Editorial de la Lettre de novembre 2019

Par Gilles Porte, président de l’AFC

par Gilles Porte La Lettre AFC n°302

Réflexion automnale… Alors que ma fille Syrine, en classe de terminale, est invitée à émettre ses vœux afin de choisir ce vers quoi elle se destinera, je me souviens qu’à un âge proche du sien, je débarquais à Paris avec, pour seuls compagnons d’escapade, un appareil photo argentique et un agrandisseur. C’était en 1987… Cette année -là, on avait posé une question à 700 cinéastes du monde entier dans un hors-série du journal Libération : Pourquoi filmez-vous ?

Le cinéaste suédois Ingmar Bergman avait répondu en quatre mots : « Je ne filme pas »…
Le directeur de la photographie Raoul Coutard, en sept : « Pour ne pas devenir critique de cinéma »…
Moins laconique, Woody Allen répondit : « Les problèmes constants et énormément compliqués que pose la réalisation des films m’occupent l’esprit et je n’ai donc pas trop le temps pour réfléchir aux terribles réalités de la vie ».
Bertrand Blier : « Ça s’est trouvé comme ça. Mon parrain, c’était Louis Jouvet. J’ai eu des facilités dans mes chromosomes. J’ai rencontré des gens pas trop cons »…
Et puis je me souviens de cette phrase : « Resnais s’est excusé, il trouvait la question trop indiscrète ».

Pour ma part, ce ne sont pas des images qui m’ont guidé vers mon choix mais une voix… Une voix syncopée que je retrouvais le dimanche soir, dès l’âge de dix ans, sur une chaîne de télévision nationale… Une voix qui m’incita souvent à "faire le mur" de la ville de 7 000 habitants dans laquelle j’ai grandi… Cette voix était celle de Patrick Brion, sur FR3, juste avant la séance du "Cinéma de minuit" et c’est celle que que France Télévision a tenté de faire taire dernièrement [1]

Tant que la Lettre de l’AFC existera, il est bien, je crois, de rappeler les devoirs du service public à celles et ceux qui sont parfois amenés à le diriger au cours de leurs plans de carrière… Des notions du service public auxquelles doit rester attaché le Centre national du cinéma et de l’image animée avant de ne renier les raisons mêmes de son existence en ne finançant plus, par exemple, les films les plus fragiles, comme certaines autres voix le laissent présager…
Directeurs et directrices de la photographie, nous sommes parfois confronté(e)s à emprunter les autoroutes des tankers – comprenez, à tourner des films que le marché réclame – ou à naviguer, très loin des côtes, sur de plus petites embarcations.

C’est une chance inouïe de faire ce métier… C’est un luxe d’en vivre…
Et c’est un privilège extraordinaire de choisir les films que l’on fait…
Alors que je m’apprête à retrouver le tournage d’un film du marché (!), je jette un œil sur la feuille de vœux que ma fille a laissée sur son bureau. Elle envisage la politique pour « essayer de participer activement à essayer de changer certaines choses et certains comportements » (sic)…
Aussi, puisque la voix de Syrine – et sans doute celle de toute une génération – nous invite à nous engager derrière une caméra ou/et au sein d’une association comme l’AFC, ne serait-il pas venu le temps que nos membres s’associent avec d’autres professionnels du cinéma afin de réfléchir ensemble à ce que pourraient être "Les Etats généraux du cinéma français" et ce avant de porter nos interrogations à l’échelon international ? 

[1] Soutien à Patrick Brion et à son "Cinéma de minuit"

En vignette de cet article, image recréée à partir de la couverture de la Lettre de l’AFC de novembre représentant l’affiche de Camerimage 2019, une création de Piotr Jabłoński.