Humour très noir à la cérémonie des Goyas

Par Sandrine Morel

La Lettre AFC n°229

Le Monde, 20 février 2013
« Bonsoir Monsieur le Ministre. Comment va la famille ? Non, ce n’est pas une menace ! » Les rires fusent, dimanche 17 février, dans la salle du Palais des congrès de Madrid. Le ministre de l’éducation, de la culture et du sport, José Ignacio Wert, esquisse un sourire mal à l’aise, et la comique Eva Hache, présentatrice de la 21e cérémonie des Goyas, les César du cinéma espagnol, continue : « Félicitations ! On ne doit pas vous le dire souvent en ce moment. Mais félicitations ! Je le dis parce que c’est bientôt votre anniversaire. Pour le reste, non, bien sûr. »

Le ton est donné d’une cérémonie à la fois festive et marquée par la crise et les coupes budgétaires. Car " le reste ", évoqué par Eva Hache, ce sont les mesures d’austérité appliquées à la culture en 2012 par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy.
A commencer par la réduction drastique des aides concédées au cinéma et, surtout, l’augmentation de 8 % à 21 % de la TVA sur les biens culturels. « Nous avons vécu douze mois d’inquiétude », a déclaré le directeur de l’Académie du cinéma, Enrique Gonzalez Macho, devant une salle impressionnée par la vigueur de son discours, et face à la tête baissée du ministre, M. Wert. « Le plus grave a été l’augmentation de la TVA », qui a provoqué « de nombreuses faillites » et « un chômage alarmant ».
La grande fête annuelle du cinéma espagnol ne pouvait ignorer la délicate situation que traverse le secteur et le pays en général. L’actrice Candela Peiia, meilleur second rôle pour Una pistola en cada mano (Un pistolet dans chaque main), a déclaré, en serrant le buste du Goya, qu’elle n’a pas travaillé ces trois dernières années. « Pendant ces trois ans, j’ai vu mourir mon père dans un hôpital public où il n y avait pas de couverture pour le recouvrir et où nous devions lui apporter nous-mêmes de l’eau. Pendant ces trois ans, un enfant est né de mes entrailles et je ne sais pas quelle éducation publique il va recevoir », a-t-elle confié avec une colère à peine contenue.

L’actrice Maribel Verdu, sublime sorcière du Blancanieves, de Pablo Berger, s’est souvenue des familles victimes d’expulsions immobilières en dédiant son Goya de la meilleure actrice à « tous ceux qui ont perdu leur maison ou même leur vie » à cause « d’un système injuste » qui « vole aux pauvres pour donner aux riches ».
Le reste des critiques politiques a été habillé d’humour. Déguisée en femme torero dans une vidéo faisant référence au film Blancanieves, grand vainqueur de la cérémonie avec dix Goyas, dont celui du meilleur film, Eva Hache s’en est pris au ministre du budget, Cristobal Montoro : « Je n’ai peur que d’un seul taureau, Mon Toro », fait-elle dans une scène hilarante, avant d’affronter ce taureau dans les arènes et de l’achever d’un coup de pistolet.
Le gendre du roi, lñaki Urdangarin, handballeur professionnel au centre d’une enquête pour corruption, n’a pas été épargné, bien que son nom n’ait pas été cité. « Les princes ne viennent pas ? », s’est étonnée Eva Hache. « Pourtant, ils assistent aux matchs de handball. Avec tout le mal qu’a fait le handball à cette famille. »
Allusion, enfin, à l’amnistie fiscale. Eva Hache a comparé Jean Rochefort, nommé pour son rôle dans El Artista y la modela (L’Artiste et son modèle), de Fernando Trueba, « un vrai Français », à Gérard Depardieu, parti en Russie : « Il n’avait pas à aller si loin pour faire évader de l’argent, il lui suffisait de franchir les Pyrénées. Nous sommes très bons pour faire du cinéma, mais pour l’amnistie fiscale, nous sommes les maîtres. »

(Sandrine Morel - correspondante à Madrid -, Le Monde, 20 février 2013)