"I Got You", une vidéo musicale au concept visuel innovant

Ultime retour sur Camerimage 2014, par Amélie Marandet et Laure Ménégale, ENS Louis-Lumière, Ciné 2014

La Lettre AFC n°250

Parmi les clips musicaux en sélection à Camerimage, les Français se sont fait remarquer par une vidéo au concept visuel innovant. Dans " I Got You (Under my Skin) ", le spectateur suit la figure centrale d’Ulrich Forman, le chanteur, depuis les lieux de sa vie quotidienne jusqu’à des décors de plus en plus étranges.

Dans chacune de ces scènes, le personnage reste figé en pleine action alors que la caméra tourne autour de lui. Bien que cet effet rappelle le bullet – time rendu célèbre par le film Matrix, il est perturbé par quantité de petits mouvements, de la bouche qui chante ou bien d’une mèche de cheveux qui bouge au vent.
Cela crée un léger effet de " stop-motion " ou de fausse 3D, le personnage étant figé et le décor évoluant au gré des mouvements de caméra. A cela s’ajoute un effet de morphing d’une scène à l’autre, rappelant le clip " Like a Rolling Stone ", créant une sensation de plan séquence.

Les deux réalisateurs, Nicolas Garnier et Sébastien Le Gallo, viennent du montage de série TV et de la réalisation de pubs. C’est avec Ulrich Forman qu’ils tentent leurs premiers clips musicaux. Après une première collaboration plus classique, ils souhaitaient, pour " I Got You ", développer un concept visuel fort.
Celui-ci finit par se concrétiser à la suite d’expérimentations et de tests autour des possibilités encore inexplorées de l’outil de stabilisation du logiciel After Effect de la suite Adobe. En effet, la recette de leur effet consiste à filmer en déplaçant lentement la caméra autour du chanteur, immobile et chantant au ralenti, puis utiliser l’effet Warp Stabilizer comme si l’on souhaitait réellement stabiliser ce plan.


Afin d’accentuer cet effet " figé dans le temps ", les réalisateurs ont utilisé ce qu’ils qualifient de petits " bricolages très gondryesques ". Pour montrer un sac de course échappant des mains du chanteur, avec tout son contenant en train de s’envoler, ils ont par exemple tout simplement accroché les différents éléments avec du fil nylon transparent, dont les reflets furent ensuite effacés en postproduction. Ils ont également utilisé du fil de fer pour immobiliser l’écharpe du chanteur s’envolant au vent.

Un autre plan est assez intriguant : il consiste en un travelling en plongée totale (top shot) sur le chanteur se trouvant dans un escalier en colimaçon, la caméra tournant sur elle-même. Celui-ci a été fait en accrochant la caméra (une Blackmagic, équipée d’un objectif Kinoptic 5,7 mm pour ce plan) au bout d’une corde.
Le chanteur la tenait dans sa main, se mettait en position, la lâchait, puis quelqu’un en haut tirait sur la corde. La rotation s’effectuait d’elle-même en remontant la caméra. Le dispositif technique de " stop-motion " a l’avantage de pouvoir mieux appréhender les imperfections qu’il pourrait y avoir sur ce genre de mouvement de caméra " bricolé ".


Cet avantage a également été mis à profit dans les transitions entre les plans. De longues parties du clip s’apparentent à un plan-séquence dans lequel le personnage reste dans la même position d’un plan à l’autre, le mouvement de caméra continuant sa course autour de lui alors que le décor change.Pour parvenir à cet effet, les réalisateurs regardaient à partir des rushes la position finale du chanteur et du cadre, et essayaient de retrouver les mêmes, l’effet de " stop-motion " leur permettant d’être approximatifs.
Ce clip a été fait sans budget, avec les moyens du bord, et une équipe réduite. Cela a permis à l’équipe d’expérimenter et de fractionner le tournage, en ayant effectué des premiers ours de montage entre chaque séance de tournage. Ainsi, il était parfois plus aisé de savoir par quel angle de caméra il fallait continuer le tournage.

La postproduction était assez lourde à cause du format Raw employé, et du fait que tous les rushes, toutes les prises, devaient passer à la moulinette du Warp Stabilizer, car le résultat était difficilement prévisible.
Les réalisateurs Nicolas Garnier et Sébastien Le Gallo, ainsi que l’artiste Ulrich Forman, ont fortement apprécié le fait de n’avoir aucune contrainte et de prendre le temps de tenter des choses. Ils ont été très surpris et très contents qu’un clip fait sans moyens comme le leur soit nommé dans la même sélection que les clips de Beyoncé ou Coldplay.