Caméra d’Or 2010

par Gérard de Battista
Chaque année, un directeur de la photographie membre de l’AFC prend place au sein du jury de la Caméra d’Or.
Cette année, notre confrère Gérard de Battista a relevé le défi de cette captivante course contre la montre, tant le nombre de 1ers films à voir est grand, 24 pour le cru 2010.
Gérard nous livre ses réflexions.

Les œuvres en compétition pour la Caméra d’Or sont les premiers films issus des différentes sélections du festival : Officielle, Un Certain Regard, Quinzaine des Réalisateurs, Semaine Internationale de la Critique. Un seul film de la sélection officielle, Schastye Moe (Mon bonheur) de Sergei Loznitsa.

Présidé par le comédien Gaël Garcia Bernal, le jury était composé du réalisateur Stéphane Brizé (Mademoiselle Chambon, photographié par Antoine Héberlé), Charlotte Lipinska (syndicat de la critique) et Didier Diaz qui représentait la FICAM. Je trouve très intéressant ce mélange des genres dans la composition de ce jury, tous les horizons cinématographiques y sont représentés.

La Caméra d’Or a été décernée à Año bisiesto (Année bissextile) de Michael Rowe, photographié par Juan Manuel Sepúlveda, Quinzaine des Réalisateurs.
Le réalisateur, né en Australie, mais de nationalité mexicaine, a étudié l’anglais et la littérature postcoloniale à l’Université de La Trobe.
D’abord tenté par une carrière de dramaturge, il écrit trois pièces (Impudence & Innocence, Reprise for Godot et Sexual Harrasment) et obtient un prix de poésie à Melbourne.
Michael Rowe signe ici un film " totalement " latino-américain. Ce n’est pas un film d’image. Récit de la passion sexuelle violente entre deux êtres, l’action se déroule dans un petit appartement dont les personnages ne sortent pratiquement jamais. Une fois passé le choc de certaines séquences, la mise en scène, le rythme et l’écriture sont remarquables ; c’est pour cela qu’on lui a donné le prix.
L’actrice principale est excellente : Mónica Del Carmen n’est pas une héroïne et incarne le portrait d’une jeune femme modeste.
La sortie en salles est prévue le 16 juin 2010 ; projection le 6 juin à 16h30 au Forum des images.
Cette année, il nous avait été recommandé de ne décerner qu’un seul prix.
Une demi-douzaine de longs métrages avait retenu notre attention.
Celui de Michael Rowe était mon préféré, mais les autres suivaient de près.

Les discussions ont donc porté sur :
Armadillo, le documentaire danois de Janus Metz, photographié par Lars Skree, récompensé par le Grand Prix de la Semaine internationale de la Critique, décrit le cynisme croissant et la dépendance à l’adrénaline de jeunes soldats en guerre en Afghanistan. C’est dire que l’on n’a aucune empathie pour ces jeunes personnages que le réalisateur a suivis sur le terrain pendant six mois. Les scènes de combats sont fortes et bien réalisées avec des caméras numériques et des webcam fixées sur les casques des soldats. Mais à mon sens, ce n’est pas une première œuvre. Ce reportage, sans doute destiné à la télévision, a été gonflé en 35 mm et monté pour " sortir " en long métrage.

Somos lo que hay (Nous sommes ce que nous sommes) de Jorge Michel Grau, photographié par Santiago Sánchez, Quinzaine des Réalisateurs.
Un autre film mexicain, très bien photographié, sujet glauque avec des scènes de cannibalisme.

La Casa muda de Gustavo Hernández, photographié par Pedro Luque, Quinzaine des Réalisateurs.
Filmé avec une grande virtuosité en un seul plan-séquence de 78 minutes, avec un Canon. L’intrigue est basée sur une histoire vraie qui s’est passée à la fin des années 1940 dans un petit village d’Uruguay. C’est un film d’horreur tourné en fin de journée, l’image est assez désaturée, sauf le rouge du sang bien sûr…

Two Gates of Sleep d’Alistair Banks Griffin, photographié par Jody Lee Lipes, Etats-Unis, Quinzaine des Réalisateurs
Travail photographique remarquable. Deux frères transportent le cercueil de leur mère à travers une forêt, sujet particulièrement gai !

All Good Children d’Alicia Duffy, photographié par Nanu Segal, film irlandais tourné dans le Nord de la France, Quinzaine des Réalisateurs.
Les jeunes acteurs, Jack Gleeson, Imogen Jones, David Brazil, David Wilmot, Kate Duchene sont formidables.

Schastye Moe (Mon bonheur) de Sergei Loznitsa, photographié par Oleg Mutu, Sélection Officielle. Ce film ukrainien, réalisé avec beaucoup de moyens, était, à mon avis, en ce qui concerne la prise de vues, le plus intéressant de la sélection de la Caméra d’Or.

A noter que, qui dit premier long métrage, dit réalisateurs jeunes, parlant d’eux-mêmes, de leur univers, souvent de ce qu’ils ont vécu. C’était le cas des films français, ce n’est pas très original.
Malgré le décalage entre la solennité des manifestations officielles et les thèmes développés à l’écran, j’ai eu beaucoup de plaisir à être membre de ce jury, fier d’avoir été choisi, conscient de la responsabilité de cette tâche qui détermine peut-être la carrière d’un cinéaste en devenir.
(Propos recueillis par Isabelle Scala)