EclairColor, le Technicolor du XXIe siècle ?"

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°273

Le Monde, 31 janvier 2016
EclairColor : le nom sonne comme le Technicolor, qui a marqué l’histoire du cinéma dans les années 1940-1950. Avec cette technologie mise au point par le groupe Ymagis, le cinéma serait-il embarqué dans une nouvelle aventure industrielle et artistique ?

Il est trop tôt pour savoir si EclairColor sera la prochaine frontière de la couleur à l’ère numérique. Car ce procédé de traitement de l’image au cinéma, qui promet davantage de lumière, de contraste, de défi­nition et de détails à l’écran, pose de nombreuses questions, esthétiques et industrielles.

Le chef opérateur Eric Guichard (Saisons, de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud) est plutôt séduit : « L’outil me semble adapté plutôt pour les films à grand spectacle, en extérieur. J’ai vu des essais et cela me fait penser au Technicolor. On retrouve la puissance du 35 mil­limètres en termes de brillance et de saturation des couleurs. » Son confrère Stéphane Le Parc (Brice 3, de James Huth) souligne que « cet outil redonne de la profondeur à l’image, mais il faut y aller dou­cement. Car on court le risque d’avoir une image artificielle ».

Le procédé a été mis au point par les laboratoires Eclair, rachetés en 2015 par Ymagis, spécialiste de l’équipement numérique des salles. « La télévision était en train de dépasser le cinéma, du point de vue de la qualité de l’image », explique Thierry Beaumel, directeur de fabrication postproduction image chez Eclair. « Il fallait agir et nous avons donc mis au point EclairColor. »

Nuances infinies
C’est à l’étalonnage – après le tournage et le montage du film – que l’image est retravaillée avec cet outil que l’on pourrait comparer à une palette virtuelle aux nuances infinies. Mais, pour montrer un film EclairColor, il faut être équipé d’un projecteur spécifique : le Sony 4K, lequel "envoie" deux fois plus de lumière qu’un projecteur numé­rique classique. Certaines salles en sont déjà dotées, d’autres pas. Va-t-il y avoir un cinéma à deux vitesses ? Thierry Beaumel se veut rassurant : « On ne va pas demander aux exploitants de s’équiper en EclairColor demain, mais de réfléchir à cette techno­logie quand ils rénoveront ou ouvriront une salle. »

Ymagis a sa stratégie toute prête : elle est la seule société au monde à pouvoir fabriquer les films EclairColor et vendre l’équipement. Mais il n’est pas question d’imposer un monopole, assure Thierry Beaumel : « L’idée est de proposer cette nouvelle technologie sous licence à d’autres labos. » Certains exploitants ont déjà sauté le pas, d’autres observent. « Nous avons mastérisé gratui­tement quelques films en Eclair­Color et mis à disposition un projecteur dans des salles témoins », explique le directeur général d’Ymagis, Jean Mizrahi. Ainsi, l’Etoile Saint-Germain-des-Prés, à Paris, est la première salle à avoir projeté un film EclairColor, ­Aquarius, de Kleber Mendonça Filho, en octobre 2016. [...]

Clarisse Fabre, Le Monde, mardi 31 janvier 2016