Entretien avec le directeur de la photographie Julien Hirsch, AFC, à propos du film "L’Exercice de l’état" de Pierre Schoeller

Julien Hirsch, AFC, a été longtemps l’assistant de Caroline Champetier, AFC. Cette expérience lui a permis de participer au travail d’images très variées pour des réalisateurs aussi différents qu’Arnaud Desplechin, Benoît Jacquot, Jean-Luc Godard ou André Téchiné... Parallèlement à sa carrière d’assistant, il a aussi signé l’image de nombreux courts et moyens métrages. Depuis Drancy avenir, son premier long en tant qu’opérateur, il a depuis tourné Notre musique de Jean-Luc Godard, La Fille du RER d’André Téchiné ou Lady Chatterley de Pascale Ferran, pour lequel il obtint le César 2007 de la meilleure photographie.
Après Versailles et Zéro défaut, il retrouve le réalisateur Pierre Schoeller (qui fut le scénariste des La Vie rêvée des anges) sur son troisième long métrage.

Pourquoi tourner avec l’Alexa ?

Julien Hirsch : Le film devait se tourner en 35 mm, et puis on n’a pas eu assez d’argent. Les précédents films avec Pierre Schoeller avaient été tournés en Super 16 (pour Zéro défaut) et en HD (avec un Pro 35 pour Versailles). Comme l’Arri Alexa venait d’arriver sur le marché, on nous l’a proposé chez TSF et j’ai pu faire quelques essais. Le résultat a tout de suite plu à Pierre, et nous nous sommes lancés, initiant du coup l’un des premiers longs métrages avec cette caméra en France.

Et les autres caméras, comme la RED ?

JH : Moi, je n’aime pas trop la RED pour des raisons de texture d’image. Avec l’Alexa, on a le sentiment d’utiliser une caméra d’une nouvelle génération, qui n’essaye pas de courir derrière le 35 mm, mais qui va ailleurs… Avec une texture certes différente de celle du film mais qui me semble bien plus agréable que celle proposée par les caméras de la génération précédente.
Après, il reste la question de la finalisation du film, et celle de tirer des copies argentiques… Aussi et surtout la pertinence de faire le master DCP (destinés aux salles équipées en numérique) à partir d’une filière 100 % numérique, ou bien à partir d’un scan issu d’un report shooté sur 35 mm (celui fait pour l’archivage par exemple).
Pour un autre film que j’ai fait récemment en caméra Sony EX3, je peux dire que le fait de repasser par une étape argentique avant le DCP est vraiment bénéfique, puisqu’elle rajoute une sensation plus organique de pellicule à l’image numérique.

Avez-vous tourné à plusieurs caméras ?

JH : Non. Le film est tourné à une seule caméra, mais une séquence de cascade devait tourner à plusieurs caméras. Pour ça, il était impossible d’obtenir plusieurs Alexa. On a donc été obligés d’utiliser du 35 mm, en choisissant de la 200 ISO pour éviter le grain. Le raccord sur les rushes semble être assez réussi. On a aussi utilisé le 35 mm " full frame " pour générer des pelures pour certains plans à effets de " compositing ".

Quelle série d’optiques avez-vous choisie ?

JH : J’ai pris les Zeiss GO, une série d’optiques un peu ancienne mais que j’adore en 35 mm. Après avoir fait quelques essais en prépa, j’ai tout de suite vu que c’était le bon choix. En même temps, j’utilise un zoom Angénieux qui ouvre à 2.6, et du coup je me cale souvent sur cette ouverture maximale.

Il y a-t-il quand même des choses à améliorer sur ce premier modèle de caméra ?

JH : Parmi les choses qui me viennent immédiatement à l’esprit, il y a le cas de la visée électronique. Actuellement, cette dernière souffre d’un effet de stroboscopie très gênant. Les panoramiques sont un vrai problème dans la visée, et même sur des plans fixes, le déplacement d’un acteur crée un effet d’instabilité verticale sur son image… Alors, j’ai finit par m’y faire au bout de la première semaine de tournage, mais c’est sincèrement un truc à améliorer très vite… L’idéal serait d’avoir une visée optique (comme sur la D21), chose qui a été annoncée sur une future version plus luxueuse de la caméra… Espérons qu’Arri tiendra ses promesses !

Quelles sont les difficultés sur ce tournage ?

JH : Le film se tourne beaucoup dans des voitures, et donc j’ai pas mal de forts contrastes quand on tourne de jour. De ce point de vue, la latitude de pose de cette nouvelle caméra dépasse tout ce que j’ai pu voir jusque là dans la famille des caméras HD ou de cinéma numérique.
On dépasse les 10 diaphs à 800 ISO, et l’image brute en sortie de caméra est vraiment très douce.
J’utilise donc des filtres neutres très souvent en extérieur jour, en conservant le réglage 800 ISO pour bénéficier de la latitude maximale.

Et concernant la visualisation des images sur le plateau, comment faites-vous sur les moniteurs ?

JH : Il est en ce moment encore impossible de rentrer des profils sur mesure dans la caméra (des LUTs), ce qui est dommage. En construisant à l’avance quelques profils-type (int. nuit, ext. jour, ext. nuit), ça permettrait pourtant les appliquer en direct pour visualiser un résultat fidèle sur le plateau.
Pour regarder l’image en direct, j’utilise un moniteur réglé sur le profil colorimétrique du Rec 709 (soit l’espace colorimétrique du signal vidéo). J’ai du coup abandonné l’idée de voir le résultat, me replaçant peu à peu dans une logique de tournage pellicule, où on ne cherche pas à savoir exactement le rendu. J’ai quand même pu mettre au point avec Thierry Beaumel chez Eclair une LUT qui est appliquée sur toutes les images lors du transcodage des rushes dans l’AVID (du Pros RES 444 vers le H264). Les DVD pour le réalisateur et la prod sont donc quand même étalonnés, un peu comme si toutes les images sortant de la caméra étaient tirées à lumière unique.

(Propos recueillis par Brigitte barbier pour l’AFC)