le support prenant place au sens et à l’expression… Mireille Laplace (2) a remis les pendules à l’heure. Elle a rappelé que des grands cinéastes de recherche comme Marcel Hanoun, Chris Marker où Jonas Mekas utilisent aujourd’hui le numérique comme support…
Je crois personnellement que l’hybridation des textures est aujourd’hui le sujet important et que le métissage des expressions est le vrai sujet.
En tout cas, ce cinéma de la marge est bien vivant aujourd’hui. Les idéologies semblent se chercher mais le désir, ce qui est le principal, est bien là.
Cette manifestation aixoise en est un authentique témoignage.
Et puis, il faut citer le " Master " JLG : " C’est bien la marge qui tient la page ".
Annick Mullatier, de chez Fuji, nous a tous conviés à un déjeuner fort sympathique et très chaleureux (comme elle sait si bien le faire). Merci pour sa générosité et son aide aux courts métragistes.
J’ai eu le plaisir de remonter ce cours Mirabeau de ma jeunesse et d’aller à la librairie Goulard où je me suis offert le livre de Nicole Brenez.
Sur le chemin du retour, au soleil couchant, j’ai admiré les vignes aux sublimes couleurs automnales, ravi de ce séjour aixois !
(1) Maître de conférence en études cinéma, à l’université de Paris I et auteur de l’ouvrage : Jeune, dure et pure. Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France.
(2) Intervenante programmatrice à l’association " Grains de Lumière " à Marseille.