"Convention collective : OK querelles"

Billet par Bruno Icher

La Lettre AFC n°231

Libération, 17 avril 2013

Un parfum de veillée d’armes flotte sur le cinéma français. Avant l’entrée en vigueur de l’extension de la convention collective, en juillet, partisans et opposants se livrent bataille à coups de communiqués cinglants, de pétitions et d’appels à la mobilisation générale, voire à l’arbitrage du président de la République.

Certains engagent leur nom et leur réputation, d’autres en appellent aux intérêts supérieurs de l’exception culturelle, et le ton monte. Si le principe même de l’extension ne semble plus faire de doute, son application inquiète au plus haut point une majorité de producteurs indépendants français. Le risque, disent-ils, est considérable de voir 40, 50 ou 70 films fragiles rayés de la carte dans les années qui viennent si la profession applique à la lettre les tarifs syndicaux de cette extension. « Caricatural », répondent les partisans de la convention (parmi lesquels la CGT mais aussi l’API regroupant les groupes les plus puissants de France, Gaumont, Pathé, UGC, MK2…), qui dénoncent un sous-financement chronique des films dont les victimes seraient systématiquement les techniciens qui se considèrent comme la « variable d’ajustement du cinéma français ». De plus, ajoutent ces mêmes partisans, la commission paritaire, qui attribuera des dérogations aux films à petit budget (moins de 2,5 millions d’euros pour les fictions et moins de 1,5 million pour les documentaires) pendant les cinq prochaines années, permettra de réfléchir à une refonte du système de financement du cinéma français sur des bases saines, tout en permettant à ces fameux films fragiles de se faire quand même. « Impossible », jugent les syndicats de producteurs qui fournissent des listes impressionnantes de films réalisés ces cinq dernières années et qui, avec ou sans commission dérogatoire, n’auraient pas pu voir le jour dans le cadre de cette extension. A force de monter dans les aigus et l’indignation, le débat se radicalise à grande vitesse. Pour un observateur extérieur, l’opposition finit par ressembler à « la défense de la classe ouvrière bafouée » contre « la préservation du cinéma d’auteurs français ». Le ton monte si vite et si fort que, déjà, certains prédisent un Festival de Cannes houleux, d’autant que la mission de Raphaël Hadas-Lebel, médiateur nommé le 28 mars par le gouvernement pour rapprocher les deux parties, touchera alors presque à sa fin. Dans le cadre de l’enquête réalisée par Libération, qui paraîtra prochainement dans le " cahier Cinéma ", nous avons rencontré des professionnels, impliqués à divers titres dans cette confrontation. Un grand nombre d’entre eux disent leur inquiétude de voir monter la tension au sein d’une profession qui, en dépit des conflits qui la traversent régulièrement, a toujours réussi à surmonter les crises. La plupart disent aussi que, derrière les discours qui se durcissent, il y a une volonté partagée par le plus grand nombre de voir perdurer la diversité du cinéma français. La grande majorité admet enfin que le système de financement du cinéma, dans sa forme actuelle, aurait bien besoin d’un rafraîchissement. Il serait difficilement compréhensible, compte tenu de tous ces points de convergence, que le cinéma français ne finisse pas par trouver un terrain d’entente.

(Bruno Icher, Libération, 17 avril 2013)