Entretien avec Nicolas Berard, directeur de la Division cinéma Kodak France Benelux Afrique du Nord

Filmer sans compromis ?

par Kodak

Abordant la dernière ligne droite de cette quinzaine cannoise, Nicolas Berard, directeur de la Division cinéma de Kodak France - Benelux - Afrique du Nord, a bien voulu nous parler de l’évolution du marché, des technologies et des produits proposés bientôt par la marque de Rochester pour les cinéastes et leurs producteurs.

Comment vont les choses pour vous en ce rendez-vous annuel du cinéma mondial ?

Nicolas Berard : Cette année encore, la majorité des films présents à Cannes sont tournés sur support argentique. Après l’arrivée des premiers tournages numériques en compétition il y a quelques années, on constate donc que le 35 mm n’a pas été balayé, bien au contraire !
Notre présence à Cannes en tant que partenaire officiel est importante pour confirmer notre engagement dans la pellicule argentique qui reste selon nous le support privilégié des tournages, notamment avec la gamme Vision 3 que nous complétons aujourd’hui avec la nouvelle Kodak Vision 3 200T. On voit même que le mode de prise de vues 2perf, adopté a l’origine plutôt pour le téléfilm, commence à être utilisé en fiction cinéma. C’est le cas pour lefilm de Xavier Beauvois (Des hommes et des dieux) éclairé par Caroline Champetier, AFC, en compétition officielle pour la palme, ou sur L’Autre monde de Gilles Marchand, éclairé par Céline Bozon, AFC.

Il y a aussi cette année un triptyque exceptionnel de 5h30 : Carlos de Olivier Assayas, éclairé par Denis Lenoir, AFC, et Yorrick Le Saux – qui est d’ailleurs à l’origine une mini-série pour Canal+. A ce titre, dans ce contexte de convergence des médias, le 35 2perf est un support idéal pour garantir la meilleure qualité quel que soit le mode de diffusion.
Notre présence à Cannes s’inscrit aussi dans le cadre d’un soutien à la création à travers notre mécénat de la Caméra d’Or et notre partenariat avec la Semaine Internationale de la Critique.

Les difficultés rencontrées par le milieu industriel (notamment les laboratoires français) ne vous font pas redouter la suite ?

NB : Le contexte économique est effectivement difficile. On vit actuellement la conjugaison de 3 facteurs qui arrivent en même temps. D’une part, une révolution technologique, avec l’arrivée du numérique, qui impose des changements de méthode, de savoir faire et des investissements très lourds pour les prestataires. Ensuite, une crise des financements qui bien que le nombre de films reste plus ou moins constant en France, fait diminuer de manière non négligeable les budgets. Enfin une crise économique mondiale qui atteint la profession même si le cinéma français bénéficie dans notre pays d’une forte régulation qui permet d’amortir un peu les effets.
Je vois cette période comme une étape à franchir pour recréer des modèles économiques qui seront ceux de demain. Une phase de réadaptation qui est nécessaire, un peu comme celle que Kodak a déjà connu il y a quelques années sur le marché de la photographie…

Et la poussée des nouveaux moyens de prises de vues ?

NB : Chaque arrivée d’une nouvelle caméra numérique sur le marché provoque à chaque fois un nouvel engouement de la profession qui ne dure jamais très longtemps, une nouveauté chassant l’autre. Le dernier en date concerne même un appareil photo (Canon 5D), notamment sur le marché publicitaire.
Même si désormais l’option numérique est très souvent étudiée, nous constatons que les productions qui cherchent le meilleur support pour leurs tournages comprennent avec du recul que la souplesse, la qualité et la fiabilité du film restent des atouts importants dans la balance "économico-artistique ".
Même pour des films à petit budget, la filière film reste tout à fait valide à condition de bien la réfléchir. Pour exemple récent, Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé, un film pour lequel la production a longtemps hésité entre le numérique et l’argentique. Un film qui s’est finalement tourné en 35 Scope car seule la pellicule pouvait coller avec la vision du réalisateur, dans un budget de moins de 3 millions d’euros.

Vous évoquiez le succès d’un appareil comme le Canon 5D… En dehors des limites liées à la très forte compression, n’est-ce pas sutout lié à la taille de son capteur et à l’aspect unique de la profondeur de champ… ? Une sorte de retour bon marché vers l’age d’or du cinéma, quand Hitchcock filmait en Vistavision ou David Lean en 70 mm ?

NB : Il est certain qu’on va vers les caméras numériques à grand capteur.
Et on le voit bien ici, car les films tournés sur petites caméras HD 2/3 ou 1/2 pouces présents depuis quelques années tendent à disparaître au profit des caméras comme la RED, la Genesis ou la D21 qui offrent un rendu similaire en profondeur de champ à la référence visuelle créée par le 35 mm. En revanche cela pose encore pas mal de problèmes : l’ergonomie, le workflow et surtout la souplesse d’utilisation quand on tourne dans des conditions de contraste fort, sans beaucoup de moyens d’éclairage.
Autre avantage du film : rien ne remplace sa profondeur de couleur, notamment pour le rendu des visages des comédiens. D’ailleurs, quand on a les moyens comme certaines superproductions US, les producteurs n’hésitent pas à tourner en 65 mm.
Dans ces conditions, en exploitation Imax à partir d’un scan 6K, le spectacle est alors inégalé.

Où en sont les choses en termes de chaîne de postproduction en France pour les films de longs métrage… Le numérique s’est il désormais imposé ?

NB : On atteint actuellement près de 90 % des longs métrages postproduits en numérique. L’ensemble de la chaîne (scan, étalonnage et shoot) devient plus accessible, grâce aux efforts des laboratoires et l’arrivée de nouveaux outils, et le frein économique semble peu à peu avoir été levé.
C’est pour cette filière (DI) que la gamme Vision 3 a été vraiment pensée. En effet elle offre une granulation plus fine dans les basses lumières, une plus grande neutralité des tons et une très grande latitude. Ces améliorations semblent aujourd’hui vraiment appréciées au télécinéma ou au scan pour pouvoir tirer le maximum de la pellicule, même dans des conditions difficiles de contraste ou d’exposition. Et puis nous sortons aussi en juin une nouvelle pellicule intermédiaire spécialement conçue pour le retour sur film à partir de la filière numérique.
Ce film, d’une très grande finesse est optimisé pour fonctionner avec tous les imageurs du marché quelle que soit leur technologie. En filière de postproduction 4K (comme sur le film de Xavier Beauvois), le film est alors le seul moyen d’atteindre une telle qualité de profondeur de couleur.

Dans ce contexte, pensez-vous à terme aller vers une négative qui serait exclusivement dédiée au scan, et plus au tirage ?

NB : Notre priorité est d’abord de finir de compléter la gamme Vision3. On a déjà fait une tentative avec le système Vision2 HD, mais qui est peut-être arrivée un peu trop tôt. Et puis surtout les directeurs photo apprécient d’avoir le choix des sensibilités dans une famille de pellicule. On ne peut les obliger à tout faire avec une seule émulsion. Mais il n’est pas impossible qu’on se remette au travail si l’on sent qu’il y a une demande pour une telle pellicule, sachant que la technologie Vision3 permettrait de l’envisager facilement… Quoi qu’il en soit, je pense que les négatives " classiques " demeureront, ne serait-ce que pour certains marchés où la postproduction numérique reste encore l’exception…

Le futur du film ne réside-t-il pas finalement dans la problématique de l’archivage ?

NB : Il me semble qu’il y a maintenant un consensus sur la question : le film offre la plus grande sécurité en termes de conservation à très long terme, car la durée de vie des pellicules actuelles est estimée à 500 ans et le prix est vraiment abordable, comparé aux solutions de stockage numérique qu’il faut re-sauvegarder et vérifier en permanence. Reste maintenant à convaincre les ayant droits d’investir dans leur patrimoine pour effectuer systématiquement un report sur film au final, surtout quand la projection film ne sera plus majoritaire dans les salles.
Jusqu’alors, les productions se reposaient beaucoup sur les laboratoires mais dans l’avenir, avec le développement du numérique, la question va se poser de manière plus cruciale car la valeur de l’entreprise repose essentiellement sur la valeur de son catalogue.

C’est une chose que les grands studios américains ont compris depuis longtemps puisqu’ils procèdent même au report sur 3 négatifs noir et blanc pour certains films selon le procédé de la séparation trichrome. C’est la solution de conservation la plus sûre puisqu’elle ne dépend même plus de la stabilité des colorants des pellicules couleurs.
J’espère d’ailleurs à ce sujet que dans le cadre du grand emprunt annoncé par le CNC pour l’aide à la numérisation , il y aura une vraie action de sensibilisation à ce sujet, et qu’on pourra aussi y inclure le retour final sur film. Sinon, ce serait un peu s’arrêter au milieu du chemin…

(Propos recueillis à Cannes par François Reumont pour l’AFC)