Entretien avec Dan Sasaki, vice-président de l’ingéniérie optique de Panavision

Dan Sasaki est le vice-président du département optique de Panavision, basé à Woodland Hills en Californie. Il travaille comme ingénieur là-bas depuis près de trente ans et supervise à la fois le développement des nouvelles séries d’optiques (comme la toute nouvelle série anamorphique "T" destinée aux capteurs numériques) ainsi que le service quotidien auprès des chefs opérateurs et des productions pour leur fournir une sorte "de location d’optique sur mesure" en fonction de leurs besoins sur chaque film. À son crédit, on peut citer notamment le nouveau film de Quentin Tarrantino The Hateful Eight, Star Wars 7 Le réveil de la force, ou encore Spectre, le dernier opus des aventures de James Bond... (FR)
Dan Sasaki et Olivier Affre, le 19 novembre 2015 à Camerimage - Photo AFC
Dan Sasaki et Olivier Affre, le 19 novembre 2015 à Camerimage
Photo AFC

Comment se répartit le travail actuellement à Woodland Hills ?

Dan Sasaki : La recherche de nouvelles formules et de nouvelles séries est bien sûr importante pour nous mais nous avons aussi beaucoup de demandes au jour le jour, qui nous amène à retoucher telle ou telle série d’optiques vintage, les remettre au goût du jour, ou retravailler leur empreinte visuelle en fonction de la demande des chefs opérateurs... Par exemple, je peux vous citer le travail qu’on a fait pour Robert Richardson, ASC, et Quentin Tarrantino qui souhaitaient tourner leur nouveau film en 65 mm argentique. Un projet qui a démarré de manière classique avec des optiques sphériques (tels que les derniers films 65 mm ont été tournés encore récemment) mais rapidement, je me suis aperçu qu’ils souhaitaient esthétiquement en plus du grand format pouvoir tourner en anamorphique...
On a donc ressorti de très vieilles optiques 65 mm anamorphique du placard, utilisées pour la dernière fois dans les années 1960 avec le système et les caméras d’époque Ultra Panavision.

Le problème, c’est que ces optiques étaient fabriqués à une époque où les caméras à visée réflex n’existaient pas. Il nous a donc fallu les démonter, puis les reconfigurer mécaniquement et optiquement pour augmenter le tirage optique et les placer sur une caméra 65 mm actuelle.
Bien sûr cette opération n’est pas complètement transparente, et le rendu de chaque optique a dû être contrôlé pour obtenir quelque chose de cohérent sur la série.
Autre exemple, pour le tournage de Star Wars 7, Dan Mindell, ASC, est venu nous voir avec un exemplaire de la revue American Cinematographer de 1977. Il nous a dit : « Je veux les mêmes optiques qu’à l’époque pour raconter tout ce qui se passe du côté des rebelles, tandis que tout ce qui se passe du côté de l’empire sera fait avec des Primos anamorphiques plus modernes... » Le challenge n’était pas aussi compliqué mécaniquement que sur Hateful Eight mais on a quand même passé six mois à faire des tests extensifs sur des séries C pour les rendre plus douces, avec un peu plus de flares, et un design mélangeant optiques primaires modernes et bloc cylindrique plus ancien. Au bout de six versions, on a atteint le but !

Combien de personnes travaillent avec vous ?

J’ai trois personnes avec moi mais dans le cas de Hateful Eight, ça a mobilisé pas mal de monde ! Outre les gens du service optique, il y a eu aussi les gens du département service et celui de la fabrication soit en tout près de vingt personnes pour remplir la mission en quelques mois...

C’est amusant, Panavision est le seul sur son stand à exposer fièrement une caméra 65 mm argentique... Êtes-vous les derniers défenseurs du film ?

J’aime bien cette idée ! Beaucoup d’opérateurs s’orientent encore vers le film en 35, en 16 et même en 65 mm. Pour tous les films qui font partie des quinze plus gros budgets, la question initiale est toujours la même : « Est-ce qu’on le tourne en argentique ? » Je peux vous dire que les caméras 65 mm n’ont chez nous jamais autant tourné que dans ces cinq dernières années, que ce soit pour des productions entières au pour des besoins en effets spéciaux (création des pelures destinées aux plans composites).

Alors pourquoi ne pas construire une nouvelle caméra 65 mm film plutôt que numérique... Ne serait-ce pas beaucoup plus simple ?

Vous avez raison ! Ce serait effectivement beaucoup plus simple... La question qu’on se pose, c’est que depuis la disparition de l’usine de Rochester, il semblerait que Kodak n’est malheureusement pas conservé l’outil industriel permettant de fabriquer le support acétate.
Une très grande quantité a donc été produite avant l’arrêt et la destruction de l’usine, mais on ne sait pas exactement combien de mètres reste en réserve. Sans doute beaucoup.... mais tout cela reste très flou et Kodak ne communique pas du tout sur la question. C’est donc un peu risqué industriellement de miser sur une nouvelle caméra argentique, même si l’engouement des grands noms d’Hollywood semble solidement perdurer pour le film.

Vous venez de présentez l’année passée la nouvelle série Primo 70, est-ce la locomotive pour vous ?

Le 65 mm concerne une dizaine de films par an pour nous. C’est un peu le haut de l’iceberg. Pour le reste, qui représente la grande majorité des demandes, on développe de nouveaux produits en permanence, surtout en anamorphique où la demande ne fait que croître et où les stocks limités nous forcent parfois a refuser des clients. Dans ce domaine, Panavision vient d’annoncer à Camerimage la sortie d’une nouvelle série d’optiques anamorphique baptisée série T destinée à la prise de vues numérique.

Et pourquoi ne pas vous lancer sur une série légère et compacte ?

Oui, c’est une des pistes sur lesquelles on travaille. Panavision n’a jamais été vraiment sur le créneau des optiques légères ! Une série légère, compacte (par exemple de la taille des Summilux-C) et couvrant le capteur de la RED Dragon est un bon créneau. Surtout quand on prend en compte l’allègement constant des corps caméra et les utilisations de plus en plus fréquentes sur "gimball" ou sur drone. Parallèlement, on va bientôt sortir une nouvelle version du zoom 24-275 mm incorporant les nouvelles technologies qui vont le rendre plus compact. Néanmoins, je tiens à signaler que la série Primo 70 est étonnamment légère vu sa couverture et le fait qu’elle intègre des moteurs dans chaque optique.

Parlez-nous de cette nouvelle série T ?

Ce sera avant tout une série très complète, destinée aux caméras numériques. Elle aura des focales allant du 20 mm au 180 mm et des zooms au ratio court qui auront tous une construction avec anamorphose avant. Ce qui veut dire une empreinte visuelle tout à fait cohérente, ce qui est une première dans la gamme anamorphique. Les premières optiques sont actuellement en cours de production, et devraient être mises sur le marché courant 2016. Notre présidente, Kim Schneider, a insisté sur la nécessite de produire de nouvelles optiques chaque année et de placer résolument Panavision comme le N°1 mondial des objectifs Ciné.

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC.

En vignette de cet article, Dan Sasaki - Photo Panavision.