Billet d’humeur, suite à "Solidarité", le dernier éditorial de Caroline Champetier

Par Alain Coiffier

La Lettre AFC n°217

Le terme « Solidarité », en tête de votre dernier éditorial, vient sonner fort et juste au-delà des situations qui se sont créées il y a dix ans dans le secteur des laboratoires français. Des situations d’autant moins " jolies " qu’elles ont servi de ferment – entretenues par certains producteurs aux larmes de crocodiles…– au discrédit profond qui pèse aujourd’hui sur nos industries techniques…

Il y a bien sûr plein de raisons au désastre de LTC – certaines pas bonnes à dire – mais toutes seraient inutiles à rappeler puisque le désastre est là. Donc Solidarité, bien sûr, vous avez raison , et je suis en parfait accord aussi avec les témoignages de Didier Dekeyser et de Guy Lainé notamment .
Dans ce climat de crise grave, voire de sauve qui peut, qui a commencé il y a dix ans au moins avec la remise en question – formelle – du support film qui traduisait vos talents et notre cinéma à tous depuis un siècle, je vois aujourd’hui la carte de vœux adressée par Kodak (voir ci-dessous).

Ce que je voudrais souligner, l’ayant vécu moi-même, c’est que ce climat entretenu autour de l’argentique reste malheureusement très perturbant pour tout le monde chez les fournisseurs… On n’ose pas dire – on n’a pas osé dire – on n’ose à peine dire encore aujourd’hui, et puis un jour çà casse…et c’est ce qui se produit maintenant.

Au cours des dix dernières années, je m’étais indigné maintes fois à la Ficam du silence sur ce qui couvait (sur les concurrences peu loyales…) et qui ne pouvait hélas qu’exploser…
Lorsque j’ai engagé, comme beaucoup de mes confrères, un train important d’investissements, de réformes, de formations et d’adaptation dans les structures dont j’avais la responsabilité, pour faire face à ce qui allait donc devenir irrémédiable, si beaucoup m’ont aidé, ils n’étaient pas la majorité car beaucoup se taisaient plutôt, probablement par horreur de " visualiser " ce qui se préparait .
Mais les faits sont parfois têtus, hélas !

Si on avait tous choisi de ne rien faire, peut-être aux 115 de LTC, dont les conditions de départ sont dramatiques, on devrait en ajouter aujourd’hui beaucoup d’autres à perdre brutalement leur emploi sans préavis aucun.
Alors organiser cette reconversion sans qu’elle ne se transforme en débâcle, cela a nécessité, pour beaucoup – je dois le souligner – pas mal d’abnégation, des bilans comptables redoutables à assumer, bref des parcours vraiment difficiles, parce que nous étions peu compris ou contraints de nous taire…

Beaucoup – fort heureusement – nous y sommes parvenus, mais enseigner la duplication numérique – par exemple – à une tireuse de 35 mm en 1998, çà n’était pas simple… surtout pour conserver " bonne presse ", pour être en phase avec vous toutes et tous…, et alors qu’à l’époque, les laboratoires " gagnaient de l’argent ", et que cela se savait, et que cela pouvait masquer complètement l’ouragan qui se préparait…
Je voudrais rappeler – souligner – un climat, un contexte général qui n’a pas aidé… et qui n’est pas terminé...
Et je ne parlerai pas des producteurs et directeurs de production qui ont fait leur " bon-marché " grâce à ce climat…

Une " dédramatisation " de cette bascule numérique, une intégration " globale " de ceux qui sont déjà dans le " virtuel " et de ceux qui resteront " dans les bains " jusqu’au bout, reste majoritairement " à faire ", ce qui est un comble, je crois, quand déjà 70 % des films ne se tournent plus sur pellicule…
Et qu’un jour prochain, la fabrication de ce support qu’on a tellement adoré tous s’arrêtera pour toujours…, non pas bien sûr qu’on l’ait souhaitée, mais parce que les métiers, les moyens techniques, la rentabilité la plus élémentaire, nous feront malheureusement défaut.

Si, aujourd’hui, dans un cabinet ministériel, des non professionnels regardent les images tournées dans LTC et qu’on les met en face d’une " belle " image de cabine de projection numérique, à qui seront attribuées les subventions, croyez-vous ?
Ça ne me fait pas plaisir.

Mélancolie, oui, mais aveuglement…, ça peut coûter cher et ce n’est pas juste
Kodak a ensoleillé mes yeux et a donné vie à nos images à tous durant plus d’un siècle, mais là je me sens sinon trahi, du moins abandonné.
Ce voyage qu’on doit tous faire ensemble aujourd’hui – solidarité – je pense qu’on aurait tous souhaité le faire avec nos amis de Rochester et je trouve cela bien dommage de devoir le faire sans eux, ainsi qu’en abandonnant sur le chemin, dans des conditions tragiques, des techniciens qui nous avaient loyalement accompagnés.

Autre chose dont personne ne parle
Lorsque les salles sont équipées d’un projecteur numérique – majoritairement financé par des subventions publiques –, elles démontent immédiatement et sans contrôle leur projecteur 35 mm et pas seulement pour l’espace de la cabine, mais pour économiser le seul montant de la maintenance ! Le résultat est que lorsqu’une salle héberge un festival ou une rétrospective, elle devient le plus souvent incapable de projeter un film dit de répertoire autrement qu’avec un DVD.

Le dernier exemple que j’ai connu : un grand film américain en Scope projeté sur un DVD dans une salle moderne de 500 places.
Evidemment un directeur de Festival ou de rétrospective ne peut financer un DCP qui nécessite un scan ( 20-30 000 euros) pour une ou deux projections…

Combien d’années faudra-t-il pour régler ce problème ? Au moins dix ans…, pour les films importants. Pour les autres…, jamais, vraisemblablement !

Ce n’est définitivement pas simple.

Alain Coiffier