Bertrand Chatry

par Eric Gautier

par Eric Gautier La Lettre AFC n°109

Bertrand a été le compagnon de mes années d’apprentissage. Je l’ai rencontré en 1983. Je commençais à faire l’image de courts métrages. Il m’a alors proposé de devenir son assistant.
A cette époque, Bertrand tournait beaucoup. Le film d’Antoine Perset (Les Trois derniers hommes) avait été remarqué (Joris Ivens l’avait particulièrement apprécié) et il avait rencontré un certain succès pour son travail sur des clips. Bertrand excellait dans le noir et blanc, très contrasté. Il aimait le travail de la couleur, mélanger subtilement les gélatines sur les projecteurs. J’aimais son goût et sa grande élégance pour le style classique (lumière à la face, contre-jour discret...)
Pendant ces quelques années, nous étions très complices. Nous pouvions parler avec humour de nos vies privées respectives instables et avec passion de films et de technique. Bertrand était très fort techniquement. C’est auprès de lui que j’ai appris l’utilisation du sur et sous développement pour influer sur le contraste de la pellicule. Il faisait preuve d’une grande inventivité. Par exemple, dans La Nuit de l’océan d’Antoine Perset, pour une scène dans une église (où Jeanne Moreau dit un monologue poignant), il avait éclairé les fonds à travers les vitraux, en gélatinant de vert les projecteurs depuis l’extérieur et donné ainsi une touche " Technicolor ".
Bertrand était très cinéphile. Je me souviens de son enthousiasme quand il me parlait de la copie de Reflet dans un œil d’or de John Huston qu’il avait vue à la cinémathèque de New York, l’une des rares qu’Aldo Tonti avait pu " flasher " en doré, le film étant sorti, contre son gré, dans une version " normale ".
Bertrand était, sans doute, trop modeste. Ceci explique peut-être pourquoi il ne tournait pas suffisamment ces dernières années.
Il m’appelait régulièrement pour me parler des films que j’ai éclairés, toujours avec ce même enthousiasme.
Bertrand était profondément bienveillant et généreux.
Quand je pense à lui, je vois immédiatement son visage illuminé d’un grand rire...