Entretien avec Didier Diaz, président des Studios de Paris

par Eric Guichard AFC, Jean-Noël Ferragut AFC et Vincent Jeannot AFC
A la veille de l’inauguration des Studios de Paris, courant septembre, et compte tenu de l’importance que revêt, à nos yeux d’opérateurs, l’ouverture d’un nouveau lieu où se fait le cinéma, nous n’avons fait ni une ni deux et sommes allés à la rencontre de Didier Diaz, qui les dirige actuellement. Après une visite guidée de la Cité du Cinéma et des studios eux-mêmes, Didier s’est entretenu avec nous.

Jean-Noël Ferragut : Que représente au juste la direction des Studios de Paris ?
Didier Diaz : C’est beaucoup d’implication et de temps passé !
Je vais parler tout d’abord des plateaux des Studios de Paris. Il y a trois actionnaires : Luc Besson, qui possède en gros 50 % des parts, Euromedia, qui est venu le rejoindre et qui en détient 25 %, et Tarak Ben Amar qui en a aussi 25 %. Là, il est question de la propriété des murs.
Ils ont eu la bonne idée de créer une société d’exploitation avec les mêmes actionnaires et les mêmes pourcentages. Cette idée a fait son chemin et je me suis retrouvé à la tête de cette société pour la bonne raison que je connais bien les trois : je connais bien Luc, je suis dans le groupe Euromedia et je connais bien Tarak puisque je l’ai vu arriver dans le métier. On verra ce que ça dira avec le temps… Je sers plutôt de lien.
Il y a aussi le côté passionnel, une chose que vous connaissez bien. A l’époque de la reprise des Studios d’Arpajon, j’étais proche de Pascal Bécu et de Pierre-Luc Forveille pour trouver des solutions aux soucis qu’ils avaient. Précédemment, j’étais proche de Julien Derode qui m’avait proposé la gestion des Studios de Boulogne. Les studios en tant que tels m’ont toujours intéressé, pas en tant que financier, en tant qu’homme du métier et pour le côté magique des choses.

Eric Guichard : Et pour quelles raisons de nouveaux studios ?
DD : Nous sommes pris entre deux contradictions, d’une part le fait que l’on n’ait pas de structures capables d’accueillir les films étrangers et d’autre part que l’on trouve notre projet surdimensionné par rapport au marché français. Maintenant que la structure est là, les films étrangers ne viendront qu’à condition que les incitations fiscales leur soient favorables.
Nous avons vraiment besoin d’être aidés. Que nos responsables politiques comprennent bien le problème français du crédit d’impôt. Qu’on prenne le temps de la concertation, avec des chiffres à l’appui, et je pense que nos responsables ne pourront pas passer à côté, j’en suis intimement persuadé.
Parlons de la délocalisation, on sait combien elle nous coûte ! C’est une somme d’argent considérable et je ne suis pas sûr que l’on soit encore capable d’en évaluer toutes les conséquences économiques. Par exemple, pour attirer les tournages américains, les Canadiens ont fait des calculs complets, ils ont pris le temps de bien analyser. Et quand ils sont allés voir les pouvoirs publics, évidemment, ils les ont convaincus.
Cela dit, il faudrait interroger le monsieur à l’origine des " Tax Shelters " en Allemagne. C’était un homme de cinéma, proche des politiques. Il est allé voir le ministre en disant : - « Ecoute, il me faut 60 millions d’euros ! »
– « Mais tu es fou ou quoi ! »
– « On a besoin de 60 millions d’euros, on va faire venir des films étrangers, et tu vas voir… »
Et le ministre a été tellement interloqué qu’il lui a répondu :
– « Ecoute, d’accord mais pour un an… ».
Il a donc dégagé de l’argent et un an après, c’est le ministre qui courrait après notre homme en disant :
– « He ! On recommence ? Hein ? »
Et c’est comme ça qu’ils ont développé leur crédit d’impôt !
Ce qui veut dire qu’il faut vraiment se repencher sur le problème, c’est l’unique chance pour faire vivre les studios, et nous compris. Pour moi, techniciens, ouvriers, industries techniques, qu’on le veuille ou non, nos destins sont liés.

JNF : A quand remonte le projet des Studios de Paris ?
DD : Le premier rendez-vous que j’ai eu avec Luc, c’était en 2002. Je lui ai toujours posé la question de savoir pourquoi il avait cette idée en tête. Et j’ai cherché ce qui pouvait le motiver : sa motivation date du jour où Le Cinquième élément est allé se tourner à Londres. Luc est parti avec son opérateur, son chef déco et puis c’est tout. Il a passé beaucoup de temps là-bas et il a toujours regretté de ne pas avoir pu tourner ce film-là en France. A la suite de ça, il nous a dit : « Un jour, il y aura des plateaux dignes de ce nom en France ».

Vincent Jeannot : Et le choix du lieu ?
DD : Cette usine, Luc la connaissait, il y avait tourné Le Dernier combat en 1982. J’y avais moi-même tourné en 1974. Ce lieu était préservé par l’EDF parce qu’il servait uniquement de centre de distribution. Auparavant, c’était une des centrales qui produisait du courant pour le Nord parisien. Elle n’était plus en activité mais conservée par l’EDF en état. Quand Luc l’a revue à l’abandon, il s’est dit : « Ce lieu est vraiment intéressant, il faut en faire quelque chose ».

VJ : Comment avez-vous déterminé la taille des plateaux ?
DD : C’est le résultat d’une réflexion de sept ans, dix si l’on compte leur construction. Si je prends l’exemple du 4 000 m2, à la Ferté. Il y a eu des pubs, il y a eu Astérix, un tournage d’Hossein, mais quand on fait le calcul de toute l’exploitation, c’est moins de 50 jours par an. Ça veut dire que ce n’est pas viable, ou alors, il faut du mécénat.
On a calculé la taille des plateaux les plus utilisés, c’est ce qu’on retrouve ici, mis à part le 2 000 m2. On a fait de nouveau le pari de la SFP à Bry, à l’époque de Jean-Charles Edeline – c’était quand même un grand visionnaire. Comme les temps ont changé et qu’il y a un retour vers les plateaux, on espère drainer des gros films étrangers, ou éventuellement donner aux Français l’envie d’en faire autant. C’est toujours pareil, si des films se font sur ce grand plateau, ça donnera des idées aux autres. C’est un peu le pari du 2 000.

EG : Idéalement, l’exploitation, c’est combien de jours par an ?
DD : Amortir des plateaux – louer du mètre carré, pas high-tech mais spécialisé uniquement pour le cinéma –, c’est prévoir une période beaucoup plus longue qu’un amortissement classique, sinon c’est impossible.
Pour parler de Bry-sur-Marne, quand on a commencé à y travailler avec Pascal Bécu, les studios étaient loués à 50, 55 % du temps ; aujourd’hui, on arrive à plus de 80 %, parce l’habitude est revenue, parce que les gens sont bien accueillis, parce qu’on trouve tout sur place. Ici, on va partir de beaucoup plus bas bien évidemment mais on espère obtenir le même climat que celui de Bry.

EG : Du coup, ça ne risque pas de phagocyter un peu Bry, tu penses qu’il y a un marché ?
DD : Le calcul que Luc avait toujours fait depuis le début, c’était : « Pas de plateaux supplémentaires ! » Les plateaux d’Arpajon sont fermés – il y en avait neuf –, avec les trois plateaux de Saint-Ouen, dont je vais me faire exproprier –, ça fait douze en tout. C’est donc un remplacement, et non une surcapacité.

JNF : Comment les studios vont-ils fonctionner au niveau des prestations caméra, machinerie, lumière ?
DD : Il y aura des prestataires qui vont prendre leurs responsabilités. On est en pleine discussion. Les studios par eux-mêmes ne peuvent pas prendre ces investissements en charge. On va s’occuper de la distribution électrique, ça c’est normal. On s’arrête au métier de loueur de plateaux.

VJ : Personnellement, je me suis toujours posé la question par rapport à l’investissement des studios au niveau industriel, c’est si énorme que ça ?
DD : Prenons un des plateaux comme le 800 m2, on fait appel à un industriel qui va le construire. Habituellement, on va lui dire :
– « Moi je veux 16 mètres plus 2 mètres de hauteur… »
– « Pourquoi ? »
On n’est pas dans des normes de construction normales. On lui répond :
– « Parce que nous, on a besoin que ce soit comme ça… Au fait j’ai oublié de vous dire, sans pilier, hein ! »
– « Bon, on va se débrouiller pour en masquer trois ou quatre ! »
– « Non, vous n’allez rien masquer du tout, c’est autoporteur ! »
On part sur autre chose et on est très vite en dehors de la construction normale, qui va vers le moins cher. Là, on est tout de suite dans l’exceptionnel. Luc a surveillé les choses de près. On a fait un tour du monde des studios, il y a eu des études, ce ne sont pas les premières.
Ensuite, tout est une question de volonté. Une vraie volonté politique. Et je le redis une nouvelle fois parce que c’est important : que le métier soit avec nous, que nous soyons réunis, pour une fois, sur un projet afin d’avoir des résultats tous ensemble. Un peu de solidarité, ça ne ferait pas de mal !
D’ailleurs en ce moment nous avons beaucoup de visites surtout des étrangers, des Chinois, des Américains qui sont curieux et intéressés par nos plateaux et qui nous encouragent vivement, et ils savent de quoi ils parlent. Tout dernièrement, une productrice américaine m’a fait cette remarque : « Vous avez un outil formidable, proche de Paris, et je vous promets que si votre crédit d’impôt est attractif, d’ici un an vous allez afficher complet ! »
Donc messieurs, voilà. Je vous donne rendez-vous pour l’ouverture officielle mais surtout revoyons-nous quand les studios seront en pleine activité, j’aimerais bien que vous me donniez votre point de vue.

(Propos recueillis le 1er août 2012 par Eric Guichard AFC, Jean-Noël Ferragut AFC et Vincent Jeannot AFC – En vignette, Didier Diaz / Photo Le Parisien)