Aides d’Etat : les "CNC européens" alertent Bruxelles

Par Sarah Drouhaud

La Lettre AFC n°234

Le film français, 26 juillet 2013
La dernière version de la Communication qui encadre les aides d’Etat au cinéma proposée par la Commission européenne n’a pas réussi à apaiser les craintes des professionnels et notamment des 29 agences nationales du cinéma européennes réunies au sein du réseau EFAD.

Les " CNC européens " ont adressé un courrier commun à Joaquín Almunia, vice-président de la Commission européenne, chargé de la concurrence, Michel Barnier, Commissaire pour le marché intérieur et les services, Androulla Vassiliou, Commissaire chargée de la Culture notamment, et José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne.

Comme de très nombreux autres professionnels à travers l’Europe qui ont répondu à la Commission sur sa consultation publique jusqu’au 28 juin dernier, ces agences nationales du cinéma sont unanimes, la dernière proposition de Bruxelles visant à remplacer les règles édictées dans la communication de 2001 et prorogées trois fois jusqu’en décembre dernier, ne convient toujours pas et, pire, constitue une menace pour la diversité culturelle.

Car le problème demeure la question de la territorialisation des aides.

« Jusqu’à présent, les États membres et les régions sont libres de lier à un territoire spécifique une partie des dépenses de production des œuvres audiovisuelles soutenues. Ils peuvent exiger que ces dépenses soient fléchées vers des personnes ou des entreprises ayant un établissement stable sur leur territoire ou vers des activités génératrices de revenus dans leur territoire. Le raisonnement qui sous-tend cette règle est à la fois économique et culturel : il s’agit d’assurer un juste retour sur investissement et de non seulement soutenir la production, mais de nourrir et " structurer " l’ensemble de la chaîne de valeur du film, ce qui est nécessaire pour assurer l’intégrité artistique et culturelle des productions européennes. La nouvelle Communication cinéma met fin à cette possibilité », soulignent les agences nationales du cinéma.

« Bien que nous reconnaissions que la Commission doit agir en tant que gardien du Traité, il est de notre conviction que les spécificités économiques du secteur culturel devraient être mieux prises en compte, conformément à l’article 167.4 du TFUE (selon lequel " L’Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures "), et aux engagements de l’UE en tant que partie à la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. »

« Bien que ces traités soient restés les mêmes, l’approche proposée par la Commission européenne sur la question de la territorialisation constitue un changement majeur. Empêcher les États membres et les régions de taxer ou de soutenir des dépenses réalisées sur leur territoire les prive de toute possibilité de sécuriser un retour sur investissement (tant en termes financiers qu’en termes de structuration du secteur audiovisuel). L’approche de la Commission européenne va sérieusement affaiblir les régimes de soutien nationaux et régionaux à travers l’Europe », préviennent les CNC européens.

D’autant que comme ils l’expliquent, « cette proposition a lieu dans un contexte spécifique. La capacité de financement public du secteur du cinéma en Europe varie considérablement d’un pays à l’autre – les fonds communautaires ne constituent qu’une source de financement marginale, les contributions des États membres représentant 90 % de l’argent public total investi dans le secteur. Dès lors, les changements proposés affecteraient les régimes qui de par leur taille et leur champ d’intervention sont décisifs pour assurer le financement de la création audiovisuelle et cinématographique européenne dans toute sa diversité et ce, dans un contexte de crise économique, financière et budgétaire. Il s’en suivrait une diminution du nombre et de la variété des films produits et distribués en Europe, et en particulier des coproductions. »

« Parce que la plupart des activités impliquées dans la production du film sont d’ordre culturel, parce que l’identité culturelle de l’Europe repose sur sa diversité, et parce que le financement du secteur de l’audiovisuel en Europe dépend des soutiens publics, il est extrêmement important pour nous de garder la capacité de maintenir les conditions de territorialisation pour nos territoires », ajoutent de concert tous les directeurs des centre du cinéma à travers l’Europe.

(Sarah Drouhaud, Le film français, 26 juillet 2013)