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Entretien avec le directeur de la photographie Tristan Chenais à propos de son travail sur le vidéo clip "New Start"

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Tristan Chenais partage son travail entre la France et le Royaume-Uni, où il a fait ses classes au sein de la National Film and TV School. C’est d’ailleurs dans cette école qu’il a rencontré le réalisateur Richard Hall avec lequel il collabore depuis régulièrement en publicités et en clips. "New Start", pour le chanteur Moss Kena, est l’un d’entre eux, produit au sein de Riff Raff Films, une des plus prestigieuses sociétés de pubs et clips londonienne. (FR)

Quel est la genèse de ce clip ?

Tristan Chenais : On se connaît avec Richard Hall depuis nos études. C’est devenu un ami et j’adore les idées saugrenues qu’on brasse régulièrement ensemble de projet à projet. Comme on le sait, les tournages de clip et de pub sont souvent considérés comme des laboratoires à la fois technique et artistiques. Et c’est dans cette direction qu’on travaille souvent, en partant d’une idée un peu folle pour l’adapter peu à peu au film et se diriger parfois vers le surréalisme. Sur ce film, par exemple, on a eu la chance de se retrouver à travailler assez simplement, comme entre amis. Parce que le budget de départ était vraiment petit (environ 10 000 euros), et qu’on était dans une structure de production très établie... Alors, une fois le concept validé, vous êtes complètement libre !
En outre, Richard ayant fait ses classes en tant qu’assistant au sein de la production, il a parfaitement appris à monter les dossiers artistiques pour les réalisateurs établis. Maintenant il maîtrise cet aspect important du travail en préproduction, et ça nous permet de se sentir assez à l’aise autant en termes visuels que par rapport aux relations avec la prod’ ou la maison de disque.


Des références à citer ?

TC : Pour moi, un plan extrait de Laurence Anyways, de Xavier Dolan, au début du film. On y voit le personnage principal assis dans sa voiture, dans un plan tourné au 8 mm, avec une composition très centrale. Cette simplicité et ce dénuement m’ont semblé parfaitement convenir à l’idée qu’on avait du concept, à savoir une sorte de temps suspendu à l’intérieur d’une voiture, tandis qu’elle s’enfonce sous l’eau à l’issue d’un accident.

"Laurence Anyways", de Xavier Dolan
"Laurence Anyways", de Xavier Dolan


Rapidement, on a dû convenir que la couche visuelle correspondant à l’accident serait hors budget. On a dérivé en amenant le concept vers une sorte de naufrage intellectuel plus mental, circonscrit à l’intérieur du véhicule. Autre exemple, alors que l’artiste devait être au volant dans le script d’origine, on s’est adapté aux contraintes de place pour pouvoir dégager suffisamment d’espace pour la caméra en le plaçant côté passager. À la fin on part vers quelque chose de beaucoup moins réaliste que ce qui était prévu, et je trouve que les contraintes qui nous ont dirigés vers ces choix étaient dans fond plutôt libératrices...

"Laurence Anyways", de Xavier Dolan
"Laurence Anyways", de Xavier Dolan

Comment avez-vous pu mettre en place ce dispositif de voiture remplie d’eau ?

TC : Une des clés de la réussite du tournage a été pour nous l’excellente relation avec Artem. Cette société britannique fabrique non seulement des machines à fumée qui sont assez réputées dans le milieu de la prise de vues mais également toutes sortes d’équipements ou d’effets de plateau sur demande. À la condition qu’on aille tourner sur le parking pour éviter les déplacements et économiser beaucoup d’argent, on a pu totalement bénéficier de leur expertise. Et ce à la fois pour étanchéifier le véhicule, le remplir d’eau (soit quand même 1,5 tonnes d’eau au final !) et surtout gérer l’aspect mécanique, c’est-à-dire placer la voiture sur des vérins pour pouvoir créer les mouvements à l’intérieur au fur et à mesure de la narration. C’était un vrai défi technique et d’ingénierie mécanique. Le clip étant tourné sur une seule journée - en extérieur donc - au mois de mars, il a fallu également gérer la température de l’eau de manière à ce que l’artiste et moi-même à la caméra puissions tenir les huit heures de tournage immergés. Une eau un peu fraîche au départ pour éviter de tomber vite dans la somnolence, qui se réchauffe au fur et à mesure de la journée...


Et le choix de la voiture ?

TC : Comme on désirait avoir à l’écran une direction artistique un petit peu années 1990, toujours en référence avec le film de Dolan, le choix de la Mercedes s’est justifié tout simplement de par son côté spacieux intérieur. C’était à vrai dire la voiture la plus spacieuse du marché sans tomber après dans les monospaces qui faisaient trop modernes et qui manquaient de patine. En plus, il fallait vraiment un châssis et de la mécanique très robuste pour pouvoir supporter le poids de l’eau et les mouvements provoqués par les vérins. Pour la petite histoire, on a eu, dans le dernier tiers de la journée, une panne de vérins, qui a subitement fait basculer la voiture et crée une vague beaucoup plus forte que prévu à l’intérieur. On tournait à ce moment-là et on a même conservé la prise au montage ! Heureusement il n’y a pas eu de dégâts ni de blessures, mais je dois avouer qu’à la fois pour moi et pour l’artiste cet incident nous a redonné de l’adrénaline, boostant soudain une fin de journée qui commençait à sombrer dans la torpeur !


Quelles optiques avez-vous choisies ?

TC : Je me suis dirigé vers deux configurations distinctes. D’une part tous les plans extérieurs qui pouvaient s’assimiler à des portraits, ou des textures de l’eau (comme les plans d’ouverture), tournés avec la nouvelle série Zeiss Supreme, qui est faite pour couvrir le très grand capteur "full frame" de l’Alexa LF. Utilisés ici avec une Alexa Mini en 4/3 "open gate", on n’exploite que le centre optique des objectifs, et je trouve qu’on obtient une image très droite, avec très peu vignettage, très rigoureuse... un peu à la Jeff Wall.
Pour le reste, c’est-à-dire tout ce qui se passe dans la voiture en partie sous l’eau, j’ai utilisé un simple 14 mm Master Prime, ce qui m’a permis d’intégrer l’allongement de focale liée à la diffraction avec l’eau. Tout ces plans dans la voiture ont été tournés avec un "splash bag", en laissant vivre l’image au fur et à mesure des prises - dans l’ordre chronologique - tandis que l’eau vient éclabousser la vitre, ou que de la buée se forme au fur et à mesure sur les vitres de la voiture ou sur le hublot du "splash bag" à proprement parler. C’est presque autant un portrait de l’eau et de la buée qu’un portrait de l’artiste...

Et la lumière ?

TC : En lumière, j’ai opté pour quelque chose de très simple, à savoir exploiter au départ la lumière du jour puisqu’on tournait en extérieur sur ce parking. Pour peu à peu basculer vers la nuit, en jouant avec soit un effet "hélicoptère" construit au-dessus du toit de la voiture (pour simuler un déplacement mais sans grande réalisme) ou bien des tubes LED Astera pour générer ces lumières beaucoup plus contrastées qui partent ensuite dans le rouge ou le sodium à la fin du clip. Je trouvais ces couleurs très chaudes, parfaites pour venir en contrepoint du vert et du cyan généré par l’eau, beaucoup plus présents, eux, dans l’ouverture de la chanson. Au début, j’avais même dans l’idée d’utiliser ces tubes Astera, qui sont autonomes (batterie incorporée), sous l’eau mais ça n’a pas été possible...

Du ralenti ?

TC : On a dû tourner au ralenti à 200 i/s sur la Mini mais en aucun cas à des cadences phénoménales comme souvent en publicité quand on filme des liquides. En fait, moi, je n’aime pas trop la très haute vitesse et je m’ennuie assez vite sur ce type d’images. Sur "New Start", on a également un peu fermé l’obturateur pour diminuer le "motion blur", mais c’est surtout avec l’aide des flashes de lumière rouge des Astera qu’on aboutit à ces représentations fugaces de l’eau qui se déplace.

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC

Voir une séquence de making of

Moss Kena - "New Start"
Production : Riff Raff Films UK
Réalisation : Richard Hall

Vidéo officielle (4’ 46’’)


https://www.youtube.com/watch?v=nP5DN-n9vrU