Décès du directeur de la photographie Robby Müller, NSC

La Lettre AFC n°289

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Reconnu pour son travail sur les films de Wim Wenders, Jim Jarmusch et Lars von Trier, entre autres réalisateurs, où la technique se dissimule derrière le rythme et la grâce des mouvements de sa caméra et l’usage expressif qu’il fait de la lumière naturelle et de la couleur, le directeur de la photographie néerlandais Robby Müller, NSC, est mort à Amsterdam, mardi 3 juillet 2018, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Agnès Godard, AFC, qui fut son assistante sur Paris, Texas, témoigne ; Wim Wenders, quant à lui, devrait le faire prochainement.

Robby est parti, pour plus de lumière cette fois.

J’ai passé une après-midi chez lui à Amsterdam il y a huit mois. Son lit faisait face au grand canal et il regardait la lumière transformer le point de vue magnifique, ciel, maisons, arbres, cyclistes… totalement hollandais.

Je ne vous montrerai pas les photos que j’ai faites de ce moment.
Mieux vaut regarder les images qu’il a faites. Celles de films personnels et de production. Ou bien ses Polaroïds qu’il a classés par centaines.
Ses images laissent sans mots parce qu’elles traversent le temps.
Il n’y a rien à dire si ce n’est qu’elles disent ce qu’il faut.

Sur Paris, Texas, lors des débuts de journée, tout semblait avoir été préparé,
tout semblait facile. Pourtant, au bout de quelque temps, je me suis rendu compte que Robby était essentiellement guidé par ce qu’étaient les lieux et la lumière du jour de tournage. Il n’hésitait pas un seul instant à épouser le contraire de ce qui avait été repéré et projeté. Il vivait au temps présent la matière que lui proposait l’instant. Il se mettait en route avec une aisance qui dissimulait totalement la connaissance technique requise pour transporter ce qu’il avait perçu et le mener à terme, il était heureux de se mettre en danger, d’être celui à qui on l’avait demandé.
Je n’ai jamais oublié comment il s’emparait de la caméra pour l’apprivoiser et filmer comme s’il regardait, simple témoin, toujours respectueux du point de vue adopté. La caméra disparaissait dans les images et dans leur évidence.

Rien de particulier dans son équipement si ce n’est le manche "en fourchette" à deux branches arrondies qui semblait faire le lien magique entre son œil, son bras et son regard. Il avait l’œil au bout du bras ou bien la caméra, comme l’on veut. J’oubliais le petit cendrier collé sur la caméra pour ses cigarettes qu’il roulait d’une seule main et la sonnette de vélo pour annoncer : « The gate is clear ».

Le manche "en fourchette" de Robby Müller - Photo Agnès Godard
Le manche "en fourchette" de Robby Müller
Photo Agnès Godard

Il travaillait souvent en très basse lumière la nuit, ce n’était pas facile pour le point. Mais il y croyait, alors on y croyait. Je n’ai jamais compris comment il pouvait obtenir des images aussi structurées dans ces conditions.
Il était un mélange de poésie mélancolique et de raideur exigeante mais il ne s’est jamais trompé sur l’alchimie des deux.


Vidéo de présentation de l’exposition "Master of Light - Robby Müller" qui lui était consacrée à l’EYE Filmmuseum, à Amsterdam en 2016.


https://vimeo.com/177041752

Voir une vidéo où Jim Jarmush parle de son travail avec Robby Müller à propos de Dead Man.


https://youtu.be/E_3CPxQcVNE

Voir la vidéo d’un entretien avec Robby Müller à propos de Down by Law, de Jim Jarmusch.


https://vimeo.com/278727326