C’est ça l’amour

C’est ça l’amour est le deuxième film que je faisais avec Claire mais le premier où elle était seule réalisatrice. Elle revient à Forbach, sa ville natale, avec un film très personnel.
Julien Poupard (au centre) et Claire Burger
Julien Poupard (au centre) et Claire Burger

C’est ça l’amour explore l’amour sous toutes ses formes. Chaque personnage incarne une position différente face à lui à un moment critique de son existence. En plongeant au cœur d’une ville et d’une famille, dans un moment de crise, Claire voulait observer les liens qui se font ou se défont au gré des incompréhensions mutuelles. Raconter le désordre familial et social, comme une polyphonie où se confrontent les subjectivités de chacun.

Claire ne souhaitait pas faire un film aussi naturaliste que Party Girl mais elle cherchait une empreinte pour le film : elle souhaitait une image lumineuse et froide. L’histoire est oppressante, étouffante. On cherchait un contrepoint, ramener de la luminosité, de la poésie, une forme d’évasion. Une image à contretemps en quelque sorte. Souvent on pense qu’une image doit épouser les sentiments des personnages, et bien là, non. Elle doit raconter autre chose. On doit se sentir bien dans cette maison, comme un cocon, les souvenirs heureux. Le bonheur absent doit apparaître à l’image. Donc pas de couleurs agressives mais des couleurs pastel pour évoquer l’intimité. Une image froide mais pas nécessairement bleue.
On s’oriente vers une gamme de couleur pastels dont voici quelques références :

Essais Image
On a fait une première série d’essais chez TSF. On a comparé l’Arri Alexa Mini et la RED Helium. Ces essais étaient peu concluant. En étalonnage, on se rend compte que l’on zoome un peu plus facilement dans le 8K de la Red et le volume des cartes nous permet de tourner des plans très longs.
On est parti faire des essais dans les décors à Forbach. Avec mon assistant, Ronan Boudier, on a pris une caméra et deux optiques. On a fait le tour des décors et on a commencé à tester des axes, des plans, des mises en espace. Je filmais de manière brut, mon idée était de couvrir un maximum de décors en un minimum de temps. On s’est retrouvé avec 1h30 de rushes à l’étalonnage… On cherche alors à styliser l’image et naviguer dans ces gammes de bleu et rose pastel. Malheureusement les peaux se colorent vites et perdent de leur naturel. En touchant la courbe des rouges, on manquait de précision avec nos outils et les visages étaient rapidement impactés. On ne trouve rien de convaincant. Je me rappelle qu’à la fin de séance, Claire nous a dit, à Richard, l’étalonneur et moi : « Du moment que l’image du film ne ressemble pas à ce que l’on voit sur l’écran… » ! Et ensuite : « L’important ce n’est pas le résultat, c’est toutes les questions que l’on se pose, c’est précieux pour la suite » !!!
Le plus intéressant dans cela, c’est la recherche. Et il n’y a rien de plus fort qu’un réalisateur qui vous pousse dans des retranchements, qui vous fait sortir de votre zone de confort, des recettes acquises par l’expérience…

Conclusion de ces essais : pour ce film, l’étalonnage doit être assez transparent afin de préserver la peau et ses nuances, ses rougeurs… Et il faut faire exister ces couleurs pastels dans les décors. On a alors fait un travail très important en amont avec la chef déco, Pascale Consigny, pour faire exister ces couleurs bleu et rose pastel.
Sur ce type d’économie de film, il est évidemment inenvisageable de recréer les décors et de les réinventer entièrement. Donc on procède par soustraction et on décide avec la chef déco de supprimer la couleur rouge de tous les décors et accessoires. On travaille par touche, chaque tableau, chaque poster est pensé en terme de couleur.

3e série essai – Prelight Maison
J - 3 avant le tournage. Avec Claire, on utilise très peu de projecteurs et on s’amuse à éclairer les intérieurs avec des lampes praticables. On regroupe et on choisit toutes ces lampes avec Pascale. Pendant tout un après-midi, on les place, replace, déplace… On prépare le terrain car on sait que l’on va beaucoup déambuler. Il faut respecter l’appartement, ce qu’il représente mais il faut aussi qu’on s’y sente bien. Cette maison a un sens fort : c’est la métaphore de ce que Mario devient. L’amoncellement des choses. La lumière doit aussi épouser cette évolution.
Je filme avec la RED, seul, caméra à la main. On met tous les projecteurs sur dimmer.
Je regarde les tests le soir en appliquant la LUT, ce qui nous permet, le lendemain, de corriger : on retire des lampes et on en dimme beaucoup. On ajoute aussi des touches de couleur par endroit.
Pendant tout le tournage, on s’est amusé avec Claire à repenser les lampes de la maison et à les faire varier, de sorte que les ambiances de lumière reflètent ce que vit notre personnage, son évolution.

Le théâtre – Atlas
L’ambiance douce de la maison contraste avec celle du théâtre dans lequel le personnage de Mario se rend régulièrement. Nous avons recréé une pièce de théâtre nommée Atlas mise en scène par Ana Borralho et João Galante. Le dispositif d’Atlas est particulier puisque la pièce se crée avec les habitants d’une ville. C’est un processus durant lequel chaque participant doit trouver une phrase qui le raconte. Cette phrase exprime ce qu’il est, souhaite être ou vivre. Il s’agit de faire spectacle de son intimité, pour dire quelque chose de son monde.
Pour ces scènes, on a réfléchi à un autre dispositif : une lumière crue, plus du tout dans l’intimité. Il fallait faire apparaître une sorte de vérité qui tranche avec l’illusion dans laquelle Mario vit. Pour accentuer ce contraste avec, on a utilisé des projecteurs de théâtre type PAR 64 et varié la gamme de couleur du film, en se permettant davantage de couleurs chaudes.
Pour les échanges entre les participants à la pièce, on voulait être extrêmement réactifs et intervenir le moins possible. On avait donc deux cameras avec des zooms Angénieux Optimo 24-290 mm, sur des pieds à roulettes.

Le tournage
La méthode que nous avons élaborée avec Claire, au fil du temps, consiste à travailler le plus souvent en lumière naturelle. Cela nous permet de conserver l’énergie et la spontanéité du jeu. On travaille avec une grande liberté : sans marques au sol, sans aucun placement défini, on peut vraiment filmer à 360°, faire de longues prises. La première prise est souvent très libre, et au fur et à mesure des prises, on réinvente le découpage. Avec Claire, on avance de manière instinctive, le découpage n’est jamais préétabli, et c’est sa force : les acteurs évoluent librement sur le plateau, puis on invente le découpage au fur et à mesure.
Elle a réussi à créer une énergie fabuleuse entre ces acteurs pro et non pro, quelque chose d’extrêmement émouvant, je dois dire, et j’ai éprouvé un plaisir immense à les découvrir à travers la caméra et à me laisser embarquer par cette énergie contagieuse !

Portfolio

Équipe

Assistants caméra : Ronan Boudier et Cloé Chope
Chef électricien : Nicolas Maupin
Chef décoratrice : Pascale Consigny

Technique

Matériel caméra : TSF Caméra (RED Helium, objectifs Cooke S4 et zoom Angénieux Optimo 28-76 mm)
Matériel électrique et machinerie : TSF Lumière, TSF Grip
Laboratoire : M141
Etalonneur : Richard Deusy