François Catonné parle de son travail sur "Boxes" de Jane Birkin

Sélection officielle, hors compétition

par François Catonné

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Une histoire de boîtes. Les boîtes dans lesquelles nous rangeons nos souvenirs, les boîtes pour les transporter, les boîtes qui restent au milieu du salon attendant d’être, enfin, déballées. Toutes ces boîtes à souvenirs sont mises en scène par Jane Birkin. Une foule d’acteurs pour l’accompagner dans ce voyage, dans le passé, dans le présent. Un lieu unique en Bretagne, une maison de famille, Jane interprétant son propre rôle, dans sa propre maison.
François Catonné l’a également accompagnée dans ce voyage si personnel, si atemporel.

François, parle-nous de la genèse de ce projet…

Je connais Jane depuis plus de 15 ans. Nous avons tourné ensemble son premier film comme réalisatrice, un téléfilm pour Arte : Oh ! pardon, tu dormais ! Elle m’avait donné deux cassettes vidéo : elle avait filmé l’histoire presque en un plan, avec deux étudiants comédiens, et m’avait dit : « Voilà ce que je veux faire ! ». Elle avait été surprise que je prenne sa méthode très au sérieux. Au tournage, elle m’avait enthousiasmé, par ses talents de metteur en scène, son sens de l’image, par sa précision pour placer la caméra. Et j’attendais donc depuis longtemps de refaire un film avec elle.
Boxes est un projet qui a mis 14 ans pour voir le jour. Et je suis très heureux qu’il soit sélectionné à Cannes et qu’enfin il paraisse digne d’intérêt ! Je dis cela parce que personne n’a voulu financer ce film ! Pas une chaîne de télévision, pas un partenaire financier, pas un distributeur. Pourtant, Jane a réuni un certain nombre d’acteurs : Michel Piccoli, John Hurt, Géraldine Chaplin, Annie Girardot, Lou Doillon, Natacha Régnier, Maurice Bénichou, Tchéky Karyo, Jane elle-même dans le rôle d’un personnage qui lui ressemble beaucoup. Tous ces comédiens lui ont fait confiance. Mais le film a dû se faire en 4 semaines, avec peu de personnel, peu de matériel et en 16 mm. Quatorze ans que ce film attendait qu’un courageux comme Emmanuel Giraud (Les Films de la croisade) le produise finalement à crédit.

Cette histoire de personnages qui surgissent du passé, et d’autres qui sont dans le présent t’a amené à créer des effets particuliers ?

Non, pas du tout. Ce n’est pas un film fantastique. Les personnages disparus rencontrent ceux qui sont vivants tout à fait naturellement. Il n’y a aucun artifice pour le justifier. En emménageant dans sa maison, le personnage de Jane croise, rencontre, côtoie tous les personnages qui comptent dans sa vie, qui hantent sa mémoire, qui vivent avec elle, ou qui ont vécu avec elle.
Habituellement, je n’aime pas utiliser deux fois la même lumière. Sur ce film, par manque de temps, j’ai été obligé de le faire plusieurs fois ! J’ai pris un peu plus de temps pour les scènes avec peu de personnages, surtout dans les scènes dramatiques. Il m’est arrivé souvent d’avoir un Kino Flo ou un Black Jack (avec le pancake) à la main, et de suivre les acteurs pendant le plan. Une seule direction de lumière, un seul projecteur, des travellings qui passent d’une pièce éclairée à une pièce sombre, des changements de diaph pour s’adapter aux conditions de lumière parce qu’on ne peut pas faire autrement… Enfin souvent des compromis, à faire non pas la lumière qu’on devrait faire, qu’on a envie de faire, mais celle qu’on a le temps de faire.

La maison de Jane a été entièrement transformée et les choix pour le décor ont été primordiaux pour ton travail…

Jane a été très attentive au choix des couleurs des patines sur les murs : des verts soutenus, des rouges puissants, des ocres tachés d’humidité avec les traces laissées par les tableaux enlevés, claires ou sales, avec toujours de la matière. La qualité du travail sur ces couleurs m’a aidé pour la lumière, en me permettant de me concentrer sur les visages. Les cartons de déménagement servent aussi le dispositif scénique, créent des obstacles dans l’espace. Le décor dans ce genre de production c’est le seul luxe qui permet de maintenir son ambition. La collaboration avec le décorateur (Raymond Sarti) est essentielle.

Et Jane, comment conjugue t-elle la mise en scène et le jeu ?

Elle a appris par cœur son texte deux mois auparavant. Elle l’a appris dans la langue - anglais ou français - qui était la plus naturelle, suivant les séquences et les comédiens avec qui elle jouait. Le film est tourné dans les deux langues. Quant à la réalisation, elle a une manière très spéciale de pratiquer : Jane emploie toujours des mots plus poétiques que techniques, mais elle finit par placer la caméra et faire les plans qu’elle avait conçus avec une grande précision ! Elle a un grand sens artistique, dessine très bien. Elle dessinait les plans… dans le sens vertical, comme un portait, sans jamais pouvoir adopter le format allongé du cinéma, mais au fond, on peut très bien fonctionner comme ça ! Elle aime beaucoup les compositions radicales avec un personnage très gros, très près de la caméra et un autre loin dans la profondeur, les deux jouant en même temps.
Elle aime aussi les compositions très décadrées, les personnages très au bord du cadre. Jane avait toujours une idée très précise de ce qu’elle voulait. Il faut juste pouvoir trouver ce qu’elle veut voir. Quand il s’agit de technique, la méthode pour y arriver est souvent mystérieuse, mais elle guide très précisément le cadreur en se servant du moniteur. J’ai aussi été surpris de découvrir son œil à l’étalonnage, alors qu’elle ne connaissait presque pas cette étape du travail.

Propos recueillis par Brigitte Brabier pour l’AFC

Jane Birkin
Jane Birkin
Jane Birkin
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