Entretien avec Pierre Milon, AFC, à propos du film "La Raison du plus faible" de Lucas Belvaux

Qu’est ce qui t’a le plus inspiré pour imaginer la lumière du film ?

Pierre Milon : Les décors. Dès les premiers repérages, les décors ont imposé un univers visuel très fort. Lorsque nous avons fait des essais filmés dans les hauts-fourneaux, tout de suite une image contrastée et assez sombre nous est apparue. Le parti pris était là, naturellement. Quant on est à l’intérieur de l’usine, l’enchevêtrement des tuyaux d’acier, des cheminées, les zones très fortes d’ombre et de lumière, les couleurs rouges et dorées de l’acier donnent complètement le ton. Naturellement nous sommes restés dans ces tons chauds pour les nuits aussi bien les intérieurs que les extérieurs.

Vous avez beaucoup tourné dans les quatre tours désaffectées au centre de Liège...

PM : Liège est vraiment un des personnages du film. Ces tours sont un repère tout au long du film et à partir d’elles, se dessine toute la géographie de la ville à travers le déroulement de l’histoire. Depuis l’intérieur des tours, Lucas voulait que la ville soit très présente. Cela n’a pas été simple d’équilibrer l’intérieur et l’extérieur. On tournait au quatorzième étage, on a imaginé plusieurs solutions : des échafaudages qui viendraient du toit pour placer les projecteurs, percer les plafonds car les appartements étant tous vides, on pouvait casser comme on voulait. Puis finalement, on n’a rien fait, j’ai éclairé très simplement, de manière naturelle et ça marche bien...

Ton expérience en documentaire influence-t-elle ta manière de travailler ?

PM : Mon passé dans le documentaire me permet d’aborder les contraintes comme autant de possibles surprises qui vont enrichir l’image. Prendre les choses telles qu’elles arrivent, pouvoir intégrer ça dans une fiction. Par exemple dans La Raison du plus faible, le casse se passe en aube. La préparation, le départ, les déplacements en voiture, tout ne pouvait pas être tourné en vrai aube. Alors dans la voiture, on est en plein après-midi, plein soleil. Même si ce n’est pas la lumière désirée au départ, c’est finalement mieux car l’image est plus vivante, plus surprenante. Une image grise et bleutée aurait été plus linéaire, moins dynamique.
A l’étalonnage, qui s’est effectué en photochimique chez Arane, je me suis aperçu que les imperfections que je pressentais au tournage prenaient corps dans le film et que c’est cela qui lui donne sa personnalité. C’est ce que j’aime dans l’étalonnage photochimique, on voit le film dans sa durée, on ne peut pas tout maîtriser. Et si, dans une partie de l’image, la lumière est trop forte, et bien ça reste comme ça et le film est vivant. Cette imperfection, en numérique, sera facilement gommée, on arrive à une image un peu formatée, moi j’aurais presque envie de l’accentuer...

C’était la première fois que vous tourniez en Scope ?

PM : Pour Lucas oui. Cela lui a permis de découvrir une autre manière de mettre en scène, de pouvoir moins découper et avoir deux ou trois personnages à la fois dans le cadre.
Nous avons tourné avec la nouvelle Arricam Lite, en Super 35. J’ai utilisé les Kodak 500 ISO 5218 et 200T 5274.

Lucas joue dans le film, était-ce plus lourd pour toi ?

PM : Non, Lucas sait très bien se diriger lui-même. Il se décharge de l’image et me fait totalement confiance à partir du moment où l’on s’est mis d’accord. Nous avons une connivence qui nous permet, d’un simple regard, de savoir s’il faut refaire la prise ou non.
Nous travaillons dans une grande simplicité !

(Propos recueillis par Brigitte Barbier)