Analyse du "nouveau dispositif d’aides au cinéma"

Par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°282

Dans la page "Médias&Pixels" de son supplément "Economie et Entreprise", Le Monde du 7 décembre 2017 a publié un article dans lequel Nicole Vulser analyse la réforme de l’agrément des films telle que le CNC l’a annoncée deux jours plus tôt, à savoir que « les tournages relocalisés en France, les effets spéciaux et les auteurs seront mieux pris en compte ».

Le patriotisme économique comme critère pour aider davantage les producteurs cinématographiques ? C’est l’un des trois axes, avec la prise en considération de la révolution numérique et le renforcement de la dimension culturelle, de la réforme de l’agrément des films, annoncée mardi 5 décembre par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Fait non négligeable, la Commission européenne a déjà validé ce dispositif qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018.
Créé en 1959 et réformé une seule fois, en 1999, l’agrément – doté d’une enveloppe annuelle de 60 millions d’euros – constitue le seul sésame pour prétendre aux autres aides du CNC. Cette pierre angulaire du système du financement du cinéma en France donne accès à l’avance sur recettes, aux autres aides à la production, à la distribution ou au crédit d’impôt… En 2016, 283 films français ont obtenu ce précieux agrément. Les producteurs des Tuche 2 ont touché le jackpot : 3,3 millions d’euros.
Directeur général d’UGC, Alain Sussfeld avait présenté, en juin 2016, un rapport destiné à adapter ce système à la métamorphose du septième art. Il y a dix-huit ans, la délocalisation des tournages ou l’utilisation des effets spéciaux n’étaient pas d’actualité. Par ailleurs, à l’époque, bon nombre de professionnels devaient être titulaires d’une carte professionnelle… Il a fallu un an de négociations avec une trentaine d’organisations pour arriver, après de nombreux frottements, à un compromis.

Révolution numérique
Le CNC a repris la philosophie des propositions du rapporteur, sans faire siennes toutes ses suggestions (Le Monde du 9 juin 2016). Le système d’une grille de 100 points a été conservé, répartis en cinq blocs de critères comptant chacun pour 20 points : "langue de tournage", "production et réalisation", "artistes interprètes", "techniciens" et, enfin, "tournage et postproduction". L’aide est accordée en fonction du total des points et reste proportionnelle au nombre d’entrées du film en salle, à son audience en télévision et à ses ventes en vidéo.
Dans le droit fil de l’élargissement du crédit d’impôt qui a permis de relocaliser bon nombre de tournages, la totalité des dépenses effectuées en France sera prise en compte et pèsera de manière plus importante dans l’obtention des aides. Les points seront attribués à un film en fonction des dépenses faites dans l’Hexagone, que les salariés soient français ou européens. Auparavant, il suffisait que quelques postes importants soient occupés par des Français. « Cela met définitivement fin à un système de néocorporatisme et donnera plus de liberté de choix aux producteurs pour composer leurs équipes », explique-t-on au CNC. La réforme valorise davantage la localisation des tournages, dont les retombées économiques dépassent largement la filière cinématographique.
Autre préoccupation majeure de la réforme : la prise en considération de la révolution numérique. Pour la première fois, les effets visuels entrent dans le calcul du soutien financier, tout comme les nouveaux métiers afférents à cette filière.

Enfin, le CNC a choisi de renforcer la dimension culturelle de l’agrément en valorisant mieux les auteurs, les scénaristes et les créateurs graphiques dans l’animation, ainsi que les distributeurs. Ce choix, qui s’est fait au détriment des producteurs, a fait quelque peu tousser ces derniers.
Ils récupèrent toutefois davantage de souplesse dans l’utilisation de la langue française : à l’actuel système binaire – des aides pour un film à 50 % au minimum en français (pour les dialogues et les voix off), sinon rien – se substitue une possibilité supplémentaire d’obtention de points quand le long-métrage est tourné entre 33 % et 50 % dans la langue de Racine. Façon d’éviter de pénaliser certains films de François Ozon, Jacques Audiard ou Abderrahmane Sissako qui utilisent plusieurs langues, veut-on croire au CNC, ou encore d’inciter les producteurs à ajouter un ou deux comédiens français dans les grosses productions destinées à l’international.

Nicole Vulser, Le Monde, jeudi 7 décembre 2017