Disparition de Bernard Château, témoignages

La Lettre AFC n°267

Bernard Château, spécialiste en voitures travelling, nous a quittés lundi 15 août. Sa disparition a attristé nombre de techniciens et amis l’ayant côtoyé sur des plateaux de tournage. Bernard Cassan, AFC, Pierre-William Glenn, AFC, Pierre Lhomme, AFC, Jean-Pierre Mas et Laurent Tesseyre témoignent.

- Bernard Château est un personnage hors du commun, car il conjuguait les qualités et les connaissances techniques de la Machinerie et la sensibilité artistique d’un cadreur lorsqu’il pilotait sa voiture travelling. Pour les Réalisateurs, comme pour les Directeurs de la Photographie, Cadreurs et Assistants caméra, il a adapté les véhicules aux évolutions de la prise de vues tout en garantissant la sécurité des équipages.
Il a toujours été le patron de son navire avec sérénité et courtoisie quels que soient les efforts à fournir. Il le faisait avec générosité et vaillance. Il respirait dans l’amour du travail bien fait. Il suffit de parcourir la liste de ses participations dans le long métrage, pour se rendre compte de la diversité de ses participations tant françaises qu’internationales. Il a toujours porté intérêt aux besoins des uns et des autres. L’esprit ouvert à tous les moyens et matériaux qui donnent au Cinéma ses lettres de noblesse. Hommage à une carrière aussi fertile que longue.
Bernard Cassan, AFC, directeur de la photographie

- Bernard Château était un génie de la mécanique. Après un tournage épique d’Extérieur nuit, de Jacques Bral, où j’ai pu apprécier la qualité de sa voiture travelling entièrement "faite main", j’ai fait une pub de Gérard Pirès, dans le Grand Canyon aux USA, et je lui ai donné les photos de cette voiture travelling américaine qu’il a su reproduire très adroitement, chez lui, en France... Ce qui m’a permis des plans étonnants dans Ronde de nuit, de Jean-Claude Missiaen, et valu, dès la sortie du film, un coup de téléphone de Costa Gavras pour s’informer de la manière de faire des plans en travelling avec des mouvements de grue et des zooms en plan-séquence sur le boulevard Saint-Germain.

Pierre-William Glenn, en blouson orange, sur le tournage d'un film publicitaire aux Etats-Unis - Archives Bernard Château
Pierre-William Glenn, en blouson orange, sur le tournage d’un film publicitaire aux Etats-Unis
Archives Bernard Château

A cette époque, en Amérique, en France, nous concevions des plans en prise de vues directes qui n’étaient pas triturés par une postproduction virtuelle et c’était très tonique. Étant à l étranger, je n’ai pas pu assister aux funérailles de Bernard, qui présentait tous les ans au Micro Salon sa voiture travelling dans la cour de La fémis et qui était pour moi un grand du cinéma tel que je le conçois.
Je conseille à tous mes collègues la lecture d’Éloge du carburateur et de Contact, d’un grand philosophe américain contemporain, Matthew Crawford, qui parle de l’intelligence et de l’inventivité du savoir manuel (que rien ne saura remplacer) et qu’incarnait à merveille Bernard Château.
Les hommes ne meurent que quand on les oublie et Bernard ne mourra jamais dans ma mémoire. Artiste technicien avez-vous dit ?
Pierre-William Glenn, AFC, directeur de la photographie

- Avec la disparition de Bernard Château, c’est un Ami et un précieux collaborateur que nous perdons, tant de tournages, tant de travellings exceptionnels avec la voiture passe-partout et en prime une vraie bonne humeur !
A son épouse, à sa famille, à Dédé Bouladoux vont mes pensées.
Avec une tristesse partagée.
Pierre Lhomme, AFC, directeur de la photographie

- C’est avec beaucoup de tristesse que j’apprends le décès de Bernard.
J’ai beaucoup apprécié sa collaboration et sa gentillesse sur les nombreux tournages et je garderai de lui un très bon souvenir.
Je m’associe à la douleur de sa famille et je lui adresse mes sincères condoléances et
l’expression de ma douloureuse sympathie.
Jean-Pierre Mas, chef machiniste

- Le cinéma a perdu un de ses plus fidèles enfants. Bernard Château nous a quittés. A 83 ans, ce garnement vient de lâcher à regret le manche.
Pourtant, des projets, il en avait des tonnes, une expo, un musée...
Depuis qu’il ne fréquentait plus les plateaux, il n’avait de cesse de transmettre, de communiquer sa passion pour un métier dont il s’émerveillait comme à son premier jour de tournage. Une vie bien remplie de rêves mécaniques mis en œuvre pour les besoins des films.
Des défis que lui lançaient les réalisateurs ou les chefs opérateurs. Il se grattait la tête et entrevoyait tout de suite le chemin pour aboutir. Invariablement, il prenait l’air un peu soucieux, et lâchait dans un sourire espiègle : « Bien, Monsieur, on va le faire ! »
Technicien hors normes, mécanicien de génie, infatigable tant que la solution n’était pas trouvée. Il plaçait une caméra n’importe où sur les dizaines de voitures travelling dont il a eu la charge pendant quarante ans.

Depuis 1958, il en a rencontré des cas de figure, satisfait des exigences, réalisé des caprices, contribué directement à la création des films. Comme un soliste talentueux, il jouait sa phrase professionnellement, avec simplicité et efficacité, concentré, sans un mot de trop.
Pourtant, quand il était parti, que sa machine à rêver, à imaginer, s’était mise en marche, les anecdotes, les idées s’entrechoquaient avec les mots qui se précipitaient, dans un enthousiasme d’enfant gourmand.
Il aimait évoquer ses nombreuses expériences et il les revivait encore une fois, ses évocations des temps passés étaient toujours pleines d’humour, de tendresse et de nostalgie, et un rire ponctuait le plus souvent la séquence.
Avec le départ de Bernard Château le temps qui passe fait son œuvre, et nous éloigne un peu plus des temps héroïques.

Des dizaines de citrouilles jetées depuis l’Oldsmobile de Pierre Durin pour La Grande vadrouille, il n’avait pas oublié la voiture travelling surchargée de techniciens, tous cramponnés à un monceau d’énormes citrouilles, La Belle Equipe !
Des longues journées d’attente dans un hôtel du Massif Central sur L’Enfer, de Henry-Georges Clouzot, où il préparait, préparait, et jamais on ne tournait. Cette attente est restée une de ses pires épreuves, l’inactivité, un calvaire.

Ses souvenirs, il en a fait profité tous les amateurs d’histoires que sont les gens de cinéma.
Tu vas leur manquer Bernard, bonne route et merci !
Gare aux citrouilles, quand même !
Laurent Tesseyre, chef décorateur