Bon voyage, monsieur Pierre !

Par Jean-Noël Ferragut, AFC
C’était bien avant le début des années 1990 et mon arrivée à l’AFC, je ne faisais pas partie des connaissances de Pierre Lhomme mais j’ai souvenir d’être tombé en admiration, comme d’autres apprentis opérateurs de ma génération, devant les images de Quatre nuits d’un rêveur (1971), La Chair de l’orchidée (1974), L’Ombre des châteaux (1976), Mortelle randonnée (1983), par exemple. Que chaque film puisse donner aux petits jeunots de notre espèce l’impression d’un "sans faute", il semblait évident que l’opérateur derrière sa cellule et son verre de contraste fût un Monsieur.

Remontons le temps, Pierre, si tu le veux bien. En 1983, sans avoir jamais eu l’occasion de nous rencontrer, tu avais aimablement conseillé à la réalisatrice Pomme Meffre de m’appeler pour un projet de long métrage en Super 16 sur lequel tu ne souhaitais pas t’engager, Le Grain de sable. Film que Delphine Seyrig aura ensuite illuminé d’un bout à l’autre de sa grâce et de sa sensibilité (la vie d’une caissière de théâtre privée d’emploi se réfugiant dans le souvenir lointain d’un amour de jeunesse). Tu me faisais là un bien joli cadeau car porter ombres et lumière sur le visage de Delphine fut, quelque six semaines durant, un pur régal.
Les hasards d’un bref tournage avec Jean Eustache et de celui d’une "réclame" nous avaient réunis pour de courtes relations purement professionnelles. A propos de publicité, tu me permettras de rappeler une légende qui circulait sur toi à l’époque (les années 1970-80, quand ce milieu ne jurait que par la lumière "soft light" de nos confrères anglais). A savoir que certaines maisons de productions, pour mieux convaincre agences et clients, les incitaient à prendre comme chef opérateur un certain Peter Man ! Autres temps…
Puis est venu celui de faire plus ample connaissance à l’AFC. M’étant proposé de donner un coup de main sur La Lettre, de rédaction en comités de rédaction, nous échangions sur le contenu, entre autres, des entretiens qui se faisaient avec toi, avec de ta part ces mêmes exigence et rigueur qui furent sur les plateaux ta marque de fabrique. Tu m’appelais pour signaler telle sortie de DVD ou telle restauration que tu venais de terminer, me permettant de contacter les étalonneurs avec lesquels tu avais plaisir à travailler, les Ronald Boulet chez Eclair, François-Régis Viaud ou Sébastien Mingam chez Mikros. Et pour me faire part aussi de ta tristesse concernant certains de leurs collègues, que tu te gardais bien de nommer, car ils n’avaient, selon toi, pas plus de connaissances que de culture du cinéma…

Cinéma et cinéastes, c’étaient là, comme pour nombre d’entre nous, deux de tes principales raisons d’être… Tu m’avais même confié un jour que sur tes pièces d’identité, quand il te fallait nommer ta profession, tu n’indiquais pas directeur de la photographie mais justement cinéaste. Ta retraite à Fontvieille avait quel que peu espacé nos échanges mais il y a encore un an, tu me laissais un message téléphonique te disant particulièrement choqué par la publication dans La Lettre, au retour du Festival de Cannes 2018, d’un article de six pages écrit par une illustre inconnue. « Pour quelles raisons et de quel droit lui avions-nous donné tant d’importance ? », demandais-tu. Il s’agissait de Louise, jeune membre du jury CST du Prix Vulcain en fin d’études à l’Ecole Louis-Lumière ; elle avait écrit un texte, certes long mais d’une rare intelligence du cinéma, parlant avec pertinence des images qu’elle avait vues, nous paraissant justement, encore une fois, une graine prometteuse de cinéaste. J’avais préféré laisser passer, pensant que nul n’était à l’abri d’être un jour en contradiction avec lui-même…

Compte tenu de ton travail photographique exemplaire et de ta carrière inspirant le respect, j’avais pris l’habitude d’entamer nos conversations – de vive voix ou au téléphone – par un respectueux « Bonjour monsieur Pierre ». Et, au fil du temps, sans doute pris au jeu, tu me répondais d’un « Bonjour monsieur Jean-Noël ». Ce qui ne me rendait pas peu fier, sans fausse modestie t’avouerais-je, de ce respect mutuel.

Alors, Pierre, sans mysticisme aucun mais vu que tu as souvent qualifié, quand il t’était donné d’en parler, la lumière naturelle de « lumière du bon Dieu », et sûr que la déesse Lumière éclaire déjà de ses feux tes pas dans l’au-delà, je ne peux m’empêcher de te souhaiter « bon voyage, monsieur Pierre ! ».

En vignette de cet article, Pierre Lhomme au Micro Salon, en 2001 - Photo Sylvie Biscioni.