"Après la faillite, que reste-t-il de Kodak ?"

Par Jean-Baptiste Jacquin

La Lettre AFC n°234

Le Monde, 22 août 2013
La loi américaine sur les faillites est considérée comme très protectrice des entreprises. De fait, certains géants comme General Motors, United Airlines ou Delta Airlines ont passé quelques trimestres sous la " protection " du fameux chapitre 11, et s’en portent aujourd’hui très bien.

Pour Kodak, le film est bien différent. Le juge des faillites de Manhattan a bien validé, mardi 20 août, le plan de restructuration qui devrait permettre à ce vénérable groupe fondé en 1881 par George Eastman de voler de nouveau de ses propres ailes. Mais le petit oiseau qui va sortir de la boîte noire du chapitre 11, le 3 septembre, sera vraiment petit.

C’est même un véritable massacre. L’ex-géant de la photo, dont les boîtes de pellicule jaune et rouge étaient reconnaissables dans le monde entier, a raté le virage du numérique au tournant du XXIe siècle et ne s’en remettra jamais. Celui qui a popularisé le premier appareil photo grand public en 1888, avec le slogan " Appuyez sur le bouton, nous faisons le reste ", sera désormais un groupe spécialisé dans l’imagerie et l’impression pour entreprises. Il conserve son activité de production de films pour l’industrie cinématographique.

Avant d’être placé, en janvier 2012, sous la " protection " de la loi sur les faillites, Eastman Kodak avait déjà fermé treize usines en huit ans, 130 laboratoires photo et réduit ses effectifs de 64 000 à 17 000 salariés. La saignée s’est poursuivie. Pour honorer une partie de ses dettes, le groupe s’est séparé en dix-huit mois de toutes ses activités grand public : la fabrication d’appareils photo, le site d’albums photos en ligne, le tirage de photos, etc.

Brevets aux enchères
Son portefeuille de 1 100 brevets sur l’imagerie numérique, qu’il valorisait fièrement à plus de 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros), n’a trouvé preneur aux enchères que pour 525 millions. Quant aux effectifs, ils sont maintenant ramenés à 8 500 personnes.

Le seul à sembler se réjouir de ce résultat est le PDG, Antonio Perez. Dans un étonnant communiqué publié dans la foulée de la décision du juge, il se félicite de voir émerger « un leader technologique positionné sur les marchés importants et en croissance de l’imagerie commerciale ». S’il le dit... Nous nous permettons toutefois une certaine distance avec le discours de celui qui est aux commandes de Kodak depuis 2005.

Pas grand-chose n’a donc pu être sauvé par ce régime du chapitre 11 censé être protecteur. Ce n’est pas faute d’avoir sacrifié les actionnaires (leurs parts sont tout simplement réduites à zéro) et la majeure partie des créanciers (qui ne récupéreront que 4 % à 5 % de leur dû). Seuls les créanciers garantis recouvrent la totalité de leurs créances.

Ce micro-Kodak qu’est devenu le groupe de Rochester (sur le lac Ontario) restera un cas d’école. Rarement mauvaise appréciation d’un virage technologique n’aura coulé aussi rapidement un groupe aussi puissant.

(Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 22 août 20123)