Entretien avec Phedon Papamichael, ASC, GSC

Par Madelyn Most

La Lettre AFC n°246

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Nous publions ci-dessous un entretien rédigé par Madelyn Most dans lequel le directeur de la photographie Phedon Papamichael, ASC, GSC, parle de son travail sur les films Nebraska, d’Alexander Payne, et Monuments Men, de George Clooney.

Après Cannes en mai 2013 et Camerimage en novembre, Nebraska, réalisé par Alexander Payne et photographié par Phedon Papamichael, ASC, GSC, a été nommé pour les ASCA (American Society of Cinematographers Awards) en février. Une grande partie du public se réjouissait de la rumeur selon laquelle Nebraska avait des chances de voler la victoire à Gravity. Après tout, les directeurs de la photo allaient voter pour ce qu’ils jugeaient être la meilleure image et la meilleure photo de l’année, et non pour les effets spéciaux. Son image noir et blanc, si riche, d’une beauté brute et simple, est unique dans le cinéma d’aujourd’hui ; elle se démarque avec insolence du style tape-à-l’œil, artificiel et publicitaire que l’on retrouve dans la plupart des films produits par Hollywood.
Mais le résultat du vote ne fut pas celui escompté : Emmanuel Lubezki, ASC, directeur de la photographie sur Gravity, remporta le prix. Après Avatar, L’Odyssée de Pi et à présent Gravity, n’aurait-il pas été judicieux de créer deux catégories distinctes de Cinematography Awards : l’une pour les prises de vues traditionnelles (véritables, réelles) et l’autre pour les images générées par ordinateur ?

« Je pense que lorsqu’on n’a pas la possibilité de se rendre là où le film a été tourné et de voir les lieux ou les paysages, il faudrait en effet créer une autre catégorie. Cela ne concerne pas particulièrement Chivo qui a participé à la création de toutes les images de Gravity et de son esthétique », dit Phedon Papamichael, mais sur les autres films, les DoP ne se sont pas beaucoup occupés des effets spéciaux, ils n’ont pas exercé de contrôle sur le résultat final de l’image et, dans certains cas, ils n’ont même pas rencontré le responsable des effets spéciaux.
Papamichael s’est envolé pour la Berlinale, assister à l’avant-première de Monuments Men, puis pour Londres où Nebraska était en compétition pour les British Academy Awards dans la catégorie de la meilleure image, avant de retourner à Los Angeles pour les Oscars. Entre deux films, on peut le trouver sur son bateau au large d’une île grecque.

Une partie de la beauté de Nebraska tient au fait que ça n’a pas l’air éclairé – même les intérieurs ont l’air naturel.

« En général, je m’inspire au début de situations de lumière naturelle. J’essaie de trouver une esthétique différente pour chaque image et de rester discret en matière de lumière, sans laisser la photographie s’imposer outre mesure. Pour ce film, j’ai joué avec le noir et blanc, et forcé le contraste. S’il ne s’agit pas d’une longue scène où nous devons tourner longtemps, je n’utiliserai que la lumière naturelle, comme dans la vieille ferme où je pouvais me mettre où je voulais et choisir le moment de la journée pour tourner le plan.
Je peux me permettre cette souplesse parce que, en général, avec Alexander, nous ne sommes pas dans la précipitation. Nous prenons notre temps et faisons environ une dizaine de mises en place de plans par jour. Normalement, sur les films d’Alexander, nous avons cinquante jours de tournage, et nous en avons eu trente-cinq sur celui-ci. Je n’ai pas vraiment abordé le noir et blanc très différemment de la couleur, mais j’ai augmenté le contraste parce que pendant le tournage, je regardais des films en noir et blanc, comme La Liste de Schindler, beaucoup plus stylisé, et j’ai remarqué que l’on pouvait se permettre des sources de lumière plus agressives, plus fortes, donc j’ai poussé un peu le contraste, et voilà quelle a été notre approche. J’ai tourné avec une Alexa, réglée à 800 ou 1 200 ISO à T4, à cause des optiques anamorphiques.
Nebraska, comme les autres films d’Alexander, est tourné en décors naturels, dans d’authentiques restaurants, des bars, des maisons qui existent tels que vous les voyez – généralement, nous ne touchons pas aux meubles ni à la décoration. Toutes les scènes de voitures sont réelles. Les acteurs conduisent eux-mêmes et je m’installe à l’arrière du véhicule sur un slider avec tête fluide, ou sinon la caméra est montée sur la voiture en déport de la portière.
La plupart des scènes dans la voiture sont tournées sans lumière artificielle. Pour les intérieurs, la fameuse scène où ils mangent la dinde, l’inspiration vient de la lumière naturelle, mais en fait j’envoie plusieurs Arrimax de 18 kW sur une toile Ultra-Bounce. Ça fait beaucoup de lumière pour essayer de faire comme s’il n’y en avait pas, mais c’était nécessaire, simplement parce qu’il fallait garder cette même lumière sur une longue durée », précise Papamichael.

Nebraska est la troisième collaboration consécutive de Papamichael avec Alexander Constantine Papadopoulos – alias Alexander Payne – après Sideways et The Descendants, et ces trois films ont été des succès financiers et critiques. Payne, d’origine grecque et allemande (comme Papamichael), est né et a grandi à Omaha, Nebraska. Il est connu pour ses récits à petit budget, personnels, fins, attentifs, qui explorent la vie intime des gens ordinaires, qu’il écrit et réalise : Citizen Ruth, Sideways, Monsieur Schmidt, L’Arriviste, le 14e arrondissement de Paris, je t’aime ».

« Alexander m’a parlé de Nebraska il y a une dizaine d’années pendant le tournage de Sideways, et il a toujours été prévu en noir et blanc. Nous ne nous référons pas vraiment à un film en particulier, mais nous avons préparé des pâtes ensemble et regardé des tas de films japonais en noir et blanc des années 1960, 70 et 80, (et bien sûr La Barbe à papa et La Dernière séance) pour comparer le grain et le contraste de ces films en noir et blanc », indique Papamichael.

Phedon, qui a grandi à Munich, dit avoir été influencé par la nouvelle vague allemande, surtout par l’approche naturelle avec laquelle Robbie Müller aborde sa photographie d’Alice dans les villes et d’Au fil du temps. Les trois cinémas préférés de Payne sont les cinémas japonais (surtout Kurosawa), italien et américain (sa période classique).

Payne est connu pour sa façon particulière de travailler : il garde autant que possible le contrôle sur le film et choisit des acteurs non " bankables ". Il est l’un des rares réalisateurs de Hollywood à avoir la maîtrise du montage final sur ses films, mais, afin de préserver son indépendance, il s’arrange pour avoir des budgets très bas, au regard des critères américains. Celui de Nebraska tournait autour de 13 millions de dollars.

« C’est le premier film qu’Alexander n’a pas écrit », dit Papamichael. Le scénario de Bob Nelson était la propriété des studios Paramount, mais comme ils n’étaient pas convaincus par le choix du noir et blanc, ils ont insisté pour que Payne leur fournisse également une copie couleur, « donc nous ne pouvions pas tourner avec une pellicule noir et blanc, et cela a modifié notre façon de travailler », poursuit-il. « J’ai testé différents supports ; j’ai fait des essais avec la 5222 (pellicule noir et blanc de Kodak) que j’ai prise comme référence, ensuite j’ai testé la 5219 couleur de Kodak, et mon étalonneur Skip Kimball, de chez Technicolor, a pu régler le contraste et faire correspondre les résultats du film pellicule et ceux de la version numérique. »

« Les résultats étaient très proches, et nous avons décidé d’ajouter du grain en postprod’ pour améliorer la texture du rendu final. Les prises de vues couleur de l’Alexa et les rushes ont été transférés en noir et blanc. Ensuite j’ai ajouté du grain en filmant une surface grise (avec la 5248). On a donc filmé la surface granuleuse et déposé une couche sur l’image numérique qui, elle, était très propre et très fixe.
Nous sommes dans un monde où 98 % des projections se font en DCP, mais nous avons tiré dix copies de Nebraska en noir et blanc ; deux appartiennent personnellement à Alexander, mais nous n’avons pas encore trouvé d’endroit où les projeter. Paramount soutient bien le film et approuve aujourd’hui totalement le choix du noir et blanc », ajoute Papamichael.

La série C anamorphique des optiques Panavision conçue dans les années 1970 a contribué à apporter plus de texture au rendu, un rendu presque imparfait, tandis que le format Scope accentuait les vastes paysages déserts et désolés, et la sensation d’isolement des deux petits personnages solitaires dans le grand cadre. Sur les gros plans de Bruce Dern, les optiques accusaient les rides profondes et le vieillissement de son visage pâle et fantomatique, et créaient une sorte de halo autour de ses cheveux blancs, ce qui a contribué à communiquer une sensation de tristesse à mesure que le personnage devenait plus absent, confus et désorienté dans sa propre vie.
Papamichael a ajouté de la couleur aux ciels gris et plats, aux bâtiments, aux murs et aux costumes, mais il n’a pas pu utiliser de filtres rouges ou autres filtres colorés car il devait prendre des précautions pour la version couleur. Son étalonneur à Los Angeles, Skip Kimball, lui a montré comment sélectionner certaines couleurs et lui a dit : « Plus tu me fourniras de couleurs, plus je pourrais en mettre dans le logiciel. »

« Ce qu’il faisait était incroyable ; j’ai appris à isoler les couleurs primaires », dit Papamichael. « J’ai demandé au chef décorateur Denis Washington de peindre la grange en rouge, les murs en bleu, et à la chef costumière de mettre aux acteurs des chemises à carreaux rouges et verts pour que nous puissions travailler sur ces couleurs. »
« Ça m’a donné la possibilité de jouer sur les tonalités et de rendre les choses plus faciles et rapides pour la suite, car nous n’avions que huit jours pour faire l’étalonnage numérique. »

Quel effet cela vous fait-il de travailler à la fois pour Alexander Payne et pour George Clooney ?

« Je suis un cinéaste classique, comme George et Alexander, et c’est de cette manière que nous savons raconter une histoire. Les films qui nous influencent sont étrangers à toute stylisation. George aime tourner en pellicule parce qu’il préfère une certaine esthétique, donc nous avons photographié les extérieurs sur pellicule pour Monuments Men ; mais il est aussi conscient des avantages à tourner en numérique pour les situations en basse lumière ; il sait que ça lui permettra peut-être d’aller plus vite, donc il a été d’accord pour utiliser l’Alexa et m’a autorisé à mélanger les deux supports***.
Alexander et George ont une même façon de diriger leur plateau. Alexander crée sa famille de cinéma en travaillant en permanence avec les mêmes personnes ; au bout de trois films, j’ai acquis une bien meilleure compréhension de ses goûts esthétiques. Il m’a laissé davantage de liberté sur ce film et on m’a demandé de cadrer.
Le rythme du montage est différent sur Nebraska. Les plans sont très longs, de sorte qu’il y a beaucoup d’intensité sur les compositions. Il arrive que le public réagisse ou rie avant même le début du dialogue. Techniquement, nous ne faisons pas de découpage ni de storyboard. Normalement, nous faisons venir les acteurs et nous les laissons explorer l’espace. Le scénario est toutefois très précis, donc les textes de leurs dialogues ne changent pas mais nous leur laissons la liberté de faire ce qu’ils veulent dans les limites d’un cadre que je leur ai fixé.
Je participe tôt à la mise en place avec les acteurs de façon à pouvoir un peu modifier des choses pour simplifier soit la mise en place technique soit l’éclairage. Après quoi nous libérons les acteurs et en quelques minutes nous pouvons décider quel sera le découpage. C’est un processus très intuitif et instinctif, et George et Alexander travaillent de cette manière – ils n’aiment pas trop que le DoP, la caméra ou l’aspect technique du tournage dominent le plateau, et je suis très attentif à cela », dit Papamichael.

« Avec George, nous nous mettons d’accord sur quelques plans et sur une moyenne d’environ dix mises en place techniques différentes par jour, mais c’est très particulier. Nous ne filmons pas toute la scène en master, ni ne faisons de gros plans sur chacune d’elles. Nous tournons à une seule caméra la plupart du temps, car George ne veut pas être submergé par trop d’éléments dans la salle de montage. Il tourne simplement ce dont il a besoin, et bien souvent il ne fera qu’une ou deux prises. Il faudra que je discute pour obtenir une seconde prise, arguant du fait qu’il manque quelque chose à l’action au second plan, mais il répondra le plus souvent : ”Oh ! c’est bon. J’ai ce qu’il me faut.”
Alexander fait davantage de prises, mais pas tant que ça. L’ambiance sur le plateau est très intime et les cinéastes sont là, présents avec les acteurs. Nous ne tournons pas depuis d’une tente noire ou un village vidéo. George, évidemment, joue, donc il est juste là, et comme d’habitude, Alexander se tient tout à côté de la caméra ou s’assied sur un cube sous l’objectif, avec un petit moniteur portatif, ou alors il se contente de jeter un coup d’œil sur l’écran à partir duquel je travaille.
Avec l’Alexa, je ne me sers plus jamais de l’œilleton. Je n’utilise plus de cellule non plus. Je me sers d’un moniteur OLED 19’’ et en fait je dois éclairer depuis le moniteur. Ça ne me dérange pas tellement, parce que je peux impliquer le réalisateur et ça peut m’aider.
Je n’ai pas besoin de décrire l’éclairage ou d’expliquer : “Cet élément sera en silhouette, il est 4 diaph en-dessous, donc le fond sera sous-ex.” À la place, je peux dire : “Ça te plaît ce que tu vois sur le moniteur ? Tu es d’accord avec ça ?”, et je m’aperçois que je peux être plus audacieux, aller vers plus de densité, prendre davantage de risques. »

*** La même semaine, Phedon était au labo pour contrôler à la fois l’étalonnage numérique de Nebraska et le tirage de Monuments Men : « Ce qui était étrange à faire tant les deux sont différents, opposés », dit-il. Monuments est un film d’époque en couleur, avec de plus gros décors et sur une plus grande échelle.
Les extérieurs jour ont été tournés avec des caméras Arricam et en pellicule Kodak Vision3 5219 pour un meilleur rendu des ciels, de la fumée, de la neige. Le reste, environ 60 % du film, était entièrement des intérieurs jour, des extérieurs nuit et des intérieurs nuit filmés en Alexa Arriraw avec capteur 4/3 et format anamorphique.
« J’ai ajouté du grain au matériau numérique pour l’harmoniser à la pellicule », précise Papamichael. « Nous avons mélangé les optiques anamorphiques Hawk Plus, V-Plus et V-Lite avec les Master Primes sphériques Arri/Zeiss pour les extérieurs nuit, car il nous fallait de la sensibilité et pouvions tourner à pleine ouverture 1.3. »

« Sur le plateau, nous avions un second et un DIT puisque nous tournions en pellicule et en numérique dans la même journée. Le DIT a apporté l’Alexa sur le lieu de tournage et utilisé la fonction appareil photo de la caméra pour prendre des images fixes de chaque plan afin d’avoir des références pour l’étalonnage des rushes. Au cours de la pré-production, le responsable des effets spéciaux, Angus Bickerton, a enregistré les caractéristiques des optiques Hawk et a pu les appliquer en postproduction aux plans très piqués des Master Primes de façon à ce qu’on ne voie pas la différence. Le montage des plans en anamorphique et en sphérique a été très cohérent.
J’ai tendance à retirer toujours plus de résolution et de piqué, ce qui peut se révéler plus un handicap qu’un avantage sur le visage des acteurs. J’ai fait l’étalonnage numérique à Londres avec Skip Kimball, et il était très difficile de distinguer le matériau numérique de la pellicule, ou de faire la différence entre les optiques Master Primes sphériques et les Hawk anamorphiques. »

Quelles difficultés nouvelles rencontrez-vous aujourd’hui ?

« Je fais les choses comme je les ai toujours faites. J’éclaire toujours, même si on dirait qu’il n’y a pas de lumière. Je crois que ce qui peut se perdre ce sont certaines techniques d’éclairage qui ne sont plus demandées. De nos jours, n’importe qui peut filmer n’importe quoi sans lumière. Si John Cassavetes tournait aujourd’hui, il utiliserait peut-être un Canon 5D et si David Lean tournait aujourd’hui, il utiliserait peut-être une caméra 70 mm.
Ça dépend de l’histoire, du format. Je n’ai aucun problème avec ces nouveaux outils, mais je ne cherche pas à me tenir au courant de toutes les avancées technologiques. Lorsque j’ai un projet, c’est à ce moment-là seulement que je me renseigne sur les moyens à ma disposition, et je choisirai l’outil qui convient le mieux à ce projet précis. »

« Rien n’a changé. Nous avons toujours à raconter des histoires et il est toujours difficile d’obtenir ces moments magiques avec les acteurs. Quand vous faites un gros plan de Bruce Dern, et qu’il bouge imperceptiblement le visage, ou qu’il y a dans son œil une soudaine lueur reflétant son trouble, sa peur ou sa colère – ce sont encore ces instants classiques que capte le cinéma, les derniers instants de satisfaction. Mais il faut les trouver, et on ne sait jamais ni quand ils vont se produire ni s’ils vont se produire. »
« C’est toujours la même peur qui vous prend chaque fois qu’on commence un film. La veille, on n’arrive pas à dormir, mais dès l’instant où la caméra tourne, où le premier plan est dans la boîte, ou dans le Codex, on se remet dans le bain et on recommence à découvrir des choses. Comme dans une équipe de basket, on s’échauffe et on finit dans la zone avec un peu de chance, et on chope ces petits bulles de magie.
J’ai choisi des projets différents et des réalisateurs différents pour ne pas tomber dans la routine, mais on n’échappe pas à cette question qui reste un mystère : “Est-ce que ça va marcher ? Est-ce que ça va être bon ? Est-ce la bonne esthétique ? Est-ce que je fais bien ?” Il vous reste toujours à répondre à cela : il n’y a aucune différence entre aujourd’hui et hier… »

Vous avez l’air si détendu, sans cette tension ou cette angoisse qu’ont certains par rapport à la technique.

« Je peux être très tendu, mais je ne suis absolument pas technique. Je n’y connais rien ! J’apprends juste ce dont j’ai besoin pour ce que j’essaie d’exécuter à un moment donné. Et si je n’ai pas vraiment besoin de le savoir, si mon assistant le comprend et que moi je suis occupé avec ce que j’essaie de faire, ça me va très bien comme ça. C’est impossible de rester au courant de ce qui change tout le temps. »

Que pensez-vous du constat selon lequel la caméra n’est pas la seule responsable de la qualité de l’image, mais, plus important, la façon dont les données sont " gérées, traitées, débayérisées, dématricées ", en d’autres termes, tout le processus numérique.

« Je me fiche éperdument de tout ça. J’ai le retour du DIT qui me dit : “Là, tu ne peux pas faire ça !” et je lui réponds : “C’est ça que je veux, alors fiche-moi la paix.” C’est vrai que je veux que certaines choses soient sous-ex. J’essaie de sous-exposer la pellicule jusqu’à ce qu’elle soit de mieux en mieux et qu’elle retienne toutes les hautes lumières. Je viens d’une génération où quand on était trois diaph au-dessus, tout ce qui était au-delà de la fenêtre disparaissait. Tout ce qui m’importe, c’est l’image. Quand j’avais un problème avec l’image, alors je demandais au DIT pourquoi elle était ainsi. Il y a une chose à laquelle je fais très attention, c’est d’avoir le bon moniteur référence. Je le calibre précisément et ensuite je règle la LUT de référence que je désire, mais à partir de là je travaille depuis le moniteur et je lui fais confiance. La même chose est valable pour l’intermédiaire numérique en postprod’ : nous partons du Scratch ou ne nous servons que de notre LUT comme référence, – de toute façon, quelles que soient les données que nous avons, ce ne sont que des métadonnées. »

Vous êtes directeur de la photo, mais également réalisateur – quel est le plus gratifiant ?

« Je ne suis pas un directeur de la photo frustré, j’adore ce que je fais. J’aime bien faire les deux. C’est très amusant d’aller sur le plateau et d’être responsable de tout, mais c’est aussi pénible de s’occuper de tas de choses qui ne sont pas si créatives. Un directeur de la photo doit répondre à 500 questions par jour, un réalisateur à 5 000.
Parfois, quand je tourne un film, ce n’est pas forcément l’expérience la plus géniale et je me sens un peu frustré par rapport au réalisateur, parce que j’ai l’impression qu’en tant que directeurs de la photo nous prenons en charge des choses dont ils devraient s’occuper, eux, nous faisons une partie de “leur” boulot – ce qui n’est évidemment pas le cas avec Alexander. »

« Et puis vous réalisez et vous vous dites : “D’accord, maintenant j’ai plus de respect pour ces types-là” (les réalisateurs) – c’est une autre paire de manches, il y a tant de choses à prendre en compte.
Réaliser est une expérience géniale : j’aime vraiment beaucoup le montage, travailler avec le compositeur, j’adore le mixage. Je crois que ça vous fait faire des progrès en tant que chef opérateur, parce que quand vous participez à tout le processus de montage, vous comprenez la façon dont il faudrait utiliser les différents plans. Et vous êtes obligé de tuer vos bébés – vous ne pouvez pas vous attacher à ces merveilleux plans quand ils ne font pas avancer la scène. Je vais continuer à réaliser mais essayer d’être plus exigeant avec mes choix.
En dernier ressort, nous avons tous envie de raconter de bonnes histoires et de faire des films qui supporteront l’épreuve du temps et qui signifieront quelque chose pour les générations futures », conclut M. Papamichael.

Biographie :
Né à Athènes, en Grèce, d’une mère allemande et d’un père grec, le jeune Phedon Papamichael grandit à Munich où il étudie les beaux-arts avant de partir à New York en 1983 comme photojournaliste. Répondant à l’appel de son cousin John Cassavetes avec lequel il collaborera, il s’installe à Los Angeles où il travaille avec Roger Corman comme directeur de la photo sur des films à petits budgets.
Papamichael s’est fait connaître par sa photo sur The Million Dollar Hotel, de Wim Wenders, Walk The Line : du feu dans les veines et 3 h 10 pour Yuma, de James Mangold, W, d’Oliver Stone, Les Marches du pouvoir, de George Clooney, et 40 ans : Mode d’emploi, de Judd Apatow.
Aujourd’hui, en compagnie de ses amis Janusz Kaminski et Wally Pfister, Phedon Papamichael est en train de créer une école de cinéma en ligne, l’" Advanced Filmaking ".
Phedon Papamichael est membre de l’ASC et de la GSC (Greek Society of Cinematographers).

(Propos recueillis par Madelyn Most pour l’AFC, le 25 avril 2014 – Article traduit de l’anglais par Anne Krief)