ENS Louis-Lumière, table ronde n°2 " La gestion des compétences "

Quel management des compétences face à l’évolution des savoir-faire ?

La Lettre AFC n°121

A l’occasion du séminaire professionnel de Louis-Lumière intitulé " 2000-2010 : quelles évolutions pour les métiers de l’image et du son ? ", ci-dessous les propos tenus lors de la table ronde " La gestion des compétences ".

Jean-Pierre Barry, président directeur général, Société Française de Production (SFP)

Management, ça sous-entend le mot diriger, les compétences sont les capacités, l’évolution des savoirs c’est le savoir...
Nous sommes dans un métier à géographie variable, en constante évolution. La connaissance du savoir-faire, à mon avis pour le manager, c’est important. Ça implique tout d’abord la connaissance des formations, et surtout un dialogue avec ceux qui forment, la connaissance également, la plus large possible et non parcellaire, de l’évolution des techniques ce qui implique un reformatage constant des ingénieurs ou des techniciens que nous recevons.

Le manager doit donc se tenir au courant des nouveaux savoir-faire et de l’évolution des techniques. Pour reconnaître les compétences et les identifier, on prend pas mal de stagiaires qui démarrent chez nous, quel que soit leur niveau de formation, comme tireur de câbles sur les plateaux. Ils appréhendent ainsi leur métier.
Ensuite le manager aujourd’hui va gérer l’artistique, le technique et le commercial.
Déterminer les nouvelles orientations techniques, affluer sur les organismes de formation, reformater au sein de l’entreprise les personnels anciens qui sont dépassés, enfin intégrer au mieux les nouveaux techniciens au sein de l’entreprise, telles sont pour moi les missions d’un manger aujourd’hui, dans le domaine audiovisuel.

Pierre Gorse, directeur de la formation professionnelle, Radio France

Je suis chargé de mission pour la formation professionnelle à la direction technique de Radio France, c’est-à-dire 700 et quelques personnes qui réalisent les émissions de Radio France, soit en gros 300 000 heures de programme par an.
A Radio France, comme dans un certain nombre d’entreprises, des gens partent à la retraite sans avoir eu le temps, les moyens, le courage de léguer à d’autres les secrets de fabrication. Il faut que les tours de mains ne se perdent pas, que les expériences accumulées ne se dispersent pas avec les gens. Il faut conserver le corps de métier.
Pour moi, manager des compétences c’est faire qu’une entreprise ne perde pas ses compétences essentielles, tout en continuant à acquérir toutes celles nécessaires pour rester sur le marché, dans la vie, avec un personnel heureux de travailler.

Nous avons repéré des manques très particuliers qui touchent à la culture d’entreprise, au compagnonnage, à la transmission des bases du cœur des métiers.
On est actuellement dans une configuration de flux tendu. On a des moyens financiers qui nous permettent d’adapter les formations à ce qui nous tombe dessus presque au jour le jour.
Nous sommes également dans une période de numérisation forte. Mais nous n’en oublions pas pour autant notre métier qui n’est pas de faire du numérique, du réseau, mais de faire du son.

On a aussi parlé précédemment de polyvalence, je parlerais plus facilement, en ce qui nous concerne, d’hybridation.
Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui prennent en main, le plus tôt possible et le plus vite, leur évolution et la mise à jour de leurs compétences.
Pierre Bertrand-Jaume, directeur général, Groupe Expand

Je suis sorti de cette école en 1969. Aujourd’hui, ça donnera une idée de la diversité des possibilités que l’on a en sortant de Vaugirard, je suis directeur général du groupe Expand, une filiale de Canal Plus, lui-même filiale de Vivendi qui a été pendant quelques semaines le second groupe de communication au monde.

J’ai entendu ici tout à l’heure les mêmes phrases que j’entendais, il y a 40 ans, par rapport au chômage notamment. On vit dans un métier qui est un métier de cooptation...
Pour aborder cette discussion, je voudrais que l’on parle d’un paradoxe que nous aurons à gérer : plus ça va, moins ce métier prendra en compte la technique. La tendance actuelle fait que la technique est de plus en plus à la portée de tout le monde et qu’elle a moins d’importance.

Une école n’est finalement pas un endroit où l’on apprend. On n’y apprend pas des choses, mais des méthodes, on y apprend la rigueur, la réflexion, l’analyse de certaines situations, la capacité d’adaptation, la connaissance du métier dans lequel on va évoluer. Un des éléments de réussite dans ce métier, c’est non seulement de connaître son métier, mais c’est aussi de savoir dans quel marché on va évoluer.

Si les conditions de nos métiers n’ont pas beaucoup évolué quoi qu’on en dise, le marché, lui, a terriblement changé et ne ressemble pas à ce qu’il était.
Vous devrez être capables d’appréhender le milieu dans lequel vous souhaitez évoluer et comprendre que votre réussite dépendra d’avantage de vous, de votre compétence intrinsèque, plutôt que des compétences que vous allez acquérir.

Thierry de Segonzac, co-président, Fédération des Industries Techniques du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (FICAM), président directeur général du groupe TSF

Je représente ici la FICAM. 
On parlait tout à l’heure des stagiaires en entreprises, je rejoins Jean-Pierre Barry sur cette prudence des techniciens qui fait que l’usage des stagiaires en plateau étant effectivement trop rare beaucoup de stagiaires viennent vers nous, chefs d’entreprises.
Manager les compétences, pour moi c’est un grand mystère. J’ai envie de dire que nous avons en face de nous, dans les générations qui viennent, des jeunes et des moins jeunes techniciens parfois trop assistés.
Nous avons envie de leur dire : « Prenez vos responsabilités, prenez les responsabilités qui vous sont offertes, mais n’attendez pas que l’on vienne vous les apporter. Soyez entrepreneurs vous-mêmes, à chacun des postes que vous occupez, et n’attendez pas que l’on vous donne, que l’on vous assiste et vous soutienne pour exercer ces responsabilités ».

De plus, l’ouverture de l’Europe centrale déséquilibre profondément les différentes bases du marché de la production audiovisuelle et des programmes de stock, c’est-à-dire films et téléfilms.
Ces problèmes de délocalisation représentent, je le rappelle, je crois qu’il faut le marteler, plus de 30% de la production nationale, c’est-à-dire 200 millions d’euros de dette pour l’économie nationale.

Il y a aussi des incertitudes sociales, je n’enfoncerai pas le clou des annexes 8 et 10.
En ce qui concerne la formation, nous voyons arriver sur le marché un grand nombre d’autres écoles qui forment des jeunes aux métiers de la vidéo. Ces jeunes débarquent sur le marché. Nous crions à la prudence car cela va un peu fort, un peu vite et un peu loin.
Mais à la fois, je crois qu’il faut être très attaché au renouvellement des talents, des générations de talents parce que ça a été pendant longtemps, et ça l’est toujours, la première richesse du cinéma et de l’audiovisuel français. _ Alors même si nous préconisons aujourd’hui de nous attacher à une formation plus chirurgicale, avec même du compagnonnage qui est une bonne illustration de ce type de formation, nous souhaitons peut-être une formation mieux adaptée à l’outil, à l’économie de marché.

Pour terminer, je dirais que notre vocation au niveau de la prestation technique en France est aussi de se faire le relais essentiel de la concrétisation de la diversité culturelle telle qu’on l’évoque de façon politique, nous avons des techniciens qui ont des ambitions qui ne sont pas en adéquation avec l’économie des projets.
Nous devons, techniciens et prestataires, nous adapter à ces nouvelles évolutions, mieux nous comprendre, mieux comprendre le métier de l’autre, pour fabriquer de meilleures images demain, dans une meilleure économie.

Laurent Creton

Que peut-on transmettre et comment le faire ? On sait la question essentielle est celle de l’avantage compétitif. Qu’est-ce que l’on apporte de plus qui ne se ferait pas ailleurs ? C’est la question qui a été parfaitement rappelée ici, de la compétitivité des industries techniques sur une échelle internationale.

Cela m’amène à un second point. Il y a d’une part la question de la tradition et de l’innovation... Nous voyons bien que l’économie évolue de telle façon que les filières perdent leur autonomie, on ne peut plus penser de façon isolée l’ensemble de ces métiers.
Or, la référence se fait autour de la force symbolique de la cinématographie, alors que la réalité des emplois se situe quantitativement bien ailleurs.
Il y a cette espèce de dialectique forte, incommode dans un certain nombre de cas, entre les arts du spectacle et les industries de la communication.

Dernier point : approche généraliste ou question de la polyvalence, vers une suite logique de spécialisation pour manager l’ensemble de ces éléments.
Samuel Bollendorf, photographe, collectif L’œil Public

On parle de management, de formation, mais je pense que, en ce qui concerne la photo, Louis-Lumière n’est pas une référence parce que ce que l’on demande à des photographes, c’est déjà d’avoir des choses à dire. Alors la façon dont ils sont managés, la façon dont on les forme, la façon dont on va prendre des stagiaires, ça nous éloigne de la question principale qui est de savoir comment on va transmettre le fait que les jeunes aient des choses à dire.
Je pense que les élèves de Louis-Lumière en cinéma ont envie d’abord de faire des images, de jouer avec les sons, en tout cas de dire des choses. Et c’est ça qu’il faut s’attacher à transmettre.
Or je l’entends peu.

Selim Azzazi, monteur son

J’attendais de voir si quelqu’un allait réagir à l’intervention de Monsieur de Segonzac, qui était très pertinente mais érige une frontière entre les employeurs et les intermittents... Maintenant, le dérèglement du marché du travail n’est pas exclusivement dû aux intermittents. L’intermittent, lui, en général, ne pense pas quotidiennement à devenir vizir à la place du vizir mais plutôt à la façon dont il va réussir à obtenir son tarif syndical alors qu’on lui propose d’être rémunéré à moins 30 %....
Alors, la manière légèrement paternaliste avec laquelle parfois nos patrons peuvent nous répondre, nous conseiller de nous adapter au marché du travail, est assez désagréable.
Le marché du travail, c’est les employeurs qui le fabriquent...
La réalité, c’est qu’il y a des projets, des films, qui sont faits par des équipes...

Thierry de Segonzac

Me suis-je mal fait comprendre ou me suis-je mal exprimé ? Il ne s’agit pas de barrières.
J’évoquais tout à l’heure l’association de deux communautés, parce que la communauté " entreprenariale " n’a pas du tout les mêmes contraintes, pas les mêmes règles du jeu que l’intermittence.
En revanche, nous avons, vous et nous, un point commun capital, fondamental, essentiel, c’est la liberté...
Le dérèglement que vous indiquez est essentiellement lié à l’européanisation de la production, à l’ouverture de l’Europe sociale en particulier et puis aussi d’autres phénomènes comme l’évolution des coûts artistiques par rapport aux coûts techniques...

Pour terminer, je dirais qu’au-delà du rôle que nous avons, nous, chefs d’entreprise, d’associer les deux communautés et de s’assurer de leur cohérence, le rôle de l’entreprise est d’être un marche-pied par rapport aux techniciens, à tous ces intermittents qui viennent sur le marché du travail...

Stéphane Pozderec

La notion d’intermittent me fait dresser les cheveux sur la tête. Je ne peux pas l’admettre.
Pourquoi intermittent plutôt que technicien, directeur de la photo ou chef monteur ?
Intermittent n’est pas un métier... Ce sont les compétences, le savoir, la qualification, qui sont dans tous les domaines, le cinéma comme la prestation de service, la base de la négociation salariale.

suite et fin des tables rondes