Extraits du discours de David Kessler, directeur général du CNC

pour ses vœux 2002 aux professionnels

« Par ailleurs, 204 films français ont été produits en 2001, ce qui est aussi un indicateur de la bonne santé de notre cinéma. De nouvelles aides en amont de la production ont été mises en place (nouvelle aide au développement) ou vont l’être dans les semaines qui viennent (nouvelle aide à l’écriture et à la réécriture) en application des préconisations du rapport Gassot.
Parce que l’économie du cinéma est une économie de prototype, aucune recette miracle ne garantira son succès dans l’avenir. Mais il ne fait en revanche aucun doute que tout doit être fait pour en assurer l’existence et si possible la bonne santé. Ce succès, il est en premier lieu dû aux talents de tous ceux qui font les films. Il doit aussi beaucoup aux efforts de l’ensemble de la chaîne du cinéma - producteurs, distributeurs, exploitants, industries techniques - pour intéresser le public, lui proposer une offre diversifiée et bien l’accueillir.

Je suis pour ma part convaincu que plus de 50 ans d’efforts continus des pouvoirs publics en la matière, la construction progressive d’un système sophistiqué mais efficace d’aide aux différents secteurs de l’activité cinématographique sans expliquer le succès, y ont contribué. Ce mécanisme est certes exceptionnel à bien des égards. Il suffit de regarder la diversité et l’originalité de la production pour s’apercevoir qu’il est d’une étonnante modernité.
Tant sur le plan européen, grâce au document récent de la Commission, que sur le plan national grâce aux accords interprofessionnels et surtout aux dispositifs réglementaires, ces mécanismes sont sécurisés jusqu’en 2004. Mais nous sentons tous les défis qui se proposent à nous : comment maintenir une production, une distribution et une exploitation indépendantes, gages de dynamisme et d’innovation, dans un univers où la concentration est la règle ? Comment rendre possible le maintien voire l’accroissement des excellentes performances qu’a enregistrées notre cinématographie tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières en 2001 ?

Ces questions supposent que le Centre entame - parce que telle est sa responsabilité - un important travail prospectif avec votre concours actif. C’est pourquoi dès le mois de septembre dernier, j’ai annoncé la mise en place de groupes de travail consacrés au financement du cinéma, à la place du droit de la concurrence dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, à la diffusion numérique des films en salle, à la déconcentration, thèmes auxquels s’est ajoutée depuis une réflexion sur la diffusion des films sur Internet. Ces groupes sont constitués et ont commencé à travailler : bien entendu, ils feront appel à tous ceux qui parmi vous souhaitent faire valoir leur point de vue sur ces sujets. Est-il besoin de préciser que, dans notre esprit - et ce évidemment indépendamment de toute suggestion liée aux intérêts de telle ou telle entreprise - ces groupes ont été constitués parce que les questions posées nous paraissaient fondamentales et que nous aurions manqué à notre devoir de vigilance en ne les posant pas ? En attendant, nous veillerons à notre niveau au respect par chacun de ses engagements. C’est encore la meilleure manière d’assurer la stabilité du système [...]

Comme vous le savez, un débat vif est né à la suite de la qualification d’une émission, assimilée à ce courant qu’on appelle la " télé-réalité ", comme œuvre audiovisuelle. Ce débat a le mérite de nous conduire à réfléchir à nouveau sur les objectifs du compte de soutien à l’industrie de programmes à un moment où apparaissent de nouvelles formes d’émissions de télévision. C’est pourquoi Catherine Tasca m’a confié une mission de réflexion sur la notion d’œuvre audiovisuelle que j’entends mener dans la plus large concertation possible avec les professionnels. Bien entendu, même si nos critères peuvent être différents, je veillerai à ce que cette réflexion soit menée en coordination avec celle entreprise par le CSA. Comme l’a souhaité la ministre, il importe de veiller à ce que, face à ces nouvelles formes de programmes télévisés, les objectifs du compte, notamment les objectifs culturels et patrimoniaux ne soient pas trahis ; il convient cependant aussi de ne pas fermer la porte à de nouvelles idées en matière de formats télévisés, condition indispensable de leur renouvellement. [...] Les 13 et 14 septembre dernier, participant successivement aux rendez-vous de TVFI et à l’inauguration de nouvelles salles de cinéma animées par notre ami Patrick Brouiller à Epernay, je m’interrogeais sur le sens qu’avaient de telles manifestations deux et trois jours après la manifestation odieuse du terrorisme.

La réponse à cette question nous est venue du Kaboul libéré du pouvoir des talibans, lorsque le premier acte d’une population assoiffée de liberté fut de se précipiter dans une salle de cinéma enfin réouverte. Au-delà de nos divergences et de nos différences, la passion commune qui nous anime est la certitude de participer à une aventure collective qui a un lien fondamental avec la liberté. Ce lien, cette exigence permanente, ce contre-pouvoir essentiel qu’est la culture, notre mission est de la protéger car elle est fragile. Comment ne pas saisir, dans les formes d’expression hostiles à la mondialisation, la revendication d’identité et de singularité des peuples dont l’expression culturelle est le vecteur le plus profond ? Nos systèmes sont certes imparfaits et donc perfectibles : nous travaillons à les améliorer. Mais ils ont permis le maintien d’une forme essentielle de la culture du XXe siècle que bien des pays, y compris les plus créatifs, ont hélas perdue. Il nous revient, chacun à notre place, de tout faire pour maintenir des protections qui sont tout sauf archaïques, puisqu’elles donnent aux talents de demain la chance de pouvoir exister. Croyez bien que l’ensemble des collaborateurs du CNC en est intimement convaincu. »
(Paris, le 15 janvier 2002)