Entretien avec le directeur de la photographie Jean-Louis Vialard à propos de "17 Filles" de Delphine et Muriel Coulin

par Jean-Louis Vialard

Jean-Louis Vialard, AFC, ne s’est intéressé qu’assez tard au cinéma. Originaire du Cantal, il avoue lui-même qu’il n’était pas allé plus de vingt fois au cinéma avant ses vingt-deux ans. Après une formation d’ingénieur interrompue et de nombreux voyages, il décide de tenter le concours de l’Ecole Louis-Lumière et parvient à y entrer.
Sa passion pour la nature, doublée de son admiration pour les films de Jean Rouch, le pousse également à faire du documentaire à travers le monde. Depuis il partage son temps entre les tournages de publicités, des collaborations avec des artistes plasticiens et les longs métrages Dans Paris de Christophe Honoré, Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner ou Tropical Malady d’Apitchatpong Weerasethakul. Il revient à Cannes en 2011 avec un long métrage coréalisé par sa compagne et la sœur de cette dernière, Delphine et Muriel Coulin.
Un premier film intégralement filmé avec des appareils photo Canon 1D et 5D.

Quelle est la genèse de 17 filles ?

Jean-Louis Vialard : Le scénario est original et il a tout de suite plu. Basé sur un fait divers qui s’est déroulé aux USA, et que Delphine et Muriel ont librement adapté, et situé à Lorient, la ville de leur adolescence. D’un point de vue influence, je dirais qu’on est un peu dans la mouvance des films de Gus Van Sandt…, ou de Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. C’est un film sur l’adolescence avec une manière de filmer très simple, sans mouvements de grues ou sophistication inutile.
C’est entre autres pour cette raison que le choix de l’appareil photo Canon nous plaisait au début. On a avait vraiment envie d’être libre, léger et réactif, d’autant plus qu’avec un accueil très chaleureux de la part de la municipalité de Lorient, on pouvait facilement changer d’avis ou adapter telle ou telle séquence en fonction de ce qui se passait sur place…

Ce n’est pas qu’une question de budget alors ?

JLV : Non, ce n’est pas qu’une question de budget. Le film était normalement financé avec pas mal de partenaires : le CNC, la région Bretagne, Canal+ et Arte pour un budget final de plus de 2 millions d’euros. Mais avec cette somme, c’était tout de même difficile d’envisager le 35 mm à cause des prises limitées. Du coup, on avait décidé par principe d’utiliser la toute nouvelle Arri Alexa qui devait sortir en juin 2010, ils ont eu un problème de " workflow " au moment des essais, et je n’ai pas pu l’obtenir.

On a donc testé une solution Super 16, une caméra RED, une HD Panasonic et l’appareil photo Canon 5D. A la lumière de ces tests, le grain était tel sur les images Super 16 qu’on a abandonné la filière argentique. Restait une image avec une caméra à petit capteur (Panasonic) qui faisait " vidéo " et l’image de l’appareil photo qui se détachait de loin par son naturel sur l’image de la RED.
Un constat mis en évidence par une image exposée normalement avec mire de gris dans le champ et dont l’étalonnage se faisait sans souci – à condition qu’on ne tire pas trop sur l’image brute. D’ailleurs l’étalonnage de ce film, chez Eclair, a été surement un des plus simple de tous ceux que j’ai fait à ce jour, grâce au talent d’Aude Humblet qui a exploité au mieux ce support fragile.

Que reprochiez vous à la RED en termes d’image sur ces tests ?

JLV : Quand on étalonnait l’image de la RED pour obtenir des peaux neutres, les parties vertes comme la pelouse partait dans une couleur moutarde sans nuances… C’était très déstabilisant ! Quant au Super 16, j’avoue que je n’arrive pas à m’expliquer comment les labos français arrivent à obtenir des résultats aussi catastrophiques en matière de granulation et de qualité d’image…
Quand on voit au Micro Salon des essais équivalents traités en Allemagne ou même en Roumanie, c’est à mon avis une volonté délibérée d’enterrer le Super 16 en France. Sur ce point, j’ai dans le projet d’effectuer une série de tests avec l’AFC en envoyant trois bobines S16 exposées dans les mêmes conditions à trois labos européens différents et comparer les résultats en projection numérique 2K…

Quel est le bilan de l’utilisation du Canon ?

JLV : L’appareil en lui-même est capable de sortir des images vraiment étonnantes, à condition d’en accepter la faible dynamique. Le moindre demi-diaph en raccord se sent tout de suite à l’étalonnage. Il m’a fallu garder en permanence une main sur la bague de diaph pour compenser toute fausse teinte en contrôlant la pose sur mon moniteur Marshall qui possède une sorte de " zébra " coloré très pratique pour ça.
Au niveau des optiques, j’ai choisi une série Zeiss CP 2 en monture Canon. Mais sous la pression de la production, nous nous sommes entourés de garanties autour de l’appareil photo, ne le prenant pas pour ce qu’il est au " naturel ". Résultat : on s’est retrouvé avec trois retours vidéo, dont une dalle HD dédiée à une assistante qui vérifiait l’image en direct et tout défaut éventuel de point, d’exposition ou de moirage. La caméra, placée sur une crosse Movietube avec un " splitter " HDMI et ses accessoires – retour HF, " remote focus " – s’est transformée en un objet de 50 cm de long, plus encombrant qu’une caméra HD ! Sans parler de la nuée de câbles et de batteries qui nous gênait... Comparé à ce que j’avais pu expérimenter lors d’un tournage de fiction à New York en équipe très réduite, ou des quelques " retakes " (en canon 5D), c’était vraiment très lourd et à mon sens inutile. Quand on tourne avec le Canon, il faut accepter d’être léger et de fonctionner avec le moins de personnes possibles pour aller vite et faire ce qu’on ne peut pas faire autrement…

Il y a-t-il eu des moments sur le tournage qui vous ont semblé exploiter à fond les possibilités de l’appareil ?

JLV : Il y a par exemple un dialogue entre l’héroïne principale et son frère, filmé sur la plage dans l’heure qui entoure le coucher du soleil. J’ai commencé la séquence à 100 ISO et je l’ai terminée à 2 000 ISO, sans qu’on puisse vraiment être choqué par la montée de bruit dans l’image. Seuls les bleus vibrent un peu, mais rien que l’étalonnage ne puisse corriger.
Question lumière, j’ai juste coupé le côté très rouge du soleil rasant avec un petit cadre… et un réflecteur pour les visages. Honnêtement, même en film, je ne vois pas trop comment j’aurais pu tourner cette scène qui dure presque deux minutes dans le film monté.

Et les intérieurs ?

JLV : Pour les intérieurs, ce sont souvent les lumières de décoration qui font office de sources principales…, comme dans une voiture avec le plafonnier…, ou la chambre de la jeune héroïne, éclairée avec une simple ampoule de 40 W dans un abat-jour rouge… On passe finalement la plupart du temps à obturer les entrées de jour, ou les atténuer…, à éteindre les sources en trop plutôt qu’à rajouter de la lumière. Je me souviens qu’en une semaine dans le lycée, il nous est arrivé de sortir en tout et pour tout un seul projecteur Kino Flo 4 tubes du camion ! C’était même devenu une blague… De telle sorte que mon chef électro Pierre Michaud me parlait de « déséclairage » chaque jour en arrivant sur le plateau !

On dit souvent qu’il vaut mieux finalement plutôt sous-exposer un peu les images avec cet appareil… L’avez-vous constaté ?

JLV : Oui, c’est plus facile ensuite à l’étalonnage de faire ressortir les zones sombres…, mais on a tout de même très peu de marge de manœuvre. En même temps la tentation " d’assombrir " l’image est récurrente sur les films d’auteur en France… Quand il n’y a pas de moyens, et qu’on veut créer un certain " style ", c’est un peu la recette magique ! Honnêtement, je trouve ça un peu facile, et pas toujours très beau… Je préfère la dynamique dans l’image, plutôt que le sombre pour le sombre !
C’est pour ça que j’essaye toujours de résister aux réalisateurs en leur montrant qu’on peut très bien faire une image qui paraisse trop claire sur le plateau mais qui, en fin de chaîne, même très densifiée, gardera plus de dynamique qu’une image volontairement sous-exposée à la caméra.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)