Entretien avec le directeur de la photographie Alessandro Pesci, AIC, à propos du film "Habemus Papam" de Nanni Moretti

Né en 1960, Alessandro Pesci, AIC, travaille en tant que chef opérateur en Italie depuis le début des années 1990. Il partage son temps entre longs métrages, publicités et téléfilms.
Parmi sa filmographie on peut citer récemment
Napoléon et moi de Paolo Virzi, Caos Calmo de Antonello Grimaldi, Il toro et La lingua del Santo de Carlo Mazzacurati ou le téléfilm Elisa di Rivombrosa réalisé par Cinzia Torrini.
Il a travaillé avec Nanni Moretti depuis 1991. Courts métrages, documentaires, et deuxième équipe sur
Caro Diario et Aprile. Habemus Papam est son premier long métrage avec lui en tant que chef opérateur.
Nanni Moretti - Sur le tournage d'<i>Habemus Papam</i> - Photo Philippe Antonello
Nanni Moretti
Sur le tournage d’Habemus Papam - Photo Philippe Antonello


Comment Nanni Moretti vous a-t-il présenté son projet ?

Alessandro Pesci : Nanni Moretti m’a donné le scénario sans rien anticiper de l’intrigue. L’originalité de l’histoire et la qualité de l’écriture étaient évidentes. Lorsque je lisais je cherchais à visualiser la lumière de Habemus Papam, j’ai tout de suite senti ce film très proche de ma façon de reconstruire la lumière : à la fois naturelle, transfigurée et esthétisée.
Peu de mots de la part de Nanni Moretti qui m’a demandé une photographie « nette et avec du corps », comme structurée... Une définition simple qui a bien indiqué le chemin à suivre. Les grandes directions étaient : naturalisme, vraisemblance, et beaucoup de soin donné aux visages des personnages.

Avez vous cadré le film ? Et comment se déroule la collaboration avec Nanni Moretti ?

AP : Non, je ne cadre pas la caméra principale. C’est Fabrizio Vicari qui s’en est chargé sur ce film. Concernant la manière de travailler de Nanni Moretti, je peux dire qu’il est très précis et qu’il porte beaucoup d’attention à tout ce qui se passe pour son film. Comme il est aussi producteur, il se donne à lui – et à tous ses techniciens – les moyens de travailler...
Mais en contrepartie, il faut être prêt à tout moment pour tourner, même si certaines séquences peuvent prendre un certain temps à se mettre en place cinématographiquement dans sa tête. Niveau mouvements de caméra, Nanni Moretti ne les utilise que si ils sont invisibles. Il n’a surtout pas envie que le spectateur sente " la caméra ". Tout se doit d’être donc parfaitement naturel, comme un petit traveling ou un zoom très lent.

Comment filmer le Vatican ? Vous êtes vous inspiré d’autres films qui prennent pour décor principal ce lieu mythique ?

AP : C’est très difficile – à moins qu’il ne s’agisse de documentaires – de tourner à l’intérieur du Vatican pour de vrai... C’est pour cette raison que la Chapelle Sixtine et bien d’autres lieux importants qu’on reconnait ont été entièrement reconstruits en décor. Et puis à Rome, il y a beaucoup de lieux qui sont proches de l’ambiance du Vatican mais qui sont moins bondés !
J’ai bien sûr revu d’autres films italiens situés au Vatican et aussi quelques superproductions américaines récentes comme par exemple Anges et démons. Dans ce dernier film en particulier, on voit très bien qu’avec l’utilisation d’ambiances " low key " et de sources très directives peuvent en un instant changer l’ambiance du lieu en une chose dramatique, mystérieuse, inquiète, presque noire.

Par opposition, la lumière de Habemus Papam ne devait faire allusion à aucune de ces atmosphères, mais plutôt raconter avec simplicité les visages et les émotions de nombreux personnages du film. Parfois elle pouvait soutenir la joie et parfois elle pouvait accompagner un état d’âme plus sombre. J’ai cherché avec application à suivre l’intention que le metteur en scène recréait dans la scène.
Concernant la lumière, le Vatican devait être plus terrestre que divin, simple et " naturel ". Mes références de peinture pour préparer le travail partent du Caravage, en passant par Edward Hopper, Norman Rockwell, jusqu’à Richard Estes. En terme d’image de films, le travail de Robert Elswitt, Vittorio Storaro ou Sven Nykvist font aussi partie de mes inspirations.

Le film regorge de costumes et de décors ou le rouge et le noir se marient... Avez-vous fait des tests en particulier sur ces rendus ?

AP : Nous avons utilisé des négatives Kodak Vision3 – 5219 et 5207 (500 et 250 ISO). Ce sont deux pellicules assez saturées en couleurs et avec des noirs très profonds. Le rouge et le noir étaient toujours présents dans les scènes. Quand on a vu des essais de tirage direct en photochimique, le rouge était vraiment très saturé et les noirs un peu trop denses. Le travail d’étalonnage numérique nous a permis de rééquilibrer le ton général en désaturant parfois un peu et en décontrastant pour s’adapter à cette volonté de " naturalisme " du film.
L’autre souci a été bien sûr les réflections de ces tenues sur les visages des comédiens, ce qui m’a amené à recouvrir ponctuellement les torses et les épaules de certains par des morceaux de tissu en coton gratté blanc, quand on faisait des gros plans. Pour le reste, c’est l’étalonnage numérique par zone qui a pris le relais et qui a permis d’atténuer les balances de couleur rouge orangés assez gênantes sur les carnations...

Parlez-nous un peu de votre méthode d’éclairage...

AP : Les mises en places intégraient souvent des plans larges, avec plein de cardinaux, prêtres, bonnes sœurs et gardes suisses dans le champ ! On les a éclairés avec l’aide de grues équipées des ballons d’hélium. J’ai toujours essayé de laisser le décor le plus libre possible sans trop de pieds ou d’équipements de prise de vues pour donner plus de liberté de mouvement au metteur en scène.
Comme je vous le disais, la Chapelle Sixtine a été reconstruite en studio en respectant les proportions et les l’architecture de l’original... Pour recréer la lumière solaire, j’ai utilisé 12 Jumbo Lights (6 de chaque côté, des 8 lampes à droite, et des 16 lampes à gauche) qui passaient à travers les ouvertures pour simuler la lumière solaire, en me basant sur l’orientation réelle de la Chapelle.
Mais cette ambiance, telle qu’elle apparait dans le film, est d’une certaine manière celle qu’on aurait pu observer dans le passé... Tout simplement parce que maintenant les fenêtres y ont été obstruées (pour préserver la fresque) et tout y est éclairé par des projecteurs fluos de manière très artificielle ! J’aime particulièrement cette ambiance paraissant naturelle qui est paradoxalement l’inverse de ce qu’on a dans la réalité !

Quels ont été vos choix en matière de matériel ?

AP : On a utilisé des objectifs Cooke S4, zoom Angénieux Optimo 24-290 mm, T2.8, filtres Soft FX légers et une caméra Arricam. La plupart des intérieurs et des extérieurs jour sont éclairés en HMI et avec les ballons à Hélium.

Et au sujet de la postproduction ?

AP : Le film a été scanné en 6K et postproduit en 4K. Le laboratoire Cinecittà Digital – Sviluppo e Stampa a effectué un très bel étalonnage avec le responsable Andrea Baracca. Ce processus a abouti à un nouveau négatif pour tirer les copies positives traditionnelles soignées par Elide Gamberini et Pasquale Cuzzupoli et bien sûr le DCP pour les salles numériques. Je suis très satisfait du résultat final.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)