"Coup de projecteur sur les chefs opérateurs", en flash-back

La Lettre AFC n°290

Parfois l’actualité brûlante fait passer sous silence des informations intéressantes à relayer. Tel fut le cas en mai dernier où, alors que le Festival de Cannes battait son plein, l’hebdomadaire Télérama publiait sur son site un article dans lequel Laurent Rigoulet donnait un coup de projecteur sur les chefs opérateurs. Mieux vaut tard que jamais, en voici un extrait.

Comment éclairer une star ? C’était une question de technique autant que de dialogue entre elle et le chef opérateur. Aujourd’hui, c’est une autre affaire... Rencontre avec un acteur, Rupert Everett, et trois grands noms du métier, Willy Kurant, Darius Khondji et Benoît Delhomme. [Tous les trois membres de l’AFC - NDLR]

« Que sont les stars et le glamour devenus ? », s’inquiète Rupert Everett dans sa récente autobiographie, Tapis rouge et autres peaux de banane. Avec un penchant assumé pour la provocation et la coquetterie : « Les photographies de mode sont de plus en plus élaborées, travaillées, retouchées », écrit-il. « Alors que le cinéma montre les visages sous leur aspect le plus banal. La peau a la texture d’un sachet de thé. Les filles les plus étourdissantes ont l’air de souffrir d’emphysème... » Quand on lui demande de préciser sa pensée, le comédien anglais, intime de Madonna et demi-star lui-même, en rajoute dans la nostalgie et insiste sur la légèreté avec laquelle les acteurs sont mis en lumière dans « 80 % de la production actuelle ». « Un savoir-faire est en train de se perdre », dit-il. « Les monstres sacrés du septième art doivent la moitié de leur performance aux chefs opérateurs, qui utilisaient la lumière comme un pinceau sur leur visage. D’innombrables carrières reposent sur un bel éclairage... » Il s’appuie sur son propre exemple de jeune premier anglais rêvant, dans les années 1980, de devenir « une beauté internationale » : « Quand j’ai débuté, j’avais un physique bizarre, tout en moi était faux, comme chez beaucoup de stars des années 1920. Dans mes premiers films, j’ai tiré un immense profit de lumières superbement construites. Ensuite, je me suis souvent senti abandonné. »

« Dans la plupart des films, français notamment,
les acteurs ne sont plus caractérisés,
distingués, par la manière dont ils sont éclairés. »

Rupert Everett est intarissable sur le sujet. Et, selon lui, beaucoup de comédiens le suivraient s’ils se laissaient aller à parler. Ses propos trouvent immédiatement un écho passionné chez les chefs opérateurs auxquels on les soumet : « Il a raison, notre métier est dévalorisé », dit Willy Kurant, qui a travaillé avec Orson Welles et Maurice Pialat, Catherine Deneuve et Jeanne Moreau. « Dans l’essentiel de la production, il y a de moins en moins de réflexion sur la technique, de temps consacré au dialogue entre les chefs opérateurs et les comédiens. Et, avec le numérique, tout passe par l’écran de contrôle ; or l’échange des regards, la proximité, la confiance sont des valeurs essentielles de la photographie. » Darius Khondji, qui œuvre actuellement à éclairer en majesté Michelle Pfeiffer pour le nouveau film de Stephen Frears, s’amuse de la question : « C’est drôle qu’un acteur dise ça aujourd’hui. J’ai effectivement l’impression d’avoir le rare privilège de travailler dans un cinéma où l’on se soucie encore de la lumière. Dans la plupart des films, français notamment, les acteurs ne sont plus caractérisés, distingués, par la manière dont ils sont éclairés. » Manque de temps, d’exigence, voire de compétence. Et Benoît Delhomme, qui s’apprête à tourner Shanghai, avec Gong Li, déplore l’omniprésence d’une lumière douce, assez étale, sans caractère ni contrastes : « Dans les comédies qui envahissent les écrans, le décor est aussi important que les acteurs, il faut tout voir et tout est traité sur un même plan. Les comédiens doivent en souffrir... »

Lire la suite de l’article sur le site Internet de Télérama.