Caméra d’or féminine

Par Philippe Van Leeuw, AFC
Cette année, avec Nicole Garcia et quatre femmes pour trois hommes, le jury de la Caméra d’or était inattaquable du point de vue de la parité, petite tourmente médiatique qui a joué de spéculations ironiques avant que l’édition 2014 du Festival de Cannes ne commence.

Cela fait, une fois réunis, nous n’avons fait qu’un, heureux de nous rencontrer et de nous connaître, respectueux et attentifs les uns aux autres, jusqu’au bout de la délibération.
Avec seulement quinze films à débattre, la sélection des premiers longs-métrages de cette année était bien mince par comparaison avec la moyenne de trente films habituellement. Aucune analyse possible pourtant, si ce n’est que la crise mondiale frappe partout le cinéma d’auteur, autant qu’en France. Pas de films africains, le seul présent en compétition étant celui d’Abderamane Sissako, Timbuktu, un seul film latino-américain, pas de films arabes non plus, et seulement deux films réalisés par des femmes.

Cinq films ont suscité de l’enthousiasme parmi les membres du jury. Tous parlent de la femme à des degrés divers. Les Combattants, de Thomas Cailley, porté par Adèle Haenel avec un décalage et une fraîcheur étonnants, le bouleversant Dohee-Ya, de la Coréenne July Jung, qui raconte le parcours miné d’une jeune officier de police homosexuelle accusée de pédophilie, l’indien Titli par ce qu’il montre de l’évolution de la condition des femmes dans l’Inde contemporaine ou le très controversé The Tribe qui dénonce en creux l’instrumentalisation brutale du corps des femmes, et bien entendu Party Girl, réalisé par le trio Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis à partir du personnage de sa propre mère.

Si Party Girl l’a emporté c’est autant pour la beauté et la force du personnage d’Angélique, incarné par la mère de Samuel Theis, que pour les autres, frères et sœurs du réalisateur, ou l’incroyable Joseph qui tous développent les accents de la tendresse avec un abandon et une générosité fantastique. Le film, social bien entendu, ne copie pas les Dardenne ou d’autres cinéastes du social, il trouve son ton, sa couleur propre, a la fois documentaire, mais très maitrisé dans le récit et dans la forme.
Les images de Julien Poupard sont délicates et attentionnées, le regard des trois réalisateurs ne se perd jamais en complaisance ou par manque de distance et l’authenticité de ce parcours de femme surprend par son ampleur. Angélique est toutes les femmes à la fois, mère, grand-mère et fille, adolescente sans âge qui croit encore qu’il n’y a pas d’âge justement pour s’amuser et faire la fête, et que rien n’est plus important que la liberté.

Au final, une Caméra d’or portée haut par Nicole Garcia et son jury, avec les adieux de Gilles Jacob qui, en remettant le prix, boucle cette longue marche de 38 ans d’un irremplaçable travail pour le rayonnement du cinéma d’auteur dans le monde face aux machines américaines jamais en sommeil.

(En vignette de cet article, le jury de la Caméra d’or. De g. à d. : Lisa Nesselson, Sophie Grassin, Héléna Klotz, Gilles Gaillard, Nicole Garcia, Richard Anconina, Philippe Van Leeuw - Photo Loïc Venance / AFP)