Il Cinema Ritrovato, de la couleur au noir et blanc, du numérique à l’argentique, de la modernité aux pratiques traditionnelles

Par Hervé Pichard

La Lettre AFC n°256

Il Cinema Ritrovato, le plus important festival consacré aux films de patrimoine, à la fois populaire et exigeant, a connu cette année encore un succès incontestable. Du 7 juin au 4 juillet 2015, la plupart des cinémathèques du monde entier se sont retrouvées à Bologne pour présenter quelques perles de leurs collections et pour découvrir films restaurés et copies argentiques d’époque qui, pour des questions de préservation légitimes, ne sortent que très rarement de leur réserve.

La plupart des films étaient accompagnées de passionnantes conférences sur la conservation, les procédés de restauration et la perception de l’image projetée tant numérique qu’argentique. Ce fut l’occasion pour les festivaliers comme pour les habitants de Bologne de revoir, projetés en plein air sur la Piazza Maggiore, de grands classiques restaurés comme Casablanca, de Michael Curtis, Don Giovanni, de Joseph Losey, The Third Man, de Carol Reed, avec Orson Welles, Rocco e i suoi fratelli, de Luchino Visconti (ambiance italienne assurée !), des films muets comme ceux de Buster Keaton, Sherlock Jr. et One Week, accompagnés magnifiquement par l’orchestre du Teatro Comunale di Bologna, sur une musique composée par Timothy Brock. Occasion aussi de voir ou revoir des copies 35 mm comme celle de The Thin Red Line, de Terrence Malick, tourné en Technicolor en 1988, il n’y a finalement pas si longtemps…

Le directeur du festival, Gian Lucca Farnelli, et son équipe ont imaginé ainsi de nombreuses programmations attractives. Des rétrospectives de personnalité du cinéma comme Ingrid Bergman, Leo McCarey qui tourna de nombreux burlesques avec Laurel et Hardy et avec le génial Charley Chase, bien avant de réaliser Duck Soup et Love Affair, un hommage à Albert Samama Chikly, pionner du cinéma tunisien et un programme de films muets arméniens, ont souligné l’importance et la beauté des films dont certains étaient jusqu’ici invisibles.

Ceux qui se passionnent avant tout pour l’histoire des techniques ont apprécié les deux programmations consacrées au Technicolor et aux films en couleur japonais.
En plus des films restaurés (On the Town, de Stanley Donen et Gene Kelly, Cover Girl, de Charles Vidor, avec Rita Hayworth dans des tenues extravagantes…), des projections exceptionnelles ont de toute évidence marqué les esprits des festivaliers : plusieurs copies Technicolor "vintage" et souvent uniques ont été projetées, comme All That Heaven Allows, de Douglas Sirk, et Vertigo, d’Alfred Hitchcock. La première a été prêtée par la Cinematek de Belgique et la seconde est une copie offerte par son réalisateur à la Cinémathèque française. Malgré les dégradations physiques et la fragilité des supports, la beauté saisissante des couleurs dès les premières images a rappelé à ceux qui en doutaient, l’effet visuel inégalable du procédé Technicolor. En bonus, les deux conférences de Jean-Pierre Verscheure (éminent spécialiste des techniques cinématographiques) et de Céline Ruivo (directrice des collections films de la Cinémathèque française) nous ont éclairés sur l’évolution de ce procédé bichrome puis trichrome.

Les films en couleur japonais tournés sur pellicule Fujicolor, Konicolor ou Eastmancolor ont intrigué par la beauté et l’étrangeté de certaines images. Des séquences tournées à la tombée de la nuit comme dans Konjiki Yasha (Le Démon de l’or), de Kiji Shima, offraient des couleurs d’une rare intensité. De même, le film de Toshio Sugie Janken Musume (Les Jeunes filles coriaces), comédie musicale teenager particulièrement kitch et amusante, a permis d’apprécier la qualité des images nipponnes des années 1950, la lumière s’accordant scrupuleusement aux couleurs vives des décors et des tenues des trois jeunes héroïnes, dansant sur du "mambo japonais".
Cette double programmation fut une véritable leçon de cinéma, mettant en évidence la concertation rigoureuse entre les directeurs de la photographie, les chefs décorateur et les chefs costumier. Elle souligne évidemment l’importance de restaurer les films mais aussi de conserver les copies d’époque dont certaines font aujourd’hui figures de pièces de musée.

De nombreuses institutions françaises étaient représentées. La société Gaumont est venue fêter ses 120 ans en présentant entre autres Les Vampires, de Louis Feuillade, restauré par Manuela Padoan, directrice de Pathé Gaumont Archive et le laboratoire Eclair (Béatrice Valbin et Audrey Birrien). La fondation Jérôme Seydoux-Pathé a restauré La Belle équipe et La Fin du jour, de Julien Duvivier. Des films Lumière ont été projetés, suite à la numérisation du fonds présenté par Thierry Frémaux. La production Argos Films a montré Au hasard Balthazar, de Robert Bresson.
La Cinémathèque française et La Compagnie Méditerranéenne de films avec le soutien du CNC, du Fonds Culturel Franco-Américain (DGA-MPA-SACEM- WGAW), d’Arte et des Archives Audiovisuelles de Monaco, avec la participation SOGEDA, Monaco, ont restauré cette année Marius, Fanny et César, de Marcel Pagnol. Le premier volet a été projeté au Cinéma Arlecchino. Les travaux ont été réalisés au laboratoire Digimage et l’étalonnage a été supervisé par Guillaume Schiffman, AFC. Celui-ci avait déjà collaboré avec la Cinémathèque et Digimage, en suivant les travaux de restauration du Dernier métro, de François Truffaut, signe que les chefs opérateurs, malgré leurs activités créatives, s’intéressent de plus en plus au devenir des films de patrimoine.

Il Cinema Ritrovato, grâce à la qualité de ses projections et aux nombreuses rencontres entre professionnels, encourage les détenteurs de catalogues à respecter certaines règles déontologiques de restauration, établies par les cinémathèques et défendues en France par le CNC, notamment à travers l’aide sélective à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine. Outre les objectifs de conservation, les restaurations doivent permettre avant tout de projeter le film sur grand écran, en respectant au mieux la texture de l’image originelle. C’est ainsi que les films se dévoilent et s’apprécient, les nouveaux comme les plus anciens.

Hervé Pichard est responsable des enrichissements à la Cinémathèque française et chef de projet de restauration.