ENS Louis-Lumière, table ronde n°3 " La gestion de compétences, vue par les gens de l’art "

Créateurs, réalisateurs, photographes, ingénieurs du son, chefs opérateurs... Comment les professionnels répondent à la contrainte externe, aux exigences des managers ou... à celles qu’ils se définissent pour eux-même

La Lettre AFC n°121

A l’occasion du séminaire professionnel de Louis-Lumière intitulé " 2000-2010 : quelles évolutions pour les métiers de l’image et du son ? ", ci-dessous les propos tenus lors de la table ronde " La gestion des compétences vue par les gens de l’art ".

Christian Guillon, directeur, l’EST

Petite parenthèse, je parle personnellement du cinéma de long métrage.
Quelques remarques, brièvement :
- Nous sommes extrêmement attachés à la formation initiale généraliste. Les gens avec qui nous souhaitons travailler sont des gens qui ont une culture générale, qui ont reçu une éducation du regard, une éducation technique de base, et que nous formerons nous-mêmes à la spécialisation de notre activité.
- Dans notre profession, le compagnonnage existe, la formation sur le tas existe, la formation en entreprise existe et nous la pratiquons...
- Des outils nouveaux arrivent et l’enjeu difficile est de les intégrer dans la filière de production. Ce n’est pas tellement la connaissance des outils, ni la formation d’une ou deux personnes à l’utilisation de ces outils qui va être complexe...
Donc, la formation de base, qu’elle soit artistique ou qu’elle soit technique, est tout à fait essentielle. Et les manipulateurs de logiciels formés par l’AFDAS, excusez-moi messieurs, ne sont pas, pour nous, gens de cinéma, intéressants. En tout cas, s’il y a parmi eux des gens intéressants, il va nous falloir faire le même travail que s’il n’avait pas reçu de formation.

Autre parenthèse sur la pérennité des savoir-faire, c’est vrai qu’il est très important qu’ils se conservent et se transmettent.
Ce qui a permis à ces savoir-faire de se conserver, c’est le statut des intermittents. Le fait que le statut soit menacé est une difficulté pour la pérennité des savoir-faire.

Troisième parenthèse sur la connaissance du monde du travail, on a dit que les gens qui sortent des écoles n’ont aucune idée du monde du travail, je le confirme, c’est vrai.
Mais j’ai le sentiment que beaucoup d’entrepreneurs n’a pas une grande connaissance du monde du travail non plus. C’est un problème général de la société française qui n’a pas de culture de l’entreprise.
Comment réagissons-nous aux contraintes externes ? Je n’ai pas l’impression qu’il y ait des contraintes externes. Ce ne sont pas des contraintes externes, mais un matériau. On travaille sur un matériau, le réel, qui est fait d’une multitude de choses.
On peut dire que le matériau a changé, on travaillait sur de la glaise, on travaille actuellement sur du marbre ou l’inverse. Il y a des contraintes internes au matériau.
Le numérique a fait changer le cinéma, j’ai envie de parler aujourd’hui non pas des contraintes qu’il a apportées mais des déceptions...

Après avoir milité pendant dix ans pour que le cinéma intègre le numérique et non l’inverse, j’ai envie de dire : quelles sont les déceptions du numérique, comment on réagit et comment réagir mieux ?
Il y a tout d’abord l’expansion du droit à l’erreur. Ça permet à un certain nombre d’incompétences de perdurer.
L’autre déception du numérique est la baisse de l’exigence. Avant le numérique, il y avait des barrières infranchissables, si la lumière n’était pas bonne, on ne pouvait pas tourner. Aujourd’hui, si la lumière n’est pas bonne, la production va faire pression pour qu’on tourne quand même, on n’attend plus et le chef opérateur se dit qu’il pourra rattraper tout ça grâce au numérique. Ils ont raison, parce que ça permet de faire le film mais ils ont tort parce que la production n’a pas fait le calcul de savoir si ça lui coûterait plus cher de rectifier en numérique ou d’attendre une journée. Le chef opérateur non plus n’a pas fait le calcul de savoir si ce serait plus beau d’avoir recours au numérique ou d’attendre une journée.

On peut répondre à ces déceptions par trois efforts : la verticalité, la polyvalence, la transversalité.
La verticalité, ça veut dire partager notre savoir-faire spécifique, les compétences numériques, verticalement, avec les gens qui sont en amont et en aval.
La polyvalence ensuite. Les gens avec qui nous travaillons doivent avoir la double nationalité, cinéma et numérique, cette polyvalence me semble être la piste essentielle pour que l’on retrouve un minimum de rigueur et d’exigence dans le travail.
Enfin, la transversalité, c’est-à-dire la nécessité que se développent des métiers transversaux. On voit par exemple que le métier de directeur de postproduction devient essentiel.
Et c’est là que le rôle des écoles comme Louis-Lumière est important car il y a un manque cruel de formation pour des métiers qui sont à la lisière de la production et de la technique.

Barthélemy Fougea, directeur de production

Je voulais juste préciser avant toute chose que je n’ai reçu aucune formation puisque la mienne a été d’apporter des cafés sur les plateaux...

Pour moi, il y a trois évolutions : la technique qui est la numérisation, ce qui change complètement les données techniques de formation ; la créativité. Nous sommes dans une nouvelle grammaire de l’image et là je regarde plutôt mes enfants que les stagiaires quand j’ai besoin d’informations ; enfin l’internationalisation, car dans cette nouvelle grammaire, il faut que l’on arrive à toucher le plus en plus de gens pour avoir une technologie qui s’exporte dans un domaine qui est, à mon avis, en pleine expansion dans le monde...

La motivation reste et restera toujours pour moi la première compétence de quelqu’un sur un projet artistique.
La deuxième, c’est l’expérience...

Serge Challon, président, Syndicat des agences de presse photographiques d’information et de reportage

Je crois que vous avez compris tout à l’heure ma position et mes inquiétudes par rapport à certains types de formation...
Mon approche ne concerne que la photographie, et même dans la photographie, elle ne touche que la presse. Je vais donc parler de là où je suis.
Je relevais tout à l’heure cette nécessité de considérer que nous travaillons dans une industrie culturelle... On est dans une ambiguïté entre industrie et culture, entre métier et art, entre savoir-faire technique et expression...
Imaginez un musicien qui ne sait faire que des gammes, ça ne marche pas. On demande aux photographes d’être des interprètes pas des techniciens... Ce qui me semble important dans la technique, c’est de la rapprocher de son utilisation, c’est aussi de faire une découverte d’une culture générale.
Cette acquisition culturelle généraliste va permettre au photographe, lorsqu’il est sur le terrain en train de faire une image, de conserver intuitivement ou non des acquis culturels et techniques. C’est toute la difficulté.

Ce que je veux dire par là, c’est que la formation, pour un photographe, est une chose dont on se sert, on prend. Il y a des choses que l’on garde, d’autres que l’on jette, avec plus ou moins de conscience de le faire.
Le talent du photographe, la qualité du produit qui va être l’image, va dépendre de quelque chose qui touche à la nature humaine du personnage.

On a parlé tout à l’heure d’adaptabilité, ça fait vraiment penser à l’univers industriel, mais c’est aussi cette capacité à traduire car quand un client a une idée, il n’a pas une image en tête. ...
Quand je rencontre un photographe, il ne sort pas son diplôme, mais un book ou des images.
La question n’est pas de savoir comment on se sert d’un appareil photo mais pourquoi on s’en sert...

Laurent Creton

Premièrement, il nous faut penser de nouvelles figures architecturales, deuxièmement penser une nouvelle géographie et troisièmement des temporalités et des cycles.
D’abord, des structures architecturales. On a entendu parler de verticalité, polyvalence, transversalité, de réseaux aussi, de filières industrielles, mais aussi filières de métier qui renvoient à la question des filiations et de la transmission. Se préparer, individuellement et collectivement, à vivre dans de nouvelles architectures.
C’est aussi penser à la géographie, car le thème de l’international est revenu souvent, en termes de financements mais aussi en termes de débouchés.
Et puis la troisième, c’est la question de la temporalité et des cycles. Vous avez parlé de la déception du numérique et montré à quel point, finalement, on essaie de penser un devenir qui est composé de cycles aux rythmes assez différents.

Françoise Denoyelle, enseignante, ENS Louis-Lumière photo

Je voudrais donner un point de vue d’enseignante car on a beaucoup entendu celui des professionnels. J’ai reconnu beaucoup de nos interrogations, de nos projets dans tout ce qui a été dit ce soir.
Les étudiants que nous recrutons sont, aussi bien, des ingénieurs chimistes que des étudiants en philosophie. Ce qui fait la richesse des étudiants, c’est qu’ils ont tous des secteurs forts et des secteurs faibles...
Et ce qui est la force de l’école, me semble-t-il c’est, qu’au sein d’une même formation, on va former deux photographes qui, peut-être feront autre chose, mais, pour ceux de la section prises de vue, seront venus pour faire des images.

Monique Barbaroux, directrice générale adjointe, CNC

Je suis extrêmement contente car c’est la première fois que je viens sur votre campus... Dans le cadre du Ministère de la Culture et du CNC, notre école supérieure n’est pas Louis-Lumière mais La fémis. Nous avons eu exactement les mêmes discussions avec le corps professoral et les enseignants de la fémis lorsque nous avons signé, il y a un an, leur contrat d’objectif...

Je rebondirais sur la question des métiers et des niches d’emploi de demain.
Nous sommes en train de travailler, et ce serait peut-être bien que l’école Louis-Lumière puisse s’y associer, avec le Ministère de la Culture, La fémis et certains professionnels au sein de la FICAM, pour regarder quelles sont les niches d’emploi en fonction des évolutions technologiques et de la demande, dans les 5 et 10 ans à venir...
On a beaucoup parlé de l’avenir du numérique, mais il ne faut pas oublier ces métiers de la restauration de notre patrimoine où il y aura de plus en plus de demandes.
Ensuite, je ne suis pas forcément d’accord sur l’optique un peu trop franco-française de...

Thierry de Segonzac

Il faut être résolument européen en ce qui concerne la formation, les échanges, les partenariats entre écoles.
Enfin, le dernier point, vous avez la chance dans cette école, de vous préparer à des métiers qui ne sont pas comme les autres.

Quelle que soit l’évolution des nouveaux métiers et des technologies, pour nous ce qui est essentiel, d’autant plus que je parle au nom d’un discours institutionnel qui est celui du Ministère de la Culture, c’est que vous devez tous avoir un point de vue et un regard.
C’est essentiel au-delà de la formation quotidienne sur le plan technique.

FIN