Entretien avec Luc Besson à propos du rachat de plusieurs sociétés de production

Europa Corp., le studio de cinéma de Luc Besson, s’est introduit en Bourse en juillet dernier, à 15,50 euros par action. Depuis, le cours a quasiment été divisé par deux. Pourtant, la société a annoncé en novembre, pour le semestre clos fin septembre, un bénéfice de 1,7 million d’euros (contre une perte de 1,2 million un an plus tôt sur la période), avec un chiffre d’affaires multiplié par 2,2, à 74 millions. Mais les investisseurs se posent des questions. Notamment sur l’annonce du décalage éventuel de la sortie de plusieurs films. Entre octobre 2007 et fin mars 2008, ce ne sont plus 9 films qui devraient sortir en salles mais « au moins 6 ». Un chiffre à comparer aux deux sorties – L’Invité et Love et ses petits désastres – qui ont eu lieu entre avril et septembre 2007. Le président du directoire, Luc Besson, explique aux Echos comment il entend lisser son activité, et notamment les sorties de films, pour que ses résultats ne varient pas trop d’un trimestre à l’autre.

Quelle est la situation d’Europa Corp. ?
Elle est saine, je ne suis pas inquiet. Nous avons tourné les parties " live " des deux prochains épisodes d’Arthur et les Minimoys entre juillet et octobre. Le tournage s’est terminé en temps et en heure, avec plusieurs millions d’euros d’économies sur le budget. Nous avons aussi recruté un nouveau directeur général en charge des opérations, Olivier Montfort, ainsi que de nouveaux responsables pour les activités vidéo, musique et juridique.
Nous avons enfin établi notre planning de films pour 2008-2009, et même quelques-uns pour 2010-2011. Nous prévoyons désormais de produire 10 à 15 films par an, contre 8 à 10 précédemment. Comme annoncé, nous allons notamment produire un très gros budget tous les dix-huit mois, et nous donnerons des informations sur le premier en janvier.

Comment expliquez-vous la chute du cours depuis la cotation ?
Une partie s’explique par la chute du cours des valeurs dans l’audiovisuel, qui ont reculé de 35 %. Je rappelle que la crise financière s’est déclenchée juste après notre cotation. C’est un peu comme si on sortait le bateau en pleine tempête, mais cela permet de montrer que le navire tient le coup. Au-delà, nous avons pris conscience du fait que nous ne communiquons pas assez. Pour y remédier, nous diffuserons, à partir du mois de janvier, une " newsletter " une fois par semaine. Nous y donnerons des informations sur les entrées en salles, les droits achetés...

Qu’est-ce que les investisseurs ont du mal à comprendre dans votre activité ?
Notre société est assez atypique, et donc difficile à modéliser ou à comparer. Surtout, nos résultats varient beaucoup d’un trimestre à l’autre, voire d’un exercice à l’autre. C’est dû au fait que les tournages ont lieu pour la plupart sur la même période, en été, pour bénéficier des journées plus longues. Les deux tiers des tournages français sont concentrés entre avril et septembre. S’ajoute à cela l’encombrement des dates de sorties.
Par exemple, nous cherchons à sortir les films familiaux durant les vacances scolaires. Si le film est prêt en début d’année calendaire, il ne peut sortir que pour les vacances de février ou de Pâques. Mais si les vacances de février sont déjà encombrées de nombreux films, la sortie doit être repoussée aux vacances de Pâques. De même, si le film est sélectionné pour le festival de Cannes.
Or notre exercice se clôt fin mars. Décaler une sortie entraîne donc un report de chiffre d’affaires sur l’exercice suivant. Les investisseurs n’aiment pas trop ces variations. De plus, ils se demandent aussi si le décalage de la sortie n’est pas lié à une mauvaise qualité du film. En réalité, c’est pour optimiser son potentiel commercial. Une bonne date de sortie permet d’augmenter les recettes de 10 % à 50 %.

Y a-t-il une solution à ce problème ?
D’abord, nous nous demandons si nous ne pourrions pas changer la date de clôture de notre exercice. Surtout, nous allons lisser nos sorties pour les étaler au cours de l’année. C’était difficile avec 8 à 10 films par an, mais ce sera plus facile avec 10 à 15 films.

Cela signifie-t-il que vous êtes prêts à vous plier aux exigences des marchés ?
Les investisseurs nous ont apporté leurs fonds, et nous les respectons pour cela. Nous essayons de comprendre leurs préoccupations, et, s’il est possible de les satisfaire sans sacrifier l’essentiel, nous le faisons.

Quels sont vos rapports avec les Caisses d’Epargne, qui sont rentrées sur une valorisation de 19,6 euros l’action ?
Ils sont très bons. Ils ne regrettent pas leur investissement. Ils sont rentrés sur un plan à quatre ans, il est donc trop tôt pour tirer un bilan.

Vous prévoyez toujours de doubler votre chiffre d’affaires en quatre ans ?
Tout à fait. Mais il ne faut pas s’attendre à une progression linéaire. La croissance s’accélérera lors des deux dernières années.
Une des motivations de l’introduction en Bourse était de racheter des catalogues de films...
Effectivement, nous sommes en train de racheter pour 28 millions d’euros Roissy Films, qui détient un catalogue de 500 films : La Guerre du feu, L’Avventura, La Grande bouffe, Le Cave se rebiffe, Les Bas-fonds, Mélodie en sous-sol, Les Ripoux, Les Sous-doués, etc. Nous allons exploiter au mieux ce catalogue en éditant des coffrets, en le proposant en vidéo à la demande... mais aussi en tournant des remakes de certaines œuvres. Le dirigeant de Roissy Films, Raphaël Berdugo, va aussi nous rejoindre.

Lors de la cotation, vous disiez aussi vouloir acheter des sociétés de production...
En effet, nous discutons de l’achat de 3 ou 4 sociétés de production indépendantes françaises, soit en prenant une participation, soit en rachetant 100 %.

Où en est votre projet de multiplexe à Marseille ?
Nous ne sommes que locataires, nous attendons qu’on nous livre les murs. Les travaux doivent s’achever au plus tôt en 2010, et l’ouverture est prévue pour 2011. Ce complexe nous permettra notamment de faire des projections tests de nos films. Mais cette expérience restera limitée : nous n’avons pas vocation à devenir un grand exploitant de salles.

Il y a un an, vous avez acheté à EDF le terrain de votre future cité du cinéma à Saint-Denis. Que s’est-il passé depuis ?
La dépollution du site est terminée, la démolition est à moitié achevée, le terrassement est entrepris, et le financement de 130 millions d’euros est en cours. L’ouverture est prévue début 2010. Je rappelle que ce projet n’est pas porté par la structure cotée Europa Corp, mais par une autre de mes sociétés. Europa Corp y installera son siège et ses tournages, qui, à eux seuls, représenteront 40 % des capacités, soit 1 à 1,5 million d’euros par an. Les plateaux seront construits par Europa Corp. si la rentabilité est jugée suffisante, sinon par un tiers.

(Entretien avec Luc Besson, président du directoire d’Europa Corp, publié le 27 décembre 2007)