"Cinéma : Bruxelles maintient presque en l’état les aides territorialisées"

Par Alain Beuve-Méry

La Lettre AFC n°237

Le Monde, 15 novembre 2013
Tout est bien qui finit bien ! Après trois consultations publiques, plus deux ans de discussions et de nombreux allers-retours entre la Commission européenne et les différents Etats membres, Joaquin Almunia, commissaire européen chargé de la concurrence, a rendu publique, jeudi 14 novembre, sa réforme des aides publiques au cinéma. Les professionnels du cinéma français, qui redoutaient une atteinte au principe de l’exception culturelle, devraient être soulagés.

Deux points continuaient de bloquer les négociations, l’un concernait la discrimination des aides, l’autre leur territorialisation. Les responsables français, mais aussi allemands, des industries cinématographiques craignaient qu’une libéralisation du système d’aides publiques au cinéma n’entraîne une délocalisation massive des tournages en Europe centrale et orientale.
Concernant l’introduction d’une clause de non-discrimination selon l’attribution des aides, Bruxelles a décidé de ne plus faire référence au sujet, dans le texte présenté jeudi. La Commission a renoncé à interdire « toute restriction à la prestation de service sur l’origine des biens et services ». Ce retrait satisfait la France et l’Allemagne, dont les systèmes d’aides étaient potentiellement menacés.
Mais la principale pierre d’achoppement concernait le lien entre le montant des aides publiques et leurs dépenses sur un territoire. Jusqu’à présent, tout Etat ou toute région qui mettait 1 euro d’aide dans la production d’un film pouvait exiger que 80 % du budget total soit dépensé sur son territoire. Pour la Commission, ce montant était trop élevé.

La porte est ouverte
Le réexamen de la territorialisation des aides était prévu dans le précédent texte européen qui datait de 2001 et était arrivé à expiration en décembre 2012. La Commission souhaitait parvenir à un cadre juridique plus solide, puisque ce dispositif constitue une entrave à la liberté de circulation des biens et services, au nom de l’exception culturelle.
Un compromis a été trouvé. Un producteur pourra toujours dépenser une partie de son budget sur le territoire de la collectivité publique qui soutient son film, mais cette part ne pourra pas excéder 160 % de l’aide publique versée. En France, cette mesure était jugée trop restrictive, jusqu’à ce que les autorités publiques découvrent qu’elle peut se conjuguer avec un autre dispositif.
Bref, la porte reste ouverte à la territorialisation des aides y compris au niveau de 80 % de dépenses du budget total, mais sous certaines conditions. Ce sera notamment le cas pour les " œuvres dites difficiles ". Charge aux Etats membres de définir cette catégorie : ce sont les films qui ont un petit marché et dont les aides publiques importantes n’affectent que très peu le marché, par exemple un film utilisant une langue rare.

Par ailleurs, le texte reprend des dispositions antérieures en les élargissant. Ainsi si l’aide publique à un film ne doit toujours pas dépasser 50 % des coûts de production du film, ce montant passe à 60 % pour les coproductions. Par ailleurs, les aides publiques sont étendues à toutes les phases de réalisation et de production d’un film, de l’écriture du scénario jusqu’au soutien aux salles.
Ce nouveau texte n’a pas de limitation dans le temps, comme le précédent. Mais Bruxelles pourra revenir sur le sujet avec les Etats membres, car la question des aides publiques demeure une compétence exclusive de l’Union.

(Alain Beuve-Méry, Le Monde, 15 novembre 2013)

Une " victoire majeure " pour Filippetti
« La préservation de la territorialisation est une victoire majeure, fruit de la mobilisation de tous les professionnels et acteurs publics. Ce n’était pas gagné d’avance, nous avons réussi à convaincre la Commission et modifier profondément le texte initial. C’est un grand sujet de réjouissance et un enjeu majeur pour la diversité », a réagi Aurélie Filippetti, la ministre de la culture, lors d’un point de presse.

La société civile des Auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP) a salué cette « heureuse conclusion ». Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD), s’est également félicité de cette décision mais a regretté « qu’on doive se battre pendant un an pour sauver les meubles ».