Billy Wilder est mort, personne n’est parfait

par Jacques Siclier

La Lettre AFC n°109

Né Samuel Wilder, près de Vienne, le 28 juin 1906, il avait été surnommé Billy par sa mère. Après des études de droit, il s’oriente vers le journalisme, croise le chemin de personnalités de l’époque, dont Schnitzler et Freud. Installé ensuite à Berlin, il gagne sa vie comme danseur mondain, avant d’entrer aux studios de l’UFA en 1927. On l’y emploie à polir ou à écrire des scénarios.
Lorsque Hitler accède au pouvoir en 1933, Billy Wilder prend aussitôt le train pour Paris. Il y réalise Mauvaise graine, comédie avec la toute jeune Danielle Darrieux, puis gagne les Etats-Unis. A Hollywood, Ernst Lubitsch fait appel à lui pour écrire, avec Charles Brackett, l’adaptation d’une pièce de boulevard d’Alfred Savoir, La Huitième Femme de Barbe-Bleue. Il fera de nouveau équipe avec Brackett en 1939 pour une autre comédie de Lubitsch, Ninotchka, et pour La Baronne de minuit, de Mitchell Leisen.
De cette époque, il gardera toujours le souvenir du génie de Lubitsch, avec lequel il partage un passé berlinois. Wilder expliquait que tout au long de sa carrière de metteur en scène, il n’a jamais cessé de se poser une seule question : « Comment Lubitsch aurait tourné cette scène ? »

Wilder réalise en 1942 Uniformes et jupons courts, comédie très ironique sur les mésaventures de Ginger Rogers, qui s’immisce dans la vie de Ray Milland. Comme Lubitsch, il manie l’allusion pour ce qui concerne les rapports sexuels, mais il la pousse aux limites du mauvais goût pour ridiculiser les cadets de l’Ecole militaire et la morale puritaine.
En 1943, Billy Wilder apporte sa contribution à l’effort de guerre avec Les Cinq Secrets du désert.
Assurance sur la mort (1944) est l’adaptation corrosive d’un roman de James Cain (Raymond Chandler y a mis la main), où il montre un couple criminel au sein d’une Amérique désenchantée.
La renommée internationale lui vient avec Le Poison, drame d’un alcoolique incarné par Ray Milland.

Wilder exécute ensuite un tour de piste goguenard dans la " viennoiserie " façon Hollywood, avec La Valse de l’empereur (1947) et La Scandaleuse de Berlin (1948).
Vient ensuite une période de sombres études de mœurs : Boulevard du crépuscule (195O) ; Le Gouffre aux chimères (1951) ; et Stalag 17, avec William Holden (1952).
Puis vient alors le film qui fera fureur et restera célèbre : Sept ans de réflexion (1955), comédie sur la frustration sexuelle de l’Américain moyen dans la chaleur torride de New York en été, avec Marilyn Monroe exécutant, comme à plaisir, les variations érotiques indiquées par le metteur en scène.
En 1956, L’Odyssée de Charles Lindbergh reconstitue la première liaison aérienne New York-Paris, en 1927, par le jeune aviateur solitaire qu’interprète James Stewart. On remarque l’originalité du récit construit sur des retours en arrière, figure de style chère à Billy Wilder.

Témoin à charge (1958), adaptation d’un drame criminel d’Agatha Christie, opposant Charles Laughton en avocat londonien rusé comme un renard, et Marlene Dietrich qui réussit à le duper par un tour de passe-passe.
La comédie qui connaîtra un succès triomphal, Certains l’aiment chaud (1959), traite l’époque de la prohibition sur le mode burlesque, et même parodique, avec une Marilyn Monroe plus attirante que jamais, Tony Curtis et Jack Lemmon travestis en femmes pour échapper à leurs poursuivants. Quiproquos, déguisements, situations cocasses, confusion sexuelle volontaire et réplique finale passée à la postérité : « Nobody is perfect ». Phrase que Billy Wilder pourrait revendiquer désormais, comme son cri de guerre teinté d’humour acide à la société américaine. La société mesquine, pitoyable est décrite avec un réalisme presque hallucinant par La Garçonnière (1960), une de ses œuvres les plus achevées exceptionnellement servie par Jack Lemmon et Shirley MacLaine.

Dans Un, deux, trois (1961), le réalisateur fustige l’impérialisme économique américain à Berlin-Ouest (James Cagney en représentant de Coca-Cola), les communistes de Berlin-Est, les Soviétiques, et les Allemands toujours prêts à magouiller les uns avec les autres. Mais le film, pour avoir été tourné au moment de la construction du " mur de la honte " à Berlin, tomba à plat à sa sortie. Irma la douce (1963), situé dans le quartier des Halles de Paris admirablement reconstitué en studio par Alexandre Trauner, marque, d’une certaine manière, la fin d’un genre chez le réalisateur qui n’aura bientôt plus le vent en poupe. Après la réussite esthétique d’Irma la douce, la construction un peu compliquée et l’immoralité profonde dans la dénonciation de la vie quotidienne américaine valent à Embrasse-moi idiot (1964) un échec public et financier.

En 1970, Billy Wilder se rabat sur le romanesque victorien, pour raconter La Vie privée de Sherlock Holmes. Brillant divertissement avec décors de Trauner. En 1974, Billy Wilder tourne avec l’acteur Jack Lemmon une version nouvelle de Spéciale première, pièce de Ben Hecht et Charles Mac Arthur sur les mœurs du journalisme à sensation en 1928, où il installe manigances politiques et phobie anticommuniste.
En 1978, Billy Wilder sera l’invité d’honneur du Festival de Cannes, où il présente Fedora. Ecarté par le nouvel Hollywood, il a pu réaliser ce film, tourné en grande partie à Munich et en France, grâce à des capitaux franco-allemands. « On m’a reçu en grande pompe à Munich », dira-t-il, « comme si toutes les gloires de l’UFA d’avant Hitler rentraient au bercail. Il est vrai que je suis le seul survivant ! ».
Wilder ne tournait plus depuis 1981. En retraite forcée, Wilder se consacrait à sa collection d’art moderne et contemporain, qui comptait des Schiele, Giacometti, Klee et Hockney.
(Jacques Siclier, Le Monde, 29 mars 2002)