"Intermittents : lutter contre la précarité dans l’audiovisuel"

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°231

Le Monde, 18 avril 2013

Le déficit du régime des intermittents, le fameux 1 milliard d’euros « gravé dans les esprits » ? Le calcul est à revoir. Les critiques de la Cour des comptes, dénonçant un système à la dérive ? Si l’approche se justifie « sur un plan comptable », elle est en revanche réductrice.

Fini, les diatribes sur les artistes privilégiés : le député socialiste Jean-Patrick Gille, rapporteur de la mission d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques, rend public, mercredi 17 avril, un rapport qui entend « se défaire des idées reçues et des clichés ».
Le contenu du rapport est à la hauteur de l’annonce. Fruit de nombreuses auditions, ce rapport a été voté à l’unanimité des membres de la mission, laquelle est présidée par l’UMP Christian Kert. « C’est bien la précarité que les métiers artistiques ont en partage : pour les auteurs, on peut parler d’isolement et de vulnérabilité, tandis que le travail salarié se caractérise par l’irrégularité et la flexibilité. Derrière les “ vedettes ” que l’on peut retrouver dans chaque discipline, on trouve de nombreux travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts », écrit Jean-Patrick Gille en introduction.

La partie consacrée aux " intermittents " – les artistes et les techniciens qui bénéficient d’un système d’assurance-chômage plus protecteur, en contrepartie de leurs emplois discontinus – est la plus attendue. Le Parlement veut faire entendre sa musique, avant que les partenaires sociaux ne s’emparent du dossier, fin 2013.

Jean-Patrick Gille ne se démarque pas de la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, et du ministre du travail, Michel Sapin : moyennant une lutte plus ciblée contre la fraude, il faut pérenniser les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic. Depuis 2003, les techniciens doivent réaliser 507 heures en 10 mois pour être éligible au dispositif, et les seconds 507 heures en 10,5 mois. Le rapporteur consacre un long développement à un éventuel retour au dispositif antérieur – sans pour autant le réclamer – selon lequel les 507 heures s’appréciaient sur douze mois, à date fixe.

La question du déficit de ces annexes, elle, a déjà été plus ou moins déminée. Selon un calcul de l’Unedic, le basculement des intermittents dans le régime général ne générerait qu’une économie de 320 millions d’euros. Lors de son audition, Michel Sapin lui-même avait déclaré qu’il n’y avait « pas lieu de dramatiser » la situation financière du régime (Le Monde du 1er mars).

Jean-Patrick Gille va plus loin. Lors des auditions, les parlementaires ont été sensibles à l’argument suivant, explique-t-il : le secteur culturel « emploie des salariés permanents dont les cotisations d’assurance chômage doivent être prises en compte, tandis que certains intermittents du spectacle cotisent au titre des annexes 8 et 10 sans pour autant pouvoir y faire valoir de droits à indemnisation ».

La mission a, en conséquence, interrogé l’Unedic sur l’équilibre « sectoriel » de l’assurance chômage pour le spectacle. « Celle-ci a indiqué qu’il ne lui était pas possible d’évaluer le montant de cotisations d’assurance chômage acquittées par les intermittents de spectacle relevant des annexes 8 et 10 mais non indemnisés par l’assurance chômage, en raison d’un problème de disponibilité des données. En revanche, les données dont elle a fait état ne permettent pas de conclure à une contribution in fine positive du secteur du spectacle au régime d’assurance chômage, en raison du niveau très élevé du recours qui y est fait aux contrats à durée déterminée ».

Si l’objectif d’équilibre financier n’est « pas atteignable », Jean-Patrick Gille juge pertinent de s’interroger sur la notion d’un "bon niveau" de déficit. S’il faut « frapper fort », estime M. Gille, c’est dans la lutte contre la précarité et la « permittence » dans l’audiovisuel. Ces pratiques sont, certes, minoritaires, mais « jettent la suspicion » sur toute la profession et creusent le déficit.

La mission d’information a été saisie de « témoignages tout à fait saisissants », souligne le député : « Un machiniste intermittent à France Télévisions a enchaîné environ 700 contrats à durée déterminée d’usage depuis huit ans, notamment sur le tournage du programme " Plus belle la vie " ; une maquilleuse signe des contrats à la semaine avec France Télévisions depuis quatorze ans ».

" Plafonnement "

Le député propose « une requalification automatique » des CDD d’usage en contrat à durée indéterminée, lorsqu’un intermittent travaille plus de 900 heures auprès d’un même employeur. Il faut aussi, dit-il, interdire la possibilité de cumuler un revenu d’activité et des allocations chômage « lorsque la durée mensuelle travaillée est équivalente à un temps plein, soit 151 heures ».

Dans un double souci de « maîtriser les dépenses en préservant les plus fragiles », le député propose d’instituer « un plafonnement du cumul mensuel des revenus d’activité et des allocations chômage ». S’agissant des " matermittentes ", qui peinent à faire valoir leurs droits pendant leur congé maternité, et à l’issue de celui-ci, le rapporteur suggère au gouvernement d’« adopter une circulaire rappelant les règles relatives au maintien des droits à la sécurité sociale, afin de sensibiliser les caisses primaires d’assurance-chômage ».

Il ajoute : « Les discussions à venir sur les annexes 8 ou 10 doivent permettre aux partenaires sociaux de mieux garantir les droits des matermittentes ». L’une des solutions envisageables serait, dit-il, d’aligner les conditions d’éligibilité aux annexes des matermittentes sur celles des intermittents en général : « Cela reviendrait à exiger des intermittentes qu’elles aient travaillé 507 heures au cours des 10 ou 10,5 mois précédant la date présumée de la conception », poursuit le rapporteur.

Enfin, dans le spectacle vivant, le député estime nécessaire d’« enrayer la diminution du nombre de représentations », comme l’a souligné le directeur général de la création artistique, Michel Orier, lors de son audition. Jean-Patrick Gille propose que soient fixés « des objectifs visant accroître le nombre de représentations par spectacle ». Les artistes et les techniciens vont applaudir.

(Clarisse Fabre, Le Monde, 18 avril 2013)