Changeling (L’Echange)

de Clint Eastwood, photographié par Tom Stern, ASC, AFC

Tom Stern, ASC, AFC, est un homme qui ne chôme pas.
Enchaînant les tournages à travers la planète, il est certainement l’un des directeurs de la photographie les plus courtisés du moment. Finissant fin octobre à Prague les prises de vues de Faubourg 36 (de Christophe Barratier), il a sauté dans un avion pour attaquer deux jours plus tard celles du nouvel opus de Clint Eastwood, tourné en Californie. Depuis, il commencé le nouveau Pavel Lounguine, à 200 km de Moscou, avant de repartir avec Clint Eastwood dès la rentrée !
Entre deux avions, il a quand même pris le temps de se poser dans son café parisien préféré (Le Select, boulevard Montparnasse) pour parler de Changeling et se réjouir en même temps de sa récente entrée à l’AFC.

Quel est le thème de Changeling  ?

Selon l’expression consacrée, ce film est " tiré d’une histoire vraie ". Celle d’une mère élevant son enfant seule à Los Angeles dans les années 1920 et qui se retrouve confrontée à la disparition de ce dernier. Son combat pour le retrouver, face aux préjugés de la société américaine de l’époque sur les femmes seules, et à la corruption latente qui régnait alors dans les services de Police. C’est très intéressant, car le personnage interprété par Angelina Jolie dans le film aurait selon moi tout à fait pu être un rôle interprété par Clint lui-même dans un autre film. Mon plus grand plaisir sur ce film fut de voir comment elle a construit ce personnage et comment elle l’a interprété devant la caméra. Un boulot proprement stupéfiant.

Quel style d’image avez-vous choisi ?

D’une certaine manière, on a un peu eu la même approche que sur Mystic River. C’est-à-dire montrer la vie quotidienne des personnages, dans tout ce qu’elle peut avoir de banal et de réaliste à la fois dans le choix des lieux et des situations. Avec bien sûr une différence de taille : c’est un film d’époque ! Et parvenir à transmettre cette impression à l’écran avec des décors et des lieux des années 1920, sans jamais jouer la carte du romantisme, c’est une autre paire de manche ! Pour cela, l’équipe a énormément travaillé sur les repérages, Clint essayant par exemple de privilégier certains endroits moins " connus " dans les films. Par exemple, on a évité certaines lieux célèbres de Pasadena, qui ont été filmés maintes et maintes fois, pour se diriger vers des endroits plus éloignés comme San Bernadino (la gare) ou pour la maison d’Angelina Jolie. Une maison trouvée dans une communauté un peu coupée du monde moderne, un peu comme les Amishs de Witness.

Il y a eu aussi un gros travail d’effets numériques invisibles pour recréer certaines façades en arrière plan ou les lignes de tramways de l’époque, qui ont complètement disparus depuis.
Michael Owens, le superviseur des effets spéciaux qui collabore avec nous depuis plusieurs films, fait un très beau travail, tout en finesse.
En tout on a tourné un peu moins de 40 jours. Comme sur tous les films de Clint Eastwood, le rythme était soutenu et les séquences d’extérieur jour m’ont demandé une attention constante au spotmètre et à la cellule !

Aviez-vous des références particulières ?

On a évoqué Day of the Locust, un film que Conrad Hall avait magnifiquement mis en images, de manière très sobre. En termes d’outils, on n’a pas vraiment changé notre méthode de travail habituelle. Le film est par exemple tourné en anamorphique, avec la série d’optiques que j’ai adoptée depuis Mystic River. Une vieille série C remise à jour pour moi par Panavision, qui me permet de bénéficier des avancées optiques les plus récentes (traitement anti-reflets, qualité de verre…) dans le cadre d’objectifs compacts et assez légers (comparés aux Primo ou autre série E). Parmi les petites nouveautés dans la série, j’ai pu bénéficier d’une optique 25 mm Scope, qui malgré son angle de champ très large ne déforme absolument pas la perspective.
La seule chose sur laquelle on a quand même un peu changé de direction, c’est celui de la profondeur des noirs. On s’est un peu éloigné du style d’image très dur et désaturé, style ENR, qu’avait pu prendre les deux derniers films de guerre (Flags of Our Fathers et Letters from Iwo Jima). Peut-être parce qu’on s’est un peu lassé ensemble de la noirceur, et sans doute aussi parce que trop de monde s’est depuis mis à mettre ce type d’image à toutes les sauces !

Ces optiques portent désormais votre nom sur les caisses… Elles vous sont réservées à titre personnel ?

A vrai dire, comme je tourne en ce moment film sur film, je les emporte avec moi presque tout le temps… Il n’y a que sur le film russe que je suis en train de finir avec Pavel Lounguine que j’ai choisi de tourner en Super 35. Essentiellement parce que je ne pouvais pas emmener mon équipe image, et je ne savais pas trop sur qui j’allais tomber… C’est Seamus Mac Garvey (chef opérateur d’Atonnement, de World Trade Center…) qui a du coup pu les " emprunter " pour un film…

Le fait d’avoir tourné récemment votre premier film français (Faubourg 36) a-t-il modifié un peu votre façon de travailler ou d’envisager les choses ?

En fait, je crois que je travaillais depuis déjà assez longtemps dans un esprit européen sans vraiment m’en rendre compte. Que ce soit en tant que " gaffer " aux cotés de Willy Kurant ou de Conrad Hall, nos méthodes et nos styles s’apparentaient à mon sens beaucoup plus à du cinéma anglais ou français qu’à des produits hollywoodiens. Faubourg 36 a surtout été pour moi un enchantement grâce à ses parties musicales, et à l’extrême joie qu’on a alors de filmer.
Je me suis retrouvé un peu dans le même état d’esprit dans lequel j’avais pu être sur Romance and Cigarettes, le film de John Turturro. Avec, je dois le mentionner, la très belle collaboration entre ma lumière et les décors de Jean Rabasse.

Comment avez-vous étalonné Changeling  ?

Le film est passé par la chaîne numérique (DI), mais je n’ai pas pu l’étalonner moi-même, car j’étais déjà parti en Russie. Avec le coloriste, on a échangé des images de référence par Internet et on a discuté à partir de ça. Je pense que je vais découvrir le film comme vous à Cannes. J’espère ensuite pouvoir passer une semaine à Los Angeles pour finaliser le travail avant la sortie du film prévue pour la rentrée.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)