Entretien avec les dirigeants d’Eclair/Groupe Ymagis

La Lettre AFC n°259

Entretien avec Jean Mizrahi (PDG d’Eclair/Groupe Ymagis), Christophe Lacroix (Directeur Général d’Eclair/Groupe Ymagis) et Olivier Chiavassa (Conseiller Commercial, Artistique et Technique d’Eclair/Groupe Ymagis) quatre mois après la reprise des principales activités d’Eclair. Point d’étape et programme d’action.

Quel est le sens de la reprise d’Eclair ?

Jean Mizrahi : C’est une formidable opportunité pour notre groupe. Jusqu’ici Ymagis assurait une activité de services auprès des fournisseurs de contenu, modeste en volume mais très européenne. Eclair nous apporte des métiers différents avec une assise plus large mais axe sur le marché français pour le moment. Nous sommes donc complémentaires.
Bien qu’Eclair ait subi les conséquences de plusieurs plans sociaux, nous étions persuadés que ce groupe avait de sérieux atouts pour se redresser, notamment une réputation internationale et la compétence hors pair de ses équipes qu’il fallait conserver et développer. Il aurait été dommageable pour notre industrie cinématographique que l’entreprise ferme. Cela aurait représenté une perte tant en termes de savoir-faire que d’expérience acquise.

Eclair est un groupe fantastique qui doit être à nouveau synonyme de modernité, d’innovation et d’excellence dans ses différents métiers. De plus, j’ai toujours eu une certaine affection pour le groupe après y avoir passé plusieurs années. Je suivais attentivement les évolutions, je consultais chaque année les bilans et je voyais bien que la situation ne pouvait pas perdurer. Durant l’été 2015, nous n’avons pas hésité un seul instant à nous porter candidats à la reprise, et nous sommes heureux que notre offre ait été retenue.
Aujourd’hui nous sommes engagés dans un travail de fond afin de retrouver une situation financière saine et enclencher une nouvelle dynamique de développement. Toutes les dépenses sont examinées avec soin car nous ne souhaitons pas renouveler les erreurs du passé. Nous sommes confiants dans cette démarche grâce à l’appui de l’ensemble du personnel. Nous pouvons dire que la situation est aujourd’hui stabilisée et les clients rassurés.

Quelles sont les décisions stratégiques dans cette reprise ?

JM : Dès 2016, nous souhaitons développer les activités d’Eclair à l’international en nous reposant sur nos bureaux et laboratoires existants que ce soit à Berlin, Londres, Liège ou à Barcelone. Par exemple, l’Allemagne accueille de plus en plus de productions européennes et internationales ; il y a une forte demande sur Berlin. Beaucoup de films parviennent à se monter grâce à des financements de l’Union Européenne, de systèmes spécifiques aux différents pays, et bien sûr du crédit d’impôt en France.
Certains réalisateurs ont des projets à cheval entre la France et d’autres pays. Grâce à notre réseau de filiales implantées dans toute l’Europe, aux capacités techniques d’Eclair et à la puissance de feu de notre groupe, nous sommes en mesure d’accompagner ces films à fort potentiel, quel que soit l’endroit où se situe le tournage.

On entend dire que le loyer du site de Vanves est exorbitant. Quelle est la réalité ?

JM : Le loyer de Vanves au mètre carré est raisonnable, sans quoi nous aurions quitté les locaux. En revanche, Eclair disposait de plus de 7 000 m2 au total, ce qui était beaucoup trop. Ces mètres carrés vont être mieux employés. Nous avons en premier lieu rendu 1 500 m2 au propriétaire. Et comme nous l’avons annoncé, nous allons reloger les équipes d’Epinay à Vanves, ce qui permettra de rationaliser nos coûts. L’espace sera utilisé différemment et de manière économe.
Il sera également très bénéfique de mettre tout le monde sous le même toit et de développer une culture d’entreprise commune. Par ailleurs, ce regroupement sera également conduit de manière à optimiser l’utilisation de nos locaux situés rue la Boétie et qui devraient être, à terme, spécialisés dans la postproduction.

Aujourd’hui, les évolutions technologiques conduisent à renouveler rapidement les outils, comment Eclair fera face ?

Christophe Lacroix : Nos métiers évoluent continuellement. Qui dit numérique, dit changements importants et ce, de façon régulière. De nouvelles technologies et des nouveaux formats sont en train d’émerger et nous nous devons d’accompagner ces changements, et même de les devancer.
Nous lançons d’ores et déjà des chantiers d’avenir au sein du groupe. Nous allons également mettre l’accent sur la formation, ce que nous avons commencé à faire. Nous sommes en train de bâtir le futur avec un engagement du personnel qui est absolument remarquable. Tout le monde œuvre dans le même sens.

Quelle sera votre politique concernant les étalonneurs ?

Olivier Chiavassa : Notre politique en la matière est de garder une certaine flexibilité avec un mix d’étalonneurs "maison" et d’autres qui seront "free-lance". Notre vocation est, et restera, de découvrir de nouveaux talents et de les faire grandir. La passion du cinéma est plus que jamais au cœur d’Eclair.
Auparavant en photochimique, on faisait un étalonnage en une semaine. Aujourd’hui avec le numérique, il est possible de passer jusqu’à trois ou quatre semaines d’étalonnage. Les possibilités sont infinies, ce qui change considérablement la donne. Nous devons donc encadrer ce phénomène. Il faut continuellement essayer de trouver les meilleures solutions. C’est notre objectif.

L’abandon du site photochimique vous oblige-t-il à penser d’autres solutions ?

Christophe Lacroix : L’arrêt du photochimique est un choix assumé. Nous avons volontairement renoncé à la capacité physique de fabrique, dans un marché qui était en surproduction, mais nous n’avons pas abandonné notre expertise. Nous faisons toujours des scans et shoots pour nos clients. C’est uniquement l’aspect final du travail qui est sous-traité, c’est-à-dire le développement de la pellicule.
Eclair est toujours capable de finaliser une copie de 35 mm, nos équipes maitrisent parfaitement le sujet. D’ailleurs, il y aura une salle de projection en 35 mm à Vanves. Nous allons créer trois nouvelles salles d’étalonnage ce qui fera un total de six salles de projections. C’est unique à Paris.

Comment voyez-vous les producteurs qui sont à bout de souffle aujourd’hui ?

OC : Les producteurs doivent à nouveau mettre la technique et les technologies au centre de leurs priorités. Le numérique a permis de faire baisser les budgets mais ce mouvement est allé trop loin et des choix décisifs s’imposent pour garantir la qualité de l’œuvre.
Il faut maintenir les exigences les plus hautes en termes de qualité d’image et de son, notamment pour que le grand écran reste compétitif par rapport aux nouveaux moyens de diffusion des contenus. Face à la diversité des modes de captation et de diffusion, le producteur doit dès le départ adapter son projet et sécuriser les ressources nécessaires. Ce "travail d’éducation", nous devons le mener main dans la main.

Comment changer la culture de la gratuité de la conservation des éléments filmés ?

JM : Déjà, avec la pellicule, des films avaient disparu faute de politique de préservation de certains ayants droit. Avec le numérique, la question de la préservation devient nettement plus critique. Les ayants droit doivent prendre conscience que faute de mettre en œuvre les mesures nécessaires, certains films risquent disparaitre.
C’est également vrai des œuvres pour la télévision. Les politiques de conservation ne sont pas suffisamment définies aujourd’hui, sauf par quelques rares acteurs du marché. Les ayants droit doivent arrêter de penser qu’ils sont à l’abri lorsque les éléments sont mis sur un disque dur. Ce n’est pas vrai, il sera souvent très difficile, voire impossible, de restituer les contenus stockés d’une manière aussi peu sécurisée.

Les ayants droit doivent prendre conscience qu’il s’agit de leur patrimoine et que nous sommes là pour les aider à le conserver, à le préserver et à le valoriser de la meilleure façon qu’il soit. C’est un de nos chantiers prioritaires, et nous allons prochainement proposer au marché une démarche technique, commerciale et tarifaire pour la préservation numérique.
Il s’agit de montants raisonnables, à la portée de toutes les productions et de tous les catalogues. Pour bien faire, un producteur devrait, dès aujourd’hui, prévoir les coûts de conservation de son œuvre à un horizon de dix ans ou plus. Les technologies évoluent rapidement et donc la conservation aussi… heureusement les coûts de stockage diminuent également.

Comment voyez-vous le futur de votre relation avec l’AFC ?

OC : Nous sommes là pour aider et soutenir les directeurs de la photographie. Il y a beaucoup de sujets sur lesquels nous souhaitons ardemment travailler à leurs côtés.


Ymagis en quelques mots/quelques chiffres
- Ymagis a été fondé en 2007
Trois centres d’activités :
1. les services aux exploitants de cinéma
2. les services aux producteurs, distributeurs et diffuseurs TV
3. les solutions de financement

- Acquisition en 2014 de la société Belge Dcinex.

- Reprise des activités d’Eclair en août 2015
Constitution de cinq pôles d’activités :
1. les services postproduction
2. les services multilingues et accessibilité
3. les services techniques de distribution de contenus
4. les services de restauration
5. les services de préservation.

En Europe, 7 172 écrans sont en contrat de prestation technique (maintenance et support en ligne),
3 300 cinémas sont connectés à notre réseau de livraison de contenu dématérialisé (films ou live, via satellite, fibre ou DSL).
Le groupe a plus de 600 collaborateurs à travers 20 pays différents.
Ymagis est coté en bourse sur Euronext (Code : MAGIS).