Bienveillance risquée des politiques pour le cinéma

par Jean-Michel Frodon

La Lettre AFC n°109

Dès l’entre-deux guerres, des représentants de la puissance publique ont considéré le cinéma comme un enjeu d’intérêt général et ont songé à le soutenir. Cette sollicitude, qui dépasse les clivages gauche-droite, connaît aujourd’hui un regain d’intensité aux effets paradoxaux.
Elle s’est manifestée au cours d’un colloque à l’Assemblée nationale, le 20 février. La commission parlementaire des affaires culturelles, familiales et sociales présentait le rapport établi sous la direction de Marcel Rogement (PS, Ille-et-Vilaine) sous le titre " Quel avenir pour le cinéma français ? " Remarquable rapport, agencé pour ne fâcher personne. Seule oubliée de ce bel unanimisme, l’avance sur recettes est épinglée de quelques adjectifs blessants par le rapport.

Depuis la " sortie " de Jean-Marie Messier le 17 décembre 2001 déclarant « morte l’exception culturelle », les ministres et des plus hautes autorités de l’Etat ont pris sa défense de manière à rassurer les professionnels du cinéma. On retrouve la même disposition d’esprit chez les candidats à la présidentielle, interrogés par l’hebdomadaire professionnel Le film français dans son édition du 1er mars. Les divergences sont minimes, sinon purement cosmétiques.
Un autre colloque, organisé le 4 mars à l’Odéon sur le thème Des images pour l’Europe, en a apporté des confirmations plus immédiatement sensibles sur le plan politique.
Responsable de la culture et de l’éducation au sein de la Commission européenne, Vivianne Redding a confirmé l’importance désormais reconnue de ce type de dispositifs dans les arènes supranationales, et affirmé la volonté de la Commission de les défendre lors de prochaines négociations.

Pourtant, ce grand bal des amoureux du cinéma, producteurs, créatifs, politiques, administratifs tous enlacés et dansant à l’unisson, fait parfois songer à ces images d’assemblées valsant sur un volcan. Les périls sont pourtant considérables, et l’absence de prise en compte de leur réalité aussi inquiétante que la vision d’un ballet mécanique qui répéterait les gestes d’une danse joyeuse sans savoir que la musique a changé.
Les logiques induites par l’hyper concentration du secteur audiovisuel et de la communication, auxquelles, dans le cas de la fusion Vivendi Universal Canal+, les pouvoirs publics n’ont rien trouvé à redire, en sont un des aspects. Quels que soient le passeport et la rhétorique dont use son PDG, Vivendi Universal n’est pas une entreprise française. Les transferts d’autorité à d’autres niveaux que ceux des Etats, et les termes des futures négociations (à commencer par celles de l’Organisation mondiale du commerce) en sont un autre.

La mise en question des mécanismes de protection fondés sur les frontières nationales et les systèmes de quotas par des organismes internationaux, la redéfinition contemporaine des œuvres et des droits qui y sont attachés, l’existence d’instances d’autorisation et de contrôle, le rôle des régions, etc., sont autant d’approches nouvelles qui transforment en profondeur l’esprit des dispositifs légaux et réglementaires, font et feront l’objet de conflits dans les arènes de négociation.
La politique publique se résume désormais à enregistrer les desiderata des groupes de pression des professionnels. Cela vaut aux hommes publics un soutien chaleureux des hommes de spectacle. Tout le monde est content. Il n’est pas sûr que cela soit une bonne nouvelle.
(Jean-Michel Frodon, Le Monde, 20 mars 2002)