Douloureuse gestation d’une Convention collective

La Lettre AFC n°233

Suite à la signature, lundi 1er juillet 2013, de l’arrêté d’extension de la Convention collective de la production cinématographique, nous publions ci-dessous une chronologie des principaux temps forts qui ont marqué sa gestation.

Rappelons tout d’abord que la notion de Convention collective naît en France en 1919.

Remarquons ensuite que 97 % des secteurs d’activité possèdent une Convention collective étendue (i.e. rendue obligatoire par décret ministériel) et que le Cinéma n’en faisait pas partie.

1950 - Signature de la première Convention collective dans le cinéma, modifiée en 1960, et à diverses reprises jusqu’en 1993.

1981 - Le SNTR-CGT demande l’extension de la Convention collective, début de négociations souvent interrompues, notamment par l’absence des syndicats de producteurs.

2003 - Réforme du régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle.

2004 - Le ministre de la Culture annonce, avec le ministre du Travail l’obligation pour tous les secteurs du spectacle de se doter de conventions collectives (négociations encadrées par le ministère du Travail, en commission mixte paritaire - CMP).
Reprise de négociations dans le cinéma, ponctuées d’appels à la grève (SNTPCT + CGT), notamment en 2007 suite à la proposition des syndicats de producteurs de baisser les salaires historiques de 16 à 40 %.

Juillet 2007 - Accord de sortie de grève, API, APC et UPF reconnaissent les barêmes de salaires en vigueur et tous, y compris le SPI, acceptent la tenue d’États Généraux du Cinéma pour résoudre les problèmes de financement. Ils n’auront jamais lieu.

Septembre 2009 - Dénonciation par l’APC, seule signataire, de la convention historique qui court encore légalement 15 mois.

Printemps 2010 - Nomination d’un médiateur (M. Gosset-Grainville), entre producteurs et syndicats, qui propose une grille de rémunérations variable reprise par l’APC et refusée par les syndicats.

Septembre 2010 - L’API met sur la table, au nom de tous les producteurs, une nouvelle proposition de convention plus favorable que celle présentée jusqu’alors par l’APC. Négociation sur cette base, mais refusée par les autres producteurs que l’API jusqu’en décembre 2011. Au cours de la négociation, un salaire minimum pour le réalisateur est acté, négocié par le SFR-CGT, à la suite d’une pétition commune de la SRF soutenue par l’inter-association.

19 janvier 2012 - Après six années de négociations, cinq organisations syndicales, SNTPCT, CGT, CFTC, CGC et API, signent un texte de convention collective de la production cinématographique, rejointes ensuite par FO. A la demande des signataires, elle devra être soumise à l’extension du ministère du Travail, conformément à la loi (document 1).

Janvier 2013 - La pétition " A chacun son métier ", initiée par l’Association des Décorateurs de Cinéma (ADC), recueille 4 800 signatures en faveur de l’extension.

22 janvier 2013 - l’APC, le SPI, l’UPF et l’AFPF proposent, avec la CFDT et FO, un texte alternatif à la convention déjà signée. Ce texte, « non recevable du point de vue juridique » (Michel Sapin), crée la confusion (document 2).

28 janvier 2013 - Passage en commission d’extension au ministère du Travail : l’APC ayant adhéré au MEDEF et à la CGPME, les deux syndicats patronaux s’opposent à l’extension, obligeant à un second passage.

26 février 2013 - Audition d’Aurélie Filippetti (ministre de la Culture) et de Michel Sapin (ministre du Travail) à l’Assemblée nationale. Ils annoncent conjointement la décision d’étendre la convention collective à partir du 1er juillet 2013 (document 3).

14 mars 2013 - Cette décision est confirmée par un courrier des deux ministres adressé aux membres de la Commission paritaire de la branche de la production cinématographique. Selon ce courrier, un arrêté d’extension devra être pris le 11 avril 2013 (document 4).

22 mars 2013 - Une pétition, initiée par le SPI et relayée par le magazine Télérama, réclame la suspension de l’extension annoncée. Elle recueillera 1 600 signatures (documents 5 et 6).

28 mars 2013 - Suite aux diverses réactions défavorables à l’extension de la Convention collective, Aurélie Filippetti et Michel Sapin nomment Raphaël Hadas-Lebel médiateur afin de trouver un accord.

11 avril 2013 - Pas d’arrêté d’extension malgré l’engagement pris dans le courrier du 14 mars par les ministres de la Culture et du Travail

24 avril 2013 - Un Collectif de cinéastes lance un Appel " Pour sortir de l’impasse " dans le quotidien Libération (document 7).

2 juin 2013 - Ce même Collectif de cinéastes publie une série de propositions pour préserver les films de la " diversité " (document 8).

13 juin 2013 - Remise du rapport d’étape par le médiateur, aussitôt récusé par les syndicats qui mettent en doute son impartialité (document 9).

15 juin 2013 - 160 nouveaux réalisateurs adhèrent à la SRF le jour de son Assemblée Générale. Le conseil d’administration, qui avait pris position en faveur de l’extension de la Convention collective, est mis en minorité et remplacé par les membres du collectif de cinéastes.

1er juillet 2013 - Extension de la convention collective avec date d’effet au 1er octobre 2013, les partenaires sociaux étant invités à négocier les modalités d’application de l’annexe III d’ici-là.

29 juillet 2013 - Par requête en référé, l’APC, l’APFP, le SPI et l’UPF font demander par avocat interposé au Conseil d’Etat de suspendre l’exécution de l’arrêté du 1er juillet 2013 portant extension de la convention collective nationale de la production cinématographique n° 3097 et de condamner l’Etat au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (document 10).

30 juillet 2013 - Le Conseil d’Etat communique à l’API et au ministère du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social qu’une audience publique pour observations a été fixée par le juge des référés au 30 août 2013 à 10 heures (document 11).

  • Lire le communiqué du ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social relatif à la signature de l’arrêté d’extension.

8 octobre 2013 - Les partenaires sociaux de la branche, soucieux de promouvoir la création artistique et de développer l’emploi, décident de modifier certaines des dispositions de la convention collective et prennent acte que le CNC s’engage à rechercher des financements complémentaires pour la production cinématographique. (document 12).


  • Document 1  : Texte de la Convention collective nationale de la production cinématographique signée par l’API le 19 janvier 2012
    Convention collective de janvier 2012
  • Document 2  : Texte de la Convention collective pour l’emploi dans la production cinématographique signée par l’APC, le SPI, l’UPF et l’AFPF le 22 janvier 2013
    Convention "alternative" de janvier 2013
  • Document 3  : Voir la vidéo " Emploi dans les métiers artistiques : audition des Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, et de M. Michel Sapin, ministre du Travail "
  • Document 4  : Courrier des ministres du Travail et de la Culture aux membres de la Commission paritaire de la branche de la production cinématographique
    Courrier des ministres à la Commission paritaire
  • Document 5  : Pétition relative à la Convention collective : cinéastes et producteurs (22-03-2013)
    Pétition des cinéastes et producteurs
  • Document 6  : Liste des cinéastes et producteurs signataires de la pétition
    Cinéastes et producteurs signataires
  • Document 7  : Appel d’un Collectif de cinéastes " Pour sortir de l’impasse "
    Appel "Pour sortir de l’impasse"
  • Document 8  : Propositions affinées du Collectif de cinéastes suite à l’Appel " Pour sortir de l’impasse "
    Propositions affinées du Collectif de cinéastes
  • Document 9  : Mission de médiation sur la négociation conventionnelle dans la
    production cinématographique - Rapport d’étape de Raphaël Hadas-Lebel
    Rapport d’étape du médiateur
  • Document 10  : Demande de l’APC, l’APFP, le SPI et l’UPF au Conseil d’Etat de suspendre l’exécution de l’arrêté d’extension de la Convention collective du 1er juillet 2013
    Demande de suspension de l’exécution de l’arrêté
  • Document 11  : Communication du Conseil d’Etat à l’API et au ministère du Travail d’un référé et avis d’audience pour observations fixé au 30 août 2013
    Référé et avis d’audience pour observations
  • Document 12  : Avenant de révision de la convention collective de la production cinématographique signé le 8 octobre 2013 par les organisations d’employeurs et de salariés
    Avenant de révision de la convention collective (fac-similé)

Messages

  • Douloureuse gestation d’une convention collective - dites-vous : non, il s’agit tout bonnement de la révision et de l’amélioration de notre patrimoine en tant que techniciens et collaborateurs de création, la Convention collective de la production cinématographique.

    Autrement dit, on ne partait pas de rien, il existait un certain nombre d’acquis que nous devons à nos grands anciens.

    L’histoire est celle-ci : les techniciens de la production cinématographique participent activement aux grèves de l’été 1936 (La Vie est à nous de Jean Renoir). Ils se sont regroupés en associations, dont une association d’opérateurs.

    Suite aux accords Matignon de 1936, les Conventions qui ont pour objet d’améliorer les dispositions du Code du travail selon les branches d’activité prennent valeur de loi dès lors qu’elles sont étendues par arrêté.

    En 1937, les techniciens de ces différentes associations décident de se regrouper et de fonder le Syndicat National des Techniciens de la Production Cinématographique. Ils décident de s’affilier à la CGT qui s’est réunifiée en 1935.

    En 1937, le Syndicat des techniciens de la production cinématographique signe avec la chambre patronale de l’époque la première Convention collective de la production cinématographique.
    Les tournages en studio notamment seront dès lors beaucoup mieux régulés – ajouté à la venue des cinéastes allemands réfugiés - le cinéma français connaîtra alors un essor assez remarquable.

    En 1945, la Convention est annulée du fait que les chambres patronales ont accepté de se plier à la révolution nationale du Maréchal Pétain et se sont prêtées pour nombre d’entre elles au jeu de la collaboration.

    Ce qui explique que les techniciens membres du Syndicat des Techniciens de la production cinématographique obtiennent la signature, en 1950, avec la Chambre syndicale d’une nouvelle Convention, celle qui continuera de s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de la Convention du 19 janvier 2012.

    La Convention n’est pas modifiée en 1960, en 1960 est signée avec le SGTIF-CGT (Syndicat des ouvriers des laboratoires et des studios fondé en 1928) la Convention des ouvriers indépendants.

    En revanche, elle est modifiée en 1973 - après plusieurs grèves - par un protocole d’accord qui porte des améliorations sur la durée du travail notamment et unifiée par des dispositions communes aux techniciens, aux ouvriers et aux artistes interprètes et acteurs de complément.

    À cette convention est attaché depuis 1950 un accord de revalorisation des grilles de salaires minima qui intervient tout les six mois. Cet accord sera dénoncé en 1982 et le Syndicat des techniciens SNTPCT signera avec la chambre syndicale en 1984 un nouvel accord de revalorisation semestrielle en fonction de l’indice des prix Insee avec un petit pourcentage d’amélioration.

    Cet accord a été respecté jusqu’à 2011 et les directeurs de la photographie ont vu le niveau de leur salaire ne pas être érodé par l’inflation.

    Des négociations s’ouvrent en 1974 en vue de l’extension, laquelle n’est jamais intervenue, le ministère en 1950 ne donnait pas un avis favorable à l’extension, notamment pour des questions relatives au respect du Code du travail quant à la durée maximale du travail.

    En 1981, le SNTPCT est exclu de la CGT puisque les techniciens qui en sont membres refusent la notion d’audiovisuel confondant cinéma et télévision que les instances fédérales cherchent à lui imposer - le cinéma étant pour les techniciens qui en sont membres une activité spécifique.

    Entre-temps en 1992, suite aux propositions des caisses Agirc et Arrco, le SNTPCT obtient le doublement de la cotisation retraite et le doublement des points retraite complémentaire dans la production cinématographique.

    Les négociations par ailleurs subiront certes plusieurs aléas, mais c’est bien le Syndicat des techniciens de la Production cinématographique SNTPCT qui demande l’ouverture des négociations en 1981 - le SNTR-CGT ne verra le jour qu’après 1982.

    Les négociations qui reprennent fin 2004 ne consistent pas à doter la production cinématographique d’une Convention, elle en dispose déjà d’une depuis 1950, adaptée aux spécificités de l’activité de production de films et rédigée par des techniciens et collaborateurs de création qui connaissent leur métier, il s’agit de la mettre en conformité avec le droit du travail et de l’améliorer pour obtenir enfin son extension.

    La dénonciation du texte de la Convention collective des techniciens de 1950 et celui concernant les ouvriers de 1960 par la Chambre Syndicale des Producteurs de Films date de mars 2007 et non pas de 2009.

    Mais suite aux demandes du SNTPCT, cette dénonciation n’entrera jamais en vigueur et l’APC, l’UPF et l’API signeront la prorogation de son application à plusieurs reprises ainsi que les revalorisations semestrielles de salaires.

    À la suite de plusieurs mouvements de grève auxquels appellent le SNTR-CGT, le SGTIF-CGT et le SNTPCT, en 2007, les techniciens et les ouvriers obtiennent de l’APC, nouvelle dénomination de la Chambre syndicale, la revalorisation des salaires et obtiennent de l’UPF et de l’API, qui n’avaient jamais reconnu la Convention et les grilles de salaires jusqu’à présent, qu’elles s’associent à l’APC.

    Les grilles de salaires minima sont désormais signées par la grande majorité des syndicats de producteurs, seul le SPI refuse d’y adhérer.

    L’accord de sortie de grève de juillet 2007 et les grilles de salaires minima sont étendues par le ministère du Travail en novembre 2007 et deviennent donc d’application obligatoire pour tous les producteurs.

    Le médiateur M. Gosset-Grainville est nommé par M. MItterrand en juillet 2010.

    En septembre 2010, l’API pose sur la table des négociations un projet de Convention collective.

    Le salaire minimum du réalisateur a été négocié par tous les syndicats et non pas seulement par le SFR-CGT, tout comme les définitions de fonctions, les propositions de rédaction émanant du SNTPCT et ce n’est pas suite à une pétition, quels qu’en aient été les effets par ailleurs. Il était acté d’un commun accord entre les syndicats SNTR, SFR et SNTPCT que l’on ne pouvait signer un accord que s’il y figurait un salaire minimum du réalisateur.

    Une pétition initiée par le SNTPCT a recueilli 3 000 signatures en 2011. La différence est d’ordre juridique, une pétition émanant d’une association ne peut acquérir valeur juridique de représentativité, au contraire de celle portée par un syndicat.

    Il reste enfin que les directeurs de la photographie bénéficient pour l’avenir d’un salaire minimum étendu, même si celui dont ils bénéficiaient était reconnu depuis 2007 par les principaux syndicats de producteurs.

    C’est la reconnaissance de la haute valeur de leur travail, de ce qu’ils apportent au cinéma français, à son rayonnement.
    C’est la reconnaissance de ce que représente leur collaboration à la création de l’œuvre. Et souvent, elle est immense et l’on ne songe qu’à accoler leur nom à celui du réalisateur, sans quoi le film n’aurait ni la force d’émotion ni l’espace qu’il déploie.

    Et c’est pour défendre la valeur de leur travail qu’ils se regroupent dans un syndicat. Celui qu’ils veulent.