Foucault au secours des intermittents

par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°179

Le Monde,11 juillet 2008

Intermittents et précaires rend compte d’une enquête menée sur les conditions de travail de tous ces professionnels du spectacle qui alternent périodes d’emploi et de chômage, au fil des projets qu’ils mènent pour le compte de leurs (multiples) employeurs.

Les auteurs en tirent une réflexion prospective sur la notion de travail : tel une avant-garde, le mouvement des intermittents remet en cause le couple binaire emploi-chômage et nous invite à reconstruire les bases de la protection sociale, nous disent Antonella Corsani, chercheuse de l’équipe Matisse du centre d’économie de la Sorbonne et cofondatrice de la revue Multitudes, et Maurizio Lazzarato, philosophe.
De l’automne 2004 au printemps 2005, une enquête avait été menée par l’équipe de chercheurs Isys (composante du Matisse de Paris-I et du CNRS) à la demande de la Coordination des intermittents et précaires et avec le soutien de la région Ile-de-France. A l’époque, la presse avait critiqué la méthode au motif que des intermittents eux-mêmes participaient à cette étude auprès d’économistes, de sociologues, de statisticiens. Les auteurs défendent leur « expertise citoyenne » qui fait coopérer spécialistes et profanes. Une méthodologie qui interroge les relations entre « savoir, pouvoir et action », expliquent-ils, comme l’ont pratiquée Michel Foucault ou encore Pierre Bourdieu dans son enquête sur La Misère du monde (Seuil, 1993).
Ces précisions faites, les auteurs dressent un tableau inquiétant de l’intermittence.

Loin des auteurs l’idée que l’intermittence serait à bannir. Au contraire. N’en déplaise aux syndicats, disent-ils, l’emploi stable à vie n’est pas « souhaité et souhaitable par tous ». « L’intermittence, sous certaines conditions, est bien cette possibilité pour tout un chacun de garder la maîtrise du temps, de ses intensités (...). Une liberté de mener des projets hors des normes de l’industrie culturelle et du spectacle et, enfin, last but not least, une arme fondamentale dans la négociation des salaires et des conditions de travail », soulignent Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato dans le dernier chapitre. Observant que d’autres professions intellectuelles partagent avec les intermittents des pratiques communes, ils appellent à une réflexion sur « un nouveau statut du travail et sur de nouveaux droits sociaux ». Stimulant et revigorant.

  • Intermittents et précaires, d’Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato, Editions Amsterdam