Étalonnage avec Baselight pour "Un couteau dans le cœur"

par FilmLight La Lettre AFC n°289

Jérôme Brechet, directeur d’exploitation de la société Mopart et étalonneur, entre autres, d’Un couteau dans le cœur, et Thomas Eberschveiler, consultant workflow chez FilmLight, reviennent sur cette aventure technique. Ce film de Yann Gonzalez, sélectionné au Festival de Cannes 2018, et dont l’image est signée par Simon Beaufils, a été tourné en pellicule et étalonné à distance entre Paris et Mexico.

Pour la seconde fois cette année, Lapins Bleus Formations a organisé une formation Baselight à Paris. Cette nouvelle formation, dont le programme pédagogique a été développé en partenariat entre Lapins Bleus Formations et FilmLight, forme à l’utilisation du Baselight, des pupitres, mais aussi aux tâches de conformation et d’export qui sont aujourd’hui de plus en plus demandés aux étalonneurs.
Nous espérons offrir une solution de formation complète, tant en matière d’équipement, que d’enseignement. Celle-ci peut être financée par l’AFDAS, sous réserve de l’acceptation de votre dossier.

Des formateurs ont été nouvellement certifiés sur les dernières versions Baselight 5.0 et Baselight for Avid 5.0. L’un d’entre eux, Jérôme Brechet, a assuré les deux premières formations en parallèle de son travail de directeur d’exploitation de la société Mopart et d’étalonneur, entre autres, d’Un couteau dans le cœur. Ce film de Yann Gonzalez, sélectionné au Festival de Cannes 2018 et dont l’image est signée par Simon Beaufils, a été tourné en pellicule et étalonné à distance entre Paris et Mexico.
Retour sur cette aventure technique et artistique avec un entretien entre Jérôme Brechet et Thomas Eberschveiler, consultant workflow chez FilmLight.

Comment l’équipe du film Un couteau dans le cœur s’est-elle tournée vers Baselight ?
Thomas Eberschveiler : A la fois pour l’aspect relationnel - travailler avec Jérôme au sein de la société de postproduction parisienne Mopart - mais également technique, avec leur confiance dans l’infrastructure cohérente de Baselight pour la configuration qu’ils recherchaient. Pour des raisons de co-production et de planning, l’étalonnage avait lieu entre Paris et le Mexique. L’équipe avait donc besoin d’un système qui permette de travailler en session à distance. Ensuite, le film ayant été tourné en pellicule avec un fort parti pris en matière d’image, l’étalonneur et le logiciel se devaient également de répondre à certains objectifs esthétiques pointus.

Jérôme Brechet : Nous nous sommes rencontrés avec Simon Beaufils et Yann Gonzalez durant la phase de préparation car le film était en effet un enjeu artistique et technique. Il y avait un désir de garder l’aspect pellicule, malgré un étalonnage numérique. Le film était tourné dans des formats différents : 35 mm, 16 mm... Le 35 mm était tourné en 2 perforations donc il aurait nécessité un gonflage si nous avions étalonné le film en photochimique. Cela représentait une série de contraintes, avec une perte de qualité par exemple. Alors qu’un étalonnage numérique nous permettait une gestion de la géométrie des multiples formats de pellicule plus facilement, ainsi qu’un meilleur contrôle de la consistance de la texture de l’image entre les différentes sources.

A quels outils de Baselight le tournage en pellicule et le parti pris esthétique ont-ils fait appel ? 
TE : Tout d’abord, sur Baselight, il y a un outil de formats qui permet de dire quelle est la résolution de sa source en entrée, quelle est la résolution de sortie, par exemple 4K vers HD, mais aussi de prendre en compte automatiquement les changements de ratio. On peut y définir des règles : les fichiers qui ont telle résolution vont se voir appliquer automatiquement un redimensionnement pour la résolution et pour le ratio. Baselight est le seul à proposer à la fois cet outil de formats et la possibilité de travailler à distance.

JB : En plus de la question des formats liée à la pellicule, Simon et Yann cherchaient des couleurs riches et très marquées notamment dans les verts, ce qui aujourd’hui reste difficile en numérique. Je me souviens aux essais, le plaisir qu’ils avaient de retrouver ces couleurs mais aussi le modelé sur les peaux. En ce qui concerne l’étalonnage nous avions fait le choix d’étalonner le film aux Printer Lights* car Yann voulait vraiment garder un côté authentique et organique. J’ai majoritairement utilisé le Film Grade sur le film mais aussi le BaseGrade pour aller traiter certaines zones de l’image, soit pour retrouver un peu de brillance dans les "Shadows" ou pour récupérer certaines "Highlights". Le BaseGrade permet le contrôle de quatre zones ainsi que l’exposition globale sur le même modèle que le diaph d’une caméra. Ajouter un stop d’exposition se fait en un seul clic.

J’ai également utilisé le Boost Color pour sa précision. Le Boost Color ajoute de la saturation aux pixels les moins saturés de l’image, tout en préservant les teintes de peau.

TE : Il y a également, sur Baselight, un nouvel outil qui s’appelle le "Look Tool", qui permet de choisir un modèle de rendu des couleurs. Certains de ces modèles sont basés sur des interpositifs, pour reprendre l’émulation filmique.

JB : Le gamut de l’espace colorimétrique de travail est typiquement beaucoup plus large que ceux des caméras, et encore plus large que ceux des espaces colorimétriques de visionnage DCI P3 pour le cinéma ou Rec1886 pour la télévision. La conversion vers l’espace de visionnage est assurée par une DRT (Display Rendering Transform) ou des LUTs. Dans la plupart des cas, ces LUTs mélangent la conversion technique avec le modèle de rendu colorimétrique. La DRT développée par FilmLight, "Truelight CAM" n’incorpore pas de rendu de couleurs, juste la conversion. Le "Look Tool" est donc utilisé en complément.

On peut contrôler l’intensité du modèle de reproduction des couleurs, la zone d’application sur l’image... Ces modèles ne sont ainsi pas liés à l’espace de visionnage et s’adaptent à n’importe quel espace.

Comment s’est déroulé le workflow d’étalonnage à distance ?
JB : Je pense que l’un des plus grands challenges de ce film était de faire travailler tout le monde ensemble à plusieurs endroits différents mais aussi de pouvoir voir la même chose à 12 000 kms de distance, de pouvoir faire une modification d’étalonnage d’un côté ou de l’autre et d’avoir des échanges de métadonnées plutôt que des médias lourds à transférer.

Une fois réalisés les scans 4K - 16 bits par Hiventy et la conformation chez Mopart, toute la matière utile a été envoyée sur LTO à Cinecolor Mexico et les données ont été recopiées sur le stockage au Mexique. Le Baselight utilise le principe des containers, autrement dit un dossier sur un stockage, que l’on sélectionne dans le Baselight. Seule l’arborescence des fichiers dans ce dossier est importante pour assurer le "relink" des médias. En clair, c’est comme si le Baselight pointait vers une librairie, qui contient tous les médias. Sélectionner cette librairie est la seule opération à faire dans le Baselight pour assurer le relink. C’est très souple, car si l’on doit importer des nouveaux médias, il faut juste les ajouter au dossier sur le stockage à Paris et sur celui au Mexique, et le "relink" suivra.

TE : Dans deux pays distincts donc, deux machines accèdent à leurs propres médias. Et le stockage n’est pas organisé de la même façon chez Mopart et chez Cinecolor, les deux sociétés travaillent sur plusieurs projets en même temps, n’ont pas les mêmes chaînes de travail, pas la même langue... le container permet à chaque société de conserver leurs organisations respectives, du moment que la librairie est spécifiée sur chaque Baselight. Les seules informations qui sont échangées entre les deux machines pendant les séances d’étalonnage sont les métadonnées de projet : position du curseur, changement des valeurs d’étalonnage. C’est ce qui permet ce travail collaboratif à distance sans avoir besoin d’une connexion Internet à très haut débit.

Ce type de configuration est-elle fréquente ?
TE : Pour certains gros groupes, comme The Mill ou MPC, ce type d’infrastructure est rodé depuis des années. Pour des plus petits labos, il est beaucoup plus rare de mettre cela en place. Chez FilmLight, nous avons ouvert un bureau à Mexico en 2017 car nous avons de plus en plus de clients au Mexique et aussi en Amérique latine. Nous avons donc pu envoyer un technicien chez Cinecolor pendant la préparation technique de l’étalonnage. Et simultanément à Paris, nous avions un technicien en déplacement que nous avons également envoyé chez Mopart. Nous avions donc deux techniciens de chez nous, à Paris et au Mexique, pour mettre en place la connexion. Même si nous avions la chance, dans le cas de ce film, d’avoir ce bureau au Mexique et qu’il s’agisse d’une coproduction avec ce pays, aujourd’hui nous sommes le seul développeur de logiciels d’étalonnage qui propose un support avec une telle présence.

En quoi ce type de projet pointu agrémente-t-il ensuite l’enseignement transmis aux stagiaires lors de la formation Baselight ?
TE : Baselight est complexe, je pense qu’il n’est pas évident pour un étalonneur de connaître tous ses outils. Par exemple, l’outil Format, Jérôme l’a pris davantage en main pour ce film. Sa maîtrise a certainement bénéficié aux stagiaires des deux formations qui ont suivi.

JB : L’aspect transmission est fondamental lorsque l’on dispense une formation. C’est d’ailleurs synonyme d’échanges car en tant que formateur, nous sommes amenés à discuter avec des personnes qui ont parfois eux aussi une expérience du Baselight ou d’autres machines.

  • Lire ou relire l’entretien avec le directeur de la photographie Simon Beaufils à propos d’Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez.
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