Convention collective, les producteurs font le forcing

Par Marie-José Sirach

La Lettre AFC n°231

L’Humanité, 3 avril 2013

La prochaine application du texte provoque un débat houleux dans la famille 
du cinéma. 
Le ministère 
de la Culture 
a annoncé, 
ces jours derniers, la nomination d’un médiateur sur le sujet.

Depuis l’annonce faite par le gouvernement de son agrément à l’extension (application) de la convention collective qui encadrera les métiers du cinéma à compter du 1er juillet prochain, les producteurs non signataires ont rédigé un texte signé par plus de mille producteurs et réalisateurs à l’intention des pouvoirs publics pour qu’ils sursoient à cette décision. Ceux-ci considèrent en effet que cette convention menacerait « directement chaque année 20 000 emplois intermittents dans le cinéma et la publicité et 70 films de longs métrages, 600 courts métrages et 180 films publicitaires en France ». Ils demandent aux pouvoirs publics de « prendre toutes leurs responsabilités et de s’interdire toute décision brutale » et, par conséquent, de « stopper l’extension et de procéder à une évaluation d’impact complète afin de renvoyer les parties à la négociation d’un texte équilibré défendant l’emploi et la diversité culturelle ».

Mais de quoi parle-t-on, 
au juste ?
De quelle brutalité ? Il aura fallu sept ans de pourparlers pour qu’en janvier 2012 soit signée une convention collective. Les producteurs non signataires ont mené ces négociations avant de quitter la table juste avant leur terme. Et puis plus rien. Sous le règne Sarkozy, les ministres du Travail et de la Culture avaient repoussé sous le tapis ce texte et son application. Entre-temps, changement de majorité. Les nouveaux ministres de la Culture et du Travail se sont déclarés favorables, dès le mois de mai, à l’extension de cette convention collective et ont réaffirmé leur position de concert provoquant, soudain, l’ire des producteurs non signataires. Ces derniers faisant mine alors de découvrir ce qui leur tombait dessus. Pour mémoire, il existe des barèmes de salaires dans les métiers du cinéma hérités d’une convention ancienne jamais étendue et donc non obligatoire. Mais tout le monde jouait le jeu. Y compris certains syndicats d’employeurs non signataires aujourd’hui qui, chaque année, la validaient. Jusqu’à ces dernières années, où, au nom de la crise, l’on constate que les salaires deviennent une variable d’ajustement pour le financement des films : – 10 %, – 20 %, – 30 %...

Parallèlement à cette pression salariale, on a assisté à une augmentation notable du nombre de films et à l’émergence de nouvelles formes cinématographiques. Dans ce même mouvement, des films à gros, très gros budget, ont monopolisé, vampirisé les écrans, écrasant tout sur leur passage. Les derniers chiffres du CNC pour l’année 2012, rendus publics ces jours-ci, en attestent. L’écart se creuse bel et bien entre les films riches et les films sous-financés. La faute à une convention collective qui n’existe toujours pas ?

Autre mouvement aussi inquiétant : les délocalisations des tournages. Selon la Fédération des industries du cinéma et de l’audiovisuel, «  le nombre de semaines de tournage de longs métrages à l’étranger (+ 31 %) suit une évolution opposée à celle du nombre de tournages en France (– 19 %)  », le taux de délocalisation entre janvier et septembre 2012 dépasse de loin les chiffres antérieurs. La faute à une convention collective qui n’existe pas ?

Info ou intox ? Quelques approximations...
Ces détracteurs estiment que son extension compromettrait les films « fragiles », les films d’auteurs et que son application, contraignante – respect de la grille des salaires, paiement des heures supplémentaires, des heures de nuit – empêcherait 70 films d’exister. Nul ne sait très bien d’où sort ce chiffre, mais il circule. Tout comme l’argument de « l’obligation de constituer des équipes techniques complètes » : cela ne figure nulle part dans le texte de la convention mais ça fait partie de l’argumentaire. Quant au court métrage, dont il est précisé des clauses dérogatoires, notamment pour les salaires, ne souffre-t-il pas, avant tout, d’un sous-financement chronique ?

Techniciens, ouvriers et réalisateurs, par le biais de leurs associations professionnelles respectives, tentent de faire savoir, ces jours-ci leurs positions. Pour beaucoup, ils se disent favorables à la convention collective et regrettent les pressions qui s’exercent en coulisses. On leur reproche leurs salaires « exorbitants ». À l’échelle d’une semaine, ça peut paraître important. À l’échelle d’une année, ils n’ont rien d’excessifs. Et c’est oublier la discontinuité de l’emploi, et donc la précarité bon an mal an acceptée par tous, qui est une spécificité de leurs métiers.

S’ils ont du mal à se faire entendre, tel n’est pas le cas des pétitionnaires anti-convention. Cette pétition, qui semble avoir eu raison de la détermination de la ministre de la Culture, est signée par des acteurs très bien payés, des réalisateurs stars, un publiciste maire d’arrondissement de la Ville de Paris, des réalisateurs qui dénoncent le grand capital dans leurs films mais ne veulent pas dans leur jardin d’un encadrement social du travail. Et puis ils ont bénéficié d’un intermédiaire suffisamment proche de la ministre (comme elle, il est lorrain) en la personne de Denis Robert qui se vante sur les réseaux sociaux d’avoir convaincu la ministre qu’agréer ce texte « serait une énorme boulette ». La ministre l’aurait rassuré en lui annonçant la nomination d’un médiateur chargé de renouer le dialogue rompu. Nous avons tenté de joindre Aurélie Filippetti. En vain. Sûrement parce que je ne suis pas lorraine…

Lire aussi les tribunes " Lettre des monteurs aux producteurs ", par les Monteurs associés (LMA), ainsi 
que " Il se joue un drôle de drame dans le cinéma, par la Société 
des réalisateurs de films (SRF).

(Marie-José Sirach, L’Humanité, 3 avril 2013)