Je vais te manquer

« C’est un film choral comme l’on dit. Le scénario suit plusieurs personnages et croise leur destinée jusqu’à leur coïncidence dans un aéroport. Amanda tenait beaucoup à la photogénie de ses acteurs et actrices et à mettre en valeur particulièrement les visages. Elle souhaitait distiller une certaine dose de " glamour " pour cette histoire ancrée dans le quotidien de toutes ces vies, mais qui parfois vire au conte.

J’ai opté pour une lumière très douce sur les acteurs et qui vient juste mourir sur le décor, sans effets ou quasi sur les arrières plans, ni contre-jour marqué pour laisser les visages se détacher par la seule différence de tonalité. Arrivés à l’aéroport, la donne s’est inversée ; nous avions un temps ensoleillé et les fonds avec les baies vitrées explosaient souvent. Mais d’une certaine façon, cela participait de la même logique dans la recherche de ce contraste entre arrière-plan et visage.

Ma collaboration avec Amanda, qui réalisait là son premier film, fût très harmonieuse. Amanda Sthers s’exprime habituellement avec des mots, mais son intérêt pour l’image et la photographie a été constant. Notre travail ensemble était basé sur un encouragement permanent doublé d’une jolie confiance.

Petite curiosité, pour une séquence où l’on voit Carole Bouquet se souvenir de l’enfance de ses filles (au départ dans le scénario, elle regardait sur sa télé un film de famille). J’ai proposé à Amanda de tourner ces plans en inversible plutôt qu’en vidéo pour préserver une continuité argentique au film. Dans mon idée aussi, je voulais tenter d’obtenir la texture de vieilles photos et faire revivre le mouvement qu’elles avaient figé dans l’album à souvenirs. Après les essais Amanda fût convaincue par le rendu et modifia légèrement la séquence sous la forme d’images mentales, et de flashs mémoriels.

Techniquement, nous avons tourné à l’épaule, instable, recherchant les " flares ", jouant avec de la neige artificielle et pratiqué de nombreux arrêts caméra aléatoires en cours de prise. La pellicule inversible Kodak (Ektachrome 100D Color Reversal Film 5285) a subi un traitement croisé (" cross process ") afin d’obtenir un négatif. Le rendu est surprenant : un peu granuleux, une dominante vert-cyan, un contraste plus élevé avec des blancs joliment brûlés, et des couleurs assez saturées.

Au montage final, cette séquence s’est retrouvée en support du générique de début et a dû être truquée pour les surimpressions des lettrages. Malheureusement, le premier scan avait gommé beaucoup des nuances et aberrations de l’image issue de l’inversible. Un deuxième scan et un suivi numérique par Natacha chez Duboi ont permis d’en récupérer une grande partie et d’être ainsi plus fidèle au rendu original que j’avais sur le positif de référence. Au passage, Natacha m’a confirmé qu’en partant d’un traitement négatif traditionnel, l’étalonnage numérique n’aurait jamais permis cette texture d’image si particulière et propre au " cross procès ". Je me retrouvais conforté, si besoin était, dans mon culte de l’argentique.

Technique