"Amis américains – Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood"

un livre de Bertrand Tavernier

La Lettre AFC n°183

A quoi pourrait-on comparer ce monument, ce très imposant pavé, si ce n’est à son auteur, Bertrand Tavernier ? Le cinéaste, auteur de Coup de torchon, Un dimanche à la campagne, Autour de minuit ou Capitaine Conan, fut aussi un passeur, un journaliste passionné et curieux, ainsi qu’un attaché de presse, un programmateur de ciné-club et un défricheur.

Résolu à n’appartenir à aucun clan, à préserver sa liberté de goût et de parole, il n’a jamais cessé d’allier passion, subjectivité et compétence. Avec générosité, avec aussi un certain sens de la polémique et une détermination communicative à casser le vernis de l’histoire officielle, il a voulu explorer les zones méconnues et revaloriser les sans-grade.

Dans cet ouvrage (en fait, quasiment dix livres en un) intitulé Aux amis américains, on retrouve la fougue et la flamme enfantines déployées dans Que la fête commence, La Guerre sans nom, ou dans ses éloges du western ou du film de cape et d’épée.

Le volume est une réédition revue et augmentée, enrichie par une iconographie exceptionnelle (plus de huit cents photographies, reproductions d’affiches, publicités d’époque...), d’un livre paru en 1993, introuvable depuis des années. Tavernier y avait publié ses entretiens avec plusieurs " grands " d’Hollywood : Jacques Tourneur, Elia Kazan, Robert Altman, John Ford, John Huston, ainsi qu’avec une pléiade de scénaristes et réalisateurs dont le point commun fut d’être mis sur la fameuse " liste noire " du sénateur Joseph McCarthy. A cet ensemble, Tavernier a ajouté trois entretiens avec Alexander Payne, Joe Dante et Quentin Tarantino.

C’est peu dire qu’Amis américains place le travail d’historien du cinéma à un niveau que l’on côtoie rarement. Avec lui, le cinéma américain permet également de comprendre l’histoire de l’Amérique et sa civilisation.

Elle est précieuse, cette volonté d’effectuer, au fil des analyses d’une œuvre, un va-et-vient entre le passé et le présent. Car les entretiens avec Carl Foreman, Abraham Polonsky, Herbert Biberman ou Edward Chodorov ne dessinent pas seulement la cartographie d’un cinéma libéral américain étouffé par la " liste noire ", et dont les noms évoquent aujourd’hui si peu.

Mais tout n’est pas politique. Tavernier parle aussi des frasques de John Ford et de John Huston, ou encore des subtilités qu’ils glissent dans leurs films, de leur petite musique, leur supplément d’âme. Il s’attarde, à propos de Robert Parrish, sur ce « quelque chose de fragile, d’impalpable et de très profond, quelque chose de désespéré, qui s’appelle peut-être la sérénité ».

Il évoque, à propos de Jacques Tourneur, les « œuvres qui ressemblent à l’automne » et « cet étrange univers crépusculaire que vient ronger l’inquiétude ». Au final se dévoile une facette de la personnalité de Tavernier, cet homme à juste titre perçu comme un insurgé, un peu trop vite caricaturé comme tonitruant.

(Samuel Blumenfeld et Jean-Luc Douin, Le Monde des livres, 12 décembre 2008)

Amis américains. Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood de Bertrand Tavernier, éditions Actes Sud/Institut Lumière.