Jour J – 1

Claude Garnier, directrice de la photographie, AFC

par Claude Garnier La Lettre AFC n°233

J – 1. Demain la Convention collective sera étendue ou pas… Et dans ma tête ça tourne à toute vitesse. Je suis membre de l’AFC, de l’inter association et du syndicat le SPIAC CGT et dans ces instances, dans ces regroupements, la question de la Convention collective de la production cinématographique résonne fort.

Je revois toutes ces dernières années pendant lesquelles, petit à petit, les techniciens se sont convaincus de la nécessité d’une Convention collective.
Je revois tous les échanges, les e-mails, les coups de téléphone, à l’intérieur des associations, entre associations, entre les associations et les syndicats, entre les syndicats.
Et bientôt l’accalmie entre les deux syndicats, SNPTCT et SPIAC CGT. Ouf ! On va enfin pouvoir travailler ensemble.

Je revois le travail immense, pendant sept ans, pour réfléchir et mettre au point cette convention, la plongée dans les textes, si difficiles à cerner mais qu’il faut bien décoder pour avancer. Je revois les grandes discussions au syndicat et dans les associations sur l’annexe III, le système dérogatoire pour 20 % des films pendant cinq ans… Cette concession très importante, faite dans la douleur, qu’il fallait expliquer, défendre, pour donner une chance à la convention d’être signée.
Ce n’était pas facile de se convaincre soi-même, de convaincre beaucoup d’amis techniciens d’accepter ce cadeau fait aux producteurs.
Mais nous voulions que les films vivent et en même temps avoir cinq ans pour poser radicalement la question du financement des films, même les films fragiles.

Pourtant, contrairement à ce qu’on avait pensé, espéré, ça n’a pas suffi.
Un seul syndicat de producteurs (l’API) a signé cette Convention avec les syndicats de salariés, le 19 janvier 2012.
Les autres syndicats de producteurs s’y sont opposés avec une violence incroyable.
Je revois le démarrage d’une campagne de presse hargneuse et mensongère contre les techniciens, l’adhésion d’une partie d’entre les producteurs au MEDEF, tous les signes guerriers d’une lutte sans merci.
A partir de là, chaque technicien, chaque technicienne, a vécu dans son cœur, dans ses tripes, la tristesse, l’amertume, la colère de se voir traîner dans la boue par ceux et celles qu’ils avaient tellement accompagnés, épaulés pendant les dix ou quinze dernières années, pour que les films se fassent.

Les techniciens ont soutenu les films et leurs producteurs en acceptant que leurs salaires deviennent la variable d’ajustement, mais pas seulement, ils ont aussi engagé leur imagination, leurs compétences afin de proposer des solutions originales à la rigueur des budgets, pour servir au mieux le projet du réalisateur. Je sais bien pour les chefs opérateurs dont je fais partie, quelle énergie nous avons mis à trouver des solutions ingénieuses pour contourner les obstacles et respecter le plus possible le projet artistique des auteurs.
On peut se demander quels auraient été ces films (de la diversité) si les chefs op’, les chefs déco, les monteurs, bref toute l’équipe, de la prépa aux finitions, ne s’était pas investie autant, pour rendre possible ce qui au départ ne tenait pas dans l’enveloppe du financement du film.

Je revois la pétition des cinéastes réalisateurs opposés à la Convention et je me revois devant mon ordinateur en train de compulser la liste des signataires, sidérée d’y trouver tant de gens que je respectais et, bien sûr, beaucoup avec lesquels j’avais travaillé.
Je revois le putsch à la SRF et l’aveuglement incroyable de certains cinéastes, poussant leur adhésion à l’idéologie libérale jusqu’à appeler de leurs vœux un fonctionnement du cinéma débarrassé de toutes règles sociales.
Et au final, je revois la commission mixte paritaire où je suis allée vendredi dernier, dans la délégation du SPIAC CGT et ce jour-là, l’absence immense des syndicats de producteurs non signataires (APC, UPF, SPI), nous laissant seuls pour faire avancer les choses.

Cette situation m’a rappelé les tournages et cette habitude prise par beaucoup de producteurs de ne chercher aucune solution à la dérégulation du cinéma, aux salaires sans cesse en baisse, aux temps de tournage toujours plus réduits et à leur faiblesse face aux distributeurs.
Ces producteurs ont pour pratique de s’appuyer à fond sur la passion des techniciens pour leur métier, comme le moteur qui permettrait à ce système injuste et régressif de perdurer éternellement.
Et vendredi de 9h30 du matin à 19h, j’ai ressenti la même chose, à nous voir tous, les syndicats de salariés et l’API, à la CMP, nous creuser la cervelle pour être le plus précis, le plus intelligent possible pour laisser une chance à cette Convention collective.

Sans elle, un long chemin de vide conventionnel, avec comme seule base le droit du travail, s’ouvrirait devant nous, pour le grand plaisir de tous ceux qui en réalité ne veulent aucune convention collective, quoi qu’ils en disent.
Récemment, on m’a proposé plusieurs projets de films dont je sens bien qu’ils seront " de la diversité " (euphémisme qui veut dire pas assez financés).
J’avoue que l’idée de recommencer à me battre en prépa, sur tous les fronts : la composition d’équipe, le matériel, le plan de travail, etc., en sentant petit à petit le réalisateur, épuisé par trop de compromis et de pressions, abandonner une partie de son projet artistique pour faire le film à tout prix avec une équipe de plus en plus mal payée à laquelle on fait avaler des couleuvres de plus en plus énormes, m’a semblé un peu décourageante, tant cette pratique devient courante.

Mais hier, j’ai lu un scénario qu’on m’avait envoyé et j’ai été tellement touchée, enthousiasmée que j’ai senti le joli moteur du désir recommencer à ronronner dans mon ventre.
Alors oui, j’attends l’extension de la convention collective avec impatience et j’attends des états généraux du cinéma pour poser entre tous les partenaires (salariés, producteurs, CNC, l’État) les bases d’une redistribution juste du financement qui permette à la diversité de vivre dans le cinéma français.
Mais j’attends aussi le temps de panser les plaies entre les réalisateurs et leurs équipes.
Ce n’est peut-être pas pour tout de suite, mais l’avenir du cinéma ne se fera pas sans ça.