Entretien avec le directeur de la photographie Vincent Mathias, AFC à propos du film "Le Nom des gens" de Michel Leclerc

En sélection à la Semaine de la critique 2010

par Vincent Mathias

Vincent Mathias signe son troisième film en RED.

 Comment présenteriez vous ce nouveau film ?

Vincent Mathias : C’est une comédie romantique sur fond d’utopie politique et de questionnement sur l’origine des gens. Un film un peu inclassable. L’histoire d’un couple que tout oppose et qui va vivre une histoire d’amour intense. Le réalisateur Michel Leclerc a débuté comme monteur et puis réalisateur pour Télé Bocal, une télévision libre très engagée politiquement. Le Nom des gens est son second long métrage après J’invente rien.

Lors de notre première rencontre, la question du support de tournage s’est posée... C’est sans doute un film qui aurait du être tourné en 35 mm, parce qu’on recherchait une image aux couleurs très naturelles. Mais les conditions de production et le fait que Michel ne voulait pas être contraint en matière de métrage, nous a fait opté pour le numérique.
Non pas pour tourner dès les répétitions, mais surtout pour laisser les comédiens le temps de se mettre dans les scènes à leurs rythmes respectifs. Il était hors de question de tourner en 2/3 de pouce, on voulait une caméra capteur 35 légère : le choix de la RED s’est fait par élimination… La sensibilité de cette caméra qui est particulièrement élevée avec la chaîne de postproduction chez Eclair fut également déterminante.

 Et en 3P ? 

VM : Je pense qu’en 3P on aurait au moins consommé 50 à 60 000 mètres de pellicule… difficile en terme de budget. L’autre point fort du tournage en numérique, c’est le gain de temps concret sur le plateau grâce à l’autonomie de la caméra (80 minutes), le fait de ne plus avoir à recharger la pellicule toutes les 6 ou 12 minutes de prise, et la visualisation de la mise au point, qui permet de valider sans attendre le retour des rushs, ou rectifier le point en direct sur un très gros plan, par exemple, grâce au retour HD. En fin de journée, on gagne facilement une petite demi-heure, ce qui n’est pas négligeable quand on doit aller vite sur ce genre de film.

Le film a-t-il été tourné entièrement en RED ?

VM : Non, il y avait deux types principaux de séquences qui devaient ressembler à du Super 8 : des visions de bonheur du personnage de Jacques Gamblin (Arthur), et des fausses images des années 1970 provenant du mariage des parents de Sara Forestier (Bahia). On a fait des essais en Super 8, mais la fragilité du support, et surtout l’impossibilité de pouvoir le faire scanner pour ensuite l’intégrer correctement au reste du film nous a fait faire machine arrière.
A la place c’est le Super 16 qui a été choisi, en faisant fabriquer un masque spécial sur le dépoli pour pouvoir cadrer sur une surface d’image correspondant à peu de choses prés à celle du Super 8. Les images de " visions contemporaines " ont été scannées, recadrées et étalonnées en couleur puis intégrées directement au montage du film. On a même rajouté du grain numérique dans ces images, car on trouvait qu’il n’ yen avait pas assez pour trancher avec l’image de la RED !

Les fausses images d’archives ont été gonflées en positive 35, puis projetées sur écran, pour être ensuite refilmées directement en RED en recadrant en direct dans l’image. Ce procédé un peu sauvage m’a permis de récupérer le scintillement de la projection et la montée de contraste du tirage positif. Enfin il y a aussi quelques plans qui devaient raccorder avec de vraies images d’archives tournées par des amateurs en Algérie française, filmées à l’origine en Double 8 Kodachrome et passées en DVCAM par télécinéma. Pour imiter et raccorder nos quelques faux plans d’époque on a suivi la même chaîne, à l’exception du Kodachrome qui n’existe plus. On a tourné les quelques plans en Super 8 inversible 7285 (100D), passées en télécinéma DVCAM et intégré au reste des vraies archives. Le résultat marche assez bien, si ce n’est que la présence de grain est beaucoup plus forte avec notre pellicule moderne qu’elle n’était à l’époque en Kodachrome…

 Il y a aussi du noir et blanc…

VM : Entre autres, un séquence noir et blanc se situe pendant l’occupation. C’est une séquence de nuit, entièrement éclairée aux Fresnel et tournée en RED. On l’a ensuite passée en noir et blanc, et traitée avec ajout de grain numérique, ce qui fonctionne à merveille tant qu’on reste en monochrome. Question format, on a délibérément choisi de conserver le 1,85 tout le long du film, alors qu’en théorie les images S8 ou N&B d’époque sont toujours en 1,33.

 C’est votre troisième expérience de long métrage en RED… Quel est votre bilan ?

VM : Je dois dire qu’au contraire des deux autres qui étaient des thrillers (Une affaire d’état d’Eric Valette, et Captifs de Yann Gozlan) et qui jouaient sur des rendus plus froids, moins saturés, celui là a été plus compliqué à gérer en étalonnage. En dehors des séquences " Super 8 " dont je viens de parler, le cœur du film devait plutôt être naturel, avec des couleurs franches et des peaux un peu chaleureuses. Et tirer des couleurs naturelles à partir de la RED, c’est objectivement plus compliqué… On a travaillé avec Aude Humblet chez Eclair sur le Colorus, et certaines séquences assez " banales " techniquement en prise de vues nous ont donné particulièrement du fil à retordre.

 Une séquence en particulier ? 

VM : Il y a notamment cette séquence de dîner chez Arthur, de nuit, tourné de manière très classique, à plusieurs caméras, avec un grand plafonnier équipé de Kino Flo bien équilibrés à 3 200 K. Rien d’exotique… et pourtant les teintes de peaux avaient beaucoup de mal à ressortir naturellement. On a du utiliser les " keyer " de la console d’étalonnage pour travailler les teintes de peaux indépendamment du reste… alors qu’objectivement, une scène équivalente tournée en film se serait étalonnée " toute seule " !

D’une manière générale, dans des ambiances de lumières " chaudes " en dessous de 3 000 K la RED donne des images dont l’étalonnage s’avère particulièrement hasardeux…

A la lueur de mon expérience sur des essais réalisés avant le tournage ces trois films faits en RED, je constate qu’il y a de vraies différences en terme d’exploitation des images selon la chaîne de postproduction choisie. On peut très bien se retrouver avec des réelles différences de sensibilité ou de rendus colorimétriques avec la même prise de vue d’origine. Pour ma part, j’ai fait ces trois films chez Eclair en utilisant leur workflow sur Colorus, et je constate que c’est la chaîne qui me donne les meilleurs résultats en terme de sensibilité, sans montée de bruit dans l’image même à 500 ISO. Les couleurs en revanche peuvent être parfois plus délicates à retrouver que sur une chaîne Scratch ou Lustre qui traite les images RED en format natif.

Pour conclure, cette caméra qui ne ressemble à rien est d’une conception particulièrement intelligente. Sa légèreté est sans égal, aujourd’hui, pour une caméra numérique capteur 35 (en attendant l’Alexa), son workflow facilement gérable, et toutes prévisualisations très aisées avec le " redspace ". Néanmoins, je le répète encore une fois, le travail sur la couleur en postproduction n’est pas simple, le choix de la chaîne est aussi important que celui de la caméra !

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Synopsis
Bahia Benmahmoud, jeune femme extravertie, se fait une haute idée de l’engagement politique puisqu’elle n’hésite pas à coucher avec ses ennemis pour les convertir à sa cause – ce qui peut faire beaucoup de monde vu qu’en gros, tous les gens de droite sont ses ennemis. En règle générale, elle obtient de bons résultats.
Jusqu’au jour où elle rencontre Arthur Martin – comme celui des cuisines – quadragénaire discret, adepte du risque zéro. Elle se dit qu’avec un nom pareil, il est forcément un peu facho. Mais les noms sont fourbes et les apparences trompeuses...