Entretien avec Daniel Borenstein (B-MAC)

Directeur technique du laboratoire

La Lettre AFC n°201

Pourquoi ouvrir un nouveau labo argentique aujourd’hui ?

Daniel Borenstein : Quand, il y a plus de trois ans, nous avons discuté avec Pierre Buffin et Jacques Bled de l’intérêt de la création de B-MAC, la photochimie a tout de suite été évoquée comme une évidence. Cela semblait obligatoire d’avoir des capacités de développement en interne à la fois pour des raisons d’indépendance mais aussi pour pouvoir avoir la maîtrise complète des travaux qui seraient effectués, pour pouvoir garantir un suivi technique et qualitatif adapté aux exigences de chaque projet, de chaque opérateur, de chaque réalisateur. Ce qui était en fait déjà leur façon d’opérer pour la publicité et les longs métrages.

Maintenant il faut bien voir que la photochimie de B-MAC se démarque de ce qu’elle est dans les autres laboratoires. B-MAC est, de par sa conception même, à la croisée du photochimique et du numérique, son organisation est hybride, employant le meilleur de chacun de ces deux mondes. Elle est le reflet de cette période charnière dans laquelle nous vivons.
Ainsi nos développeuses (négative S16/35 mm, positive 35), probablement les dernières qui auront été conçues et installées en France, bénéficient des toutes dernières avancées technologiques. Entièrement asservies par ordinateur, elles nous garantissent une stabilité et une sécurité de traitement rarement rencontrées et permettent une grande facilité d’utilisation.

L'équipe de B-MAC - Par ordre d'apparition à l'écran de la gauche vers la droite : Michel Caffa, Boris Ferrand, Karine Marchandou, Florence Bonnet-Rivet, Rémi Gualino, Aziz Abil, Romain Matuszak, Camille Chaine, Yves Le Peillet et Daniel Borenstein.<br class='manualbr' />Photo Jean-Marie Achard
L’équipe de B-MAC
Par ordre d’apparition à l’écran de la gauche vers la droite : Michel Caffa, Boris Ferrand, Karine Marchandou, Florence Bonnet-Rivet, Rémi Gualino, Aziz Abil, Romain Matuszak, Camille Chaine, Yves Le Peillet et Daniel Borenstein.
Photo Jean-Marie Achard

La photochimie chez B-MAC se situe à la périphérie du " process ", en amont, pour le traitement des rushes et, en aval, pour la fabrication des éléments de distribution. Le cœur du " process " (conformation et étalonnage) est lui entièrement numérique. Ce qui entraîne un allègement de l’installation photochimique car les négatifs " shootés " en interne " marchant " à lumière unique, il n’y a plus besoin d’analyseur couleur.
Par ailleurs, la tireuse fonctionne, elle, en demi-point de tirage pour une plus grande précision des copies. Il n’y a plus non plus de tirage d’interpositifs et d’internégatifs. Ils sont " shootés " directement, ce qui permet un gain de temps, une augmentation de la qualité, ainsi qu’une diminution drastique de la malfaçon.

L’équipe est extrêmement concentrée (10 personnes en tout, dont 3 à 4 pour la photochimie). Le personnel de B-MAC se caractérise par sa très grande polyvalence. Ainsi le développeur, Aziz Abil, (mais est-il encore développeur) développe les négatifs, puis les tire, développe les positifs obtenus et les vérifie en projection. De même la monteuse, Florence Bonnet-Rivet, (mais est-elle encore monteuse) amorce les négatifs, les passe au télécinéma pour le montage, les scanne pour la conformation, vérifie la propreté des scans et au besoin les " dépètouille ". Et ainsi pour chacun. Cette concentration de l’équipe permet une plus grande implication, chacun connaît tous les projets et en suit les différentes étapes.

De toute manière, nous sommes des gens du film, nous croyons encore à la pellicule comme support de tournage et comme moyen d’archivage pérenne. L’image argentique reste pour nous le support le plus riche et offrant le plus de possibilités à l’étalonnage. Les pellicules n’ont jamais été aussi bonnes, ce n’est certainement pas le moment d’arrêter de s’en servir !
Alors pourquoi ouvrir un nouveau labo argentique aujourd’hui ? Mais B-MAC n’est pas un labo argentique, B-MAC est bien plus que cela. B-MAC est la démonstration de ce que peut être un prestataire de service aujourd’hui dans l’industrie cinématographique.

Quels sont les outils et " workflow " qui font votre savoir-faire ?

DB : A B-MAC, il n’y a pas de " workflow ". C’est-à-dire, il n’y a pas de chemin unique et absolu que chaque projet doit suivre. Il y a des outils étalonnés pour travailler ensemble mais l’ordre à suivre n’est pas fixé. C’est le projet qui fixe l’ordre des opérations. B-MAC est organisé pour s’adapter aux exigences et à la spécificité de chaque film.
Par exemple, il n’y a pas d’obligation d’étalonner un film à " shooter " ou dont il faut faire un DCP. Si ce film a déjà été étalonné ailleurs (sur Color par exemple pour un film à tout petit budget) ou a été fabriqué étalonné (pour un film d’animation, par exemple), on doit s’adapter à ce fait. A B-MAC, on a mis en place des outils de calibration et des cubes de conversion de couleur qui gèrent parfaitement ces cas.
Autre exemple. B-MAC a accompagné le film L’Assaut de Julien Leclercq depuis le tournage (LUTs, traitement des rushes, " backup "), le montage (dans les bureaux de production de B-MAC), les projections de vérification (sur un écran de 10 m), l’étalonnage, le sous-titrage, le DCP et le retour sur film.

De même aujourd’hui, alors que la projection numérique supplante de plus en plus la projection 35, le support film doit-il rester la référence couleur ? La projection numérique possédant une palette de couleurs (gamut) beaucoup plus riche que le film ne doit-elle pas devenir la version de référence ? Nous n’avons quant à nous rien décidé, c’est au chef opérateur et au réalisateur de le faire. Notre installation nous permet les deux.
Ainsi, sur Enter The Void, Gaspar, Noé souhaitait, dans certaines séquences, des couleurs très saturées, acidulées de type néon. Le support film ne permet pas de faire notamment des rouges vifs très lumineux et saturés. Il a donc été décidé que la version de référence serait le DCP, la version film faite ensuite n’était qu’une version adaptée de cette référence, contrainte dans l’espace film.
Par contre, sur Arthur et les Minimoys, la version film est la version de référence et le DCP est le reflet parfait de cette version.

Quels sont les films, ou parties de films, que vous avez traités avec le plus de plaisir ?

DB : Ce qui nous a vraiment intéressés, dans les projets sur lesquels nous sommes intervenus, c’est d’avoir pu participer à l’élaboration du " workflow " de chaque film, d’avoir réussi à satisfaire les exigences artistiques de certains, d’avoir été présents avant et pendant le tournage, puis pendant la postprod et d’entrer quelque part dans cette petite communauté qui se crée autour de chaque projet, là où parfois les labos ne sont que spectateurs. C’est ce qui s’est passé, entre autres, sur le film de Julien Leclercq L’Assaut.
Nous avons aimé tout particulièrement les challenges techniques et/ou graphiques qu’on nous a proposés et qu’on a relevés.
À ce titre, le film de Gaspar Noé a été très riche. Gaspar est un réalisateur pointu, pointilleux et exigeant. Pour lui, chaque opération, même la plus simple, devient une étape de création. Un des enjeux était de raccorder des plans, des séquences (en couleur, contraste et lumière) entre eux dans une continuité quasi ininterrompue de près de 3 heures et ceci sans se soucier de leurs caractéristiques propres (35 mm scanné en 2K, S16 mm numérisé en télécinéma HD, vidéo P2, images de synthèse).

Mais nous pouvons affirmer avec plaisir que la plupart des films accueillis à B-MAC ont été l’occasion, tout au long de la chaîne, de faire des rencontres et de découvrir des univers variés. Nous espérons, bien sûr, poursuivre ces découvertes.

(Propos recueillis par Caroline Champetier)

Description de l’installation de B-MAC par Daniel Borenstein
Sur une superficie de plus de 1 300 m2, situés à 100 m de la place de Clichy, nous avons :
- une salle d’étalonnage et de projection avec son agréé Dolby et DTS équipée de 75 fauteuils et d’un écran de 10 m de base, un projecteur 35 mm, un projecteur numérique Christie 2K et relief, player Dorémi DCP2000
- deux salles d’étalonnage Baselight 2K et HD avec projecteur Christie 2K et relief
- développement couleur négatif 16 mm/35 mm et positif 35 mm
- scanner Northlight S16 mm/35 mm (2K, 4K, 8K) et report sur film 35 mm (2K, Super 2K et 4K) sur Celco Fury et AatonK
- télécinéma Spirit HD S16 mm/35 mm

Location
- salle de montage et/ou bureau de production
- salle de projection équipée de 75 places (35 mm et numérique 2D et 3D)