Arri interviewe le directeur de la photographie Antoine Sanier pour "Hors normes"

par Arri Camera Systems La Lettre AFC n°303

Le directeur de la photographie Antoine Sanier a utilisé deux Alexa Mini sur le tournage d’Hors normes, le nouveau film très réussi du duo Nakache-Toledano. Témoignage.

Comment avez-vous abordé Hors normes, d’Olivier Nakache et Eric Toledano ?

Antoine Sanier : Avec Eric et Olivier, nous avons beaucoup réfléchi à une forme qui soit juste par rapport au sujet du film. Nous recherchions une image cinématographique qui puisse donner à voir du réel sans être trop présente ni trop crue. Pour la première fois, Eric et Olivier voulaient tourner en format 2,39:1 pour amener de la fiction dans un environnement très réaliste qu’ils connaissent bien. En effet, ils avaient réalisé un documentaire sur ces deux associations qui s’occupent d’autistes et qui ont inspiré le film.

A l’époque, je leur avais donné un coup de main. C’était très impressionnant. Sur Hors normes, nous tournions dans des vrais lieux, des endroits tout petits, qui donnaient déjà en eux-mêmes une patte réaliste. Dans certaines séquences, nous avons cherché à faire exister plus l’image, avec des envolées, des travellings, du flare, etc. C’est ce que nous avons fait dans la scène du cheval, de la sortie de l’hôpital ou dans le bus. J’ai essayé de trouver une forme qui transcrive des sensations, avant de retrouver des scènes plus réalistes.

Avec quel système caméra avez-vous tourné ?

AS : Ce qui m’intéresse dans mon métier, c’est de trouver pour chaque film la bonne combinaison entre la caméra, les objectifs, les filtres et les LUT. Sur Hors normes, nous avons utilisé deux Arri Alexa Mini et une série d’objectifs Canon K35 des années 1980 qui a été re-carrossée par Van Diemen. Je ne voulais pas d’une image trop piquée pour ne pas rajouter de dureté au film. Les K35 sont des optiques assez douces avec des flous très beaux. Nous avons fait des essais caméra dans les lieux mêmes du tournage et j’ai préféré la douceur de l’Alexa, son velouté, son côté très "matiéré". Les autres étaient trop numériques à mon goût. Et puis je connais très bien l’Alexa. Si je la mets ici, je sais comment elle va réagir avec les reflets de cette vitre, comment elle va rendre le volume de cette pièce. Je regrette seulement que l’Alexa LF n’ait pas été disponible à l’époque. Elle aurait été parfaite pour le film.

Pourquoi l’Alexa Mini ?

AS : D’habitude, je préfère travailler avec l’Alexa classique mais comme nous tournions dans des endroits exigus, le côté maniable, compact de l’Alexa Mini était plus adapté. Et puis Eric et Olivier aiment beaucoup travailler caméra à l’épaule pour donner une respiration à l’image. Nous avons tourné avec deux Alexa Mini essentiellement dans les scènes de groupe, pour mettre les comédiens dans des conditions proches du réel.

A quelle exposition avez-vous utilisé l’Alexa Mini ?

AS : J’ai travaillé à 1 280 ISO pour ramener de la matière dans l’image, décoller un peu les noirs et donner de la texture. J’étais en grande ouverture, à 2 de diaph, quasiment tout le temps. Cela permet de ramener de la fragilité dans l’image, d’obtenir ces petits accidents qui donnent une vibration. Avec Fabien Pascal et Nicolas Chalons, de Silverway, qui m’ont beaucoup aidé sur ce film, nous avons mis au point des LUTs en amont à partir des essais caméra. J’avais trois LUTs que j’ai affinées ensuite pendant le tournage.

Et pour l’éclairage ?

AS : Sur Hors normes, où jouent des autistes et beaucoup de non-professionnels, il fallait être un peu discret au niveau de la technique, pour donner de la liberté à la mise en scène, laisser vivre les comédiens et pouvoir saisir des choses vivantes. Cela allait parfaitement avec le propos du film. J’ai évidemment utilisé des Arri SkyPanel qui sont très pratiques dans des décors étroits. Pour les grosses sources, j’ai pris des Fresnel qui éclairaient les fenêtres de l’extérieur. C’est un film d’hiver, il fallait apporter plus de douceur.

Qu’est-ce qui a été le plus complexe pour vous sur ce film ?

AS : Dans certaines scènes, les contrastes à l’image étaient compliqués à gérer : les peaux noires à côté des peaux blanches sur des comédiens habillés en sombre. Le tout dans des décors clairs ! Une scène très complexe mais intéressante à filmer, c’est celle du périphérique, avec les éclairages au sodium, les phares de voitures. Au lieu de rajouter de la lumière, j’ai plutôt été amené à éteindre certains projecteurs pour retrouver du contraste.

L’Alexa permet cela : en nuit, elle est superbe. Sur Hors normes, j’ai beaucoup aimé travailler une image plus directe, avec moins d’effets que sur d’autres projets. Ce n’est pas toujours facile d’aller dans cette direction mais c’est très stimulant de chercher cette justesse, cette bonne distance au réel, une forme d’équilibre...

Quels sont vos autres projets aujourd’hui ?

AS : J’ai travaillé sur Petit pays, d’Eric Barbier, que nous avons tourné au Rwanda. Comme nous tournions avec beaucoup d’enfants et en équipe réduite, il y avait un vrai besoin de légèreté. J’ai choisi d’utiliser l’Alexa Mini qui était parfaitement adaptée au projet. J’ai aussi travaillé sur les deux premiers épisodes d’une série Netflix qui est en postproduction, dont je ne peux pas parler pour l’instant.